Peter Gabriel

Soyons clair : entendre à nouveau Peter Gabriel sur album en 2010 est une foutue bonne nouvelle. A soixante ans, ce grand monsieur arrive encore à surprendre son monde et cultiver sa différence en nous présentant ce Scratch My Back, disque exclusivement constitué de reprises de légendes (David Bowie, Lou Reed, ou encore Neil Young) ou d’artistes reconnus de la nouvelle génération (Elbow, Bon Iver ou Arcade Fire).

Vous allez me dire : « un disque de reprises, n’est-ce pas un peu cliché et convenu pour se faire connaître des plus jeunes ? ». En apparence, c’est certain. Sauf qu’avec Peter Gabriel rien ne se passe jamais comme prévu et cet album s’avère aux antipodes de ce que l’on pouvait attendre de lui.
En effet, là où on pensait découvrir avec plaisir des réarrangements bruitistes et mélodiques à la fois, voire même des structures alambiquées et progressives pour revisiter ces chansons, l’ex-leader de Genesis joue la carte de la sobriété à outrance et nous propose un disque opaque et très intimiste. Chaque piste est épurée voire dépecée dans le seul et unique but de ne garder que l’essence même du morceau, son âme.
La surprise est ainsi totale puisque, sans batterie ni guitares, seule une petite touche de piano et quelques arrangements de cordes accompagnent une voix magnifique tout au long de cet album : on ressort du voyage triste et vidé tellement la cohérence du projet n’a d’égale que la noirceur de l’ambiance proposée.

Et là, vous me répondez : « Alors donc, nous avons en face de nous un grand disque de Peter Gabriel et l’un des meilleurs de sa carrière ? ». Et bien non, tout le problème est là. Le monsieur nous a tellement habitué à de l’excellence excentrique et diversifiée tout au long de son sinueux parcours que la linéarité dépressive de ce Scratch My Back, qui pourrait constituer un sommet dans la discographie de pas mal d’autres artistes, ne s’avère au mieux qu’un disque correct ponctué de plusieurs passages grandioses et de quelques ratés gênants.
Du coté des principales réussites, on trouvera en vrac l’incroyable version de la pourtant déjà parfaite My Body Is A Cage ou encore les relectures très touchantes de la très récente The Power Of The Heart de Lou Reed et de la splendide Flume de Bon Iver. Les orchestrations magistrales de Mirrorball raviront les fans d’Elbow tandis que la légèreté toute relative de I Think It's Going To Rain Today fait plaisir à écouter.
Le principal bémol peut être détaillé sur la relecture de deux des artistes les plus connus repris dans ce Scratch My Back : en ouverture, la version ampoulée et pataude de Heroes est susceptible de décourager d’emblée l’auditeur peu motivé tandis que la clôture sur le Street Spirit de Radiohead est incroyablement pathétique de lourdeur et d’absence de nuances. On pourra également retrouver ce défaut majeur sur d’autres pistes (les reprises de Paul Simon, Neil Young ou Talking Heads) qui feront malheureusement fuir dans la même direction les fans du monsieur, peu habitués à cet absence d’inventivité, et ceux le découvrant avec cet album.

Au final, même si l’intention est plus que louable et que la voix de Peter Gabriel s'avère toujours aussi fédératrice, on ressort de l’écoute de ce déprimant Scratch My Back avec la désagréable impression que la fin de parcours de ce génie musical approche et que ce huitième véritable album s’impose peut-être comme le moins aventureux et donc le moins pertinent de son incroyable discographie. Si les pépites disséminées à l’intérieur de ce disque en forme d’exercice de style peuvent permettre à le jeune génération de se pencher sur les précédentes réussites majeures du monsieur, l’effort n’aura pas été vain et mérite quand même d’être salué.

On parle maintenant d’un album de reprises de chansons de Peter Gabriel par les artistes justement choisis dans ce Scratch My Back, voire même d’un deuxième volet annoncé par lui-même dans un registre électro-dance beaucoup plus joyeux. Saluons donc sobrement pour le moment le retour sur le devant de la scène de cet artiste exceptionnel... en espérant simplement qu’il n’ait pas dit son dernier mot en ce qui concerne sa formidable liberté de créativité.