Chronique Album
Date de sortie : 26.11.2012
Label : BMG Rights Management/PIAS France
Rédigé par
Olivier Kalousdian, le 8 décembre 2012
Sobrement imaginé pour célébrer quarante ans de carrière, un album de reprises signées Bryan Ferry, accompagné d'un orchestre de jazz, quelle belle promesse que voilà ! Avalon le vaporeux, Don't Stop The Dance le putassier et Slave To Love le populaire... voilà quelques-uns des titres annoncés et réinterprétés sur un air de Jazz, tendance speak easy, pour un des albums les plus déconcertants de l'année.
Avec un son d'époque et un enregistrement (mono) qui semblent tout droit sortir des grilles en fer rouillé du Cotton Club de New York, en pleine prohibition, il faut tendre l'oreille pour reconnaître les mélodies qui ont inspiré beaucoup de teenagers un peu précieux de la fin des années 60s, ceux-là qui ne se reconnaissaient ni dans les hippies ni dans le rock psychédélique.
Bryan Ferry, soixante-sept ans, a toujours écouté du jazz, surtout celui des années 40s/50s via sa tante Ethel en Angleterre et, récemment, tel un sage à la recherche de la source du savoir, celui du début du siècle. Un nouvel acte artistique avant-gardiste comme la bande originale du Roxy Music de 1970, tous issus des écoles de Beaux Arts de Sunderland et de Winchester, savait le faire dans l'étude de l'art conceptuel et du pop art.
Une époque vouée au Glam Rock dont ils furent parmi les premiers initiateurs à la fin des 60s. Tranchant dans le vif, alors que crissaient les cordes de la guitare d'Hendrix et que les premiers punks discutaient de leur prochaine formation, Roxy Music ont toujours surpris par des sonorités bourgeoises, éloignées des racines du rock, le blues, et réinventé une certaine pop, issue de celle des sixties. Avec, en plus, la recherche sonore que permettaient les avancées électroniques de l'époque
Après 2002 et son disque Frantic, Bryan Ferry – qui mena une carrière solo en parallèle de son groupe dès 1971 – n'a plus proposé de compositions originales. Et, depuis, les Best Of ou les albums de reprises (Dylanesque en 2007) s'enchaînent, laissant penser que l'époque du Glam Rock et celle des ballades sentimentales du crooner Anglais sont bien mortes et enterrées.
Dès lors, on peut se demander si The Jazz Age, composé uniquement de reprises, jouées par des banjo, saxo basse et autres trompettes à sourdine, a vraiment un sens ? En dehors de celui qui consiste à annoncer à l'industrie du disque que le dandy aux yeux bleus est toujours vivant et qu'il ressent, dans ce monde en crise, la nostalgie d'une époque d'avant-crise où tout le speak easy américain semblait fortuné et loin, très loin des problèmes de notre société actuelle. Une sorte de manifesto politico-artistique de la part d'un nanti qui n'a jamais connu que le faste, la poudre et les paillettes des années 70s/80s ?
Incluant le premier hit du Roxy Music, Virginia Plain, lequel, paradoxalement, usait et abusait des instruments électroniques que Brian Eno avait alors à disposition, mais laissant de coté le très célèbre More Than This, cet album, un peu égocentrique, s'écoute comme on écouterait la bande son du film The Artist, en mode totalement muet. Réunissant, à nouveau autour de lui des musiciens, comme Colin Good, qui intervenaient déjà dans son album hommage au jazz des années 30, As Time Goes By, Bryan Ferry tente ici des reprises sans paroles comme rarement nous en avons entendues. Il se peut qu'il n'ait pas poussé assez loin l'idée de base – on aurait aimé entendre un mélange entre les accents du Cotton Club et les mélodies originelles – ou que cet opus ne soit destiné qu'aux plus pointus des disquaires de jazz indépendants qui dégaineront, dans quelques années, le disque comme un collector oublié de tous, tel un CD promotionnel, pensé entre deux albums pour lancer ici un nouveau magazine ou là une nouvelle marque d'amplis. À moins que, dans une confusion née de l'appétit du Roxy Music et de Bryan Ferry pour brouiller les pistes derrière un écran de fumée artificielle et un maquillage unisexe tellement chargé qu'il semble être en braille, nous ayons raté l'esprit de la loi musicale du sexagénaire sémillant comme un Dries Van Noten dans un défilé haute couture à la croisée du total avant-garde et de l'incompréhensible !
« Un peu parti un peu naze, j'descends dans la boîte de Jazz, histoire d'oublier un peu, le cours de ma vie... ». Tel un Michel Jonasz qui n'avait pas grand-chose à faire, ni dans cette chronique, ni dans cette boite de jazz, on se dit qu'un Bryan Ferry moins facile et moins nombriliste aurait pu tenter d'initier ses fans à son amour du jazz antédiluvien en y apportant un soupçon de modernité, pour ne pas dire un zeste de vie.