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Paraorchestra with Brett Anderson & Charles Hazlewood - Death Songbook
Chronique Album
Date de sortie : 19.04.2024
Label : BMG Rights Management
4
Rédigé par Laetitia Mavrel, le 17 avril 2024
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Retour quatre années en arrière. A cette époque, nous étions enfermés dans nos salons, les uns à tenter de s'isoler des enfants bruyants pour mener à bien leurs réunions Zoom, les autres réquisitionnés du fait de leurs fonctions essentielles à la survie de notre société confinée, qui bravaient courageusement dans les rues désertes les premiers effets brutaux de la pandémie. Durant ces longs mois angoissants, les esprits cogitèrent sur les grands thèmes de la vie et de la mort, le spleen et la mélancolie comme états d'âme dominants. Alors que le printemps naissant permettait enfin à la nature de reprendre ses droits, beaucoup de nos artistes favoris trouvèrent dans cette étrange parenthèse une grande inspiration et il sortit de cette hibernation forcée de grands et beaux disques.

Death Songbook du Paraorchestra est un de ceux-là. Nous découvrons quatre ans exactement après la mise sous cloche du monde le résultat du projet collaboratif de Charles Hazlewood, chef d'orchestre émérite qui créa cet ensemble composé de musiciens valides et handicapés dès 2012 pour les jeux Olympiques de Londres. Son objectif était d'offrir une toute nouvelle vision de la musique symphonique en s'associant avec de nombreux artistes contemporains tels Coldplay, Gruff Rhys, Nadine Shah ou Lianne La Havas. S'étant produit à plusieurs reprises lors des grands festivals anglais dont le prestigieux Glastonbury, le Paraorchestra modernise depuis la musique classique et permet des alliances aussi rares qu'exceptionnelles.


C'est durant les confinements que l'idée de revisiter les grands classiques pop traitant de la mort et du tragique est venu à Charles Hazlewood. Pour ce faire, le choix de Brett Anderson, leader de Suede et maitre incontesté de l'élégance et du suave, ne pouvait que s'imposer. C'est durant de longues sessions à distance que les premières reprises ont été travaillées et c'est finalement en octobre 2022, au Wales Millenium Centre de Cardiff, qu'a été présenté le résultat de ce Death Songbook en live, avec le Paraorchestra au complet, soit pas moins de soixante-dix musiciens menés par le micro de Brett Anderson et quelques autres invités.
Accompagnés de Nadine Shah et Gwenno, Charles Hazlewood et Brett Anderson proposent un choix de chansons qui a marqué le paysage pop de ces soixante dernières années, des Etats-Unis au Royaume-Uni en passant par l'Europe. Avec comme fil conducteur les thèmes liés à la perte d'un être cher ou d'un amour tragique, mêlés aux sentiments de tristesse et de nostalgie qui plombent nos esprits dans ces situations, les titres sélectionnés prennent place parmi les plus emblématiques de ce répertoire.

L'entrée en matière se veut puissante en s'attaquant à The Killing Moon d'Echo & The Bunnymen, titre qui figure dans le top 10 des chansons les plus marquantes des années 80s au Royaume-Uni. Le challenge était de taille et ici la majestuosité des instruments ainsi que le timbre profond de Brett Anderson rendent toute sa splendeur à cet hymne des Bunnymen pour lequel Ian McCulloch a malheureusement depuis de longues années perdu la maitrise vocale nécessaire à son interprétation. Dans cette longue liste de chansons tristes, les reprises le plus audacieuses et réussies concernent les morceaux eux-mêmes les plus évocateurs : le duo avec Nadine Shah rend extrêmement sensuel le Holes de Mercury Rev et Wonderful Life, dont la popularité a traversé les décennies bien plus que son compositeur Black, gagne en intensité grâce à la seule voix de Brett Anderson qui amplifie ainsi sa teneur dramatique. La musicalité du Nightporter de Japan, initialement simplement portée par un piano, se voit quant à elle transformée grâce aux flûtes, percussions et violons, passant de ballade pop à véritable petite œuvre symphonique.

On retrouve quelques choix plus étonnants avec My Death (La Mort) de Jacques Brel, inspirée de la reprise faite par David Bowie en 1973, qui rend plus hommage à David qu'à Jacques avec cette seule guitare en accompagnement. Un petit détour dans les années 60 nous amène à redécouvrir The End Of The World de Skeeter Davis, où le duo Brett Anderson – Nadine Shah apporte une réelle chaleur à cette petite bluette surannée. Exercice plus périlleux que de s'attaquer à Enjoy The Silence de Depeche Mode, et pourtant, les remixes sont légion parmi les étagères débordantes des devotees de ce monde. Mais cette tentative aux accents dub ne nous convainc pas, et c'est ici fort dommage tant l'hymne de Depeche Mode aurait gagné à se revêtir de toute la majestuosité que peut apporter un orchestre symphonique.


Brett Anderson étant l'invité d'honneur de ce projet, une grande place est faite pour son travail avec Suede et ses propres œuvres solos. She Still Leads Me On issue de l'excellent Autofiction sorti en 2022 prend une belle ampleur interprétée en live avec tout l'orchestre bien que d'autres morceaux plus denses comme The Only Way I Can Love You ou What Am I Without You auraient bien plus gagné au change. Les revisites de The Next Life et He's Dead époque Bernard Butler se rapprochent pour chacune d'entre elle de l'environnement musical d'origine. Peu de risques sont pris mais les chansons nous donnent à nouveau l'occasion de nous émerveiller face au timbre de voix de Brett Anderson qui a à peine souffert du temps qui passe. Le disque nous offre aussi l'occasion de replonger dans le répertoire solo de l'anglais, encore trop méconnu de nos jours. Unsung, issu de Black Rainbows, album qui a suivi de peu la reformation de Suede en 2010, est proposée dans une version aux échos amplifiés rendant le chant encore plus aérien que sur l'original. Enfin, cette petite épopée se termine avec Brutal Lover, qui a fait ses débuts lors du concert à Cardiff en octobre 2022, et qui se présente comme une ballade au piano à la tension montant crescendo, vous collant la chair de poule et qui, malgré quelques éraillements de voix, positionne Brett Anderson comme un des interprètes majeurs de sa génération.

L'alliance des orchestres symphoniques et du petit monde du rock est toujours un pari osé. Mais lorsque que la sauce prend, c'est ainsi une belle occasion de redécouvrir un répertoire embelli, magnifié et porté par une nouvelle dynamique qui permet également de familiariser les oreilles les plus néophytes à la musique classique. Death Songbook est un voyage passionnant qui apporte distinction et prestance à tous ces morceaux qui ont façonné notre culture musicale tout en nous faisant presque adorer être malheureux à leur écoute.
tracklisting
    01. The Killing Moon (Echo & The Bunnymen cover)
  • 02. Unsung (Brett Anderson cover)
  • 03. Holes (feat. Nadine Shah - Mercury Rev cover)
  • 04. Nightporter (JAPAN cover)
  • 05. She Still Leads Me On (Suede cover)
  • 06. Wonderful Life (Black cover)
  • 07. The Next Life (Suede cover)
  • 08. He’s Dead (Suede cover)
  • 09. Enjoy The Silence (feat. Gwenno – Depeche Mode cover)
  • 10. The End Of The World (feat. Nadine Shah – Skeeter Davis cover)
  • 11. My Death (Jacques Brel cover)
  • 12. Brutal Lover (Brett Anderson cover)
titres conseillés
    Th eKilling Moon, Holes, Wonderful Life, Brutal Lover
notes des lecteurs