U2

À chaque nouvel album de U2 se pose le même problème. Comment en faire l'écoute sans être pollué par le souvenir tiède des précédents ? Comment trouver le juste équilibre entre l'impartialité de l'analyse purement musicale et la subjectivité d'une critique ? Le défi est lancé.

Trois ans après Songs Of Innocence, la bande à Bono a fini par sortir son pendant, Songs Of Experience. U2 avaient besoin de recul pour digérer les différents événements politiques survenus ces derniers temps. Le Brexit, l'élection de Donald Trump, en résumé. L'idée n'était pas d'écrire un album polémique mais plutôt de créer un « appel à la paix », ont-ils expliqué au New York Times. Qui dit « paix » et « amour » veut souvent dire « fade » et « mielleux ». Tel est donc l'écueil.

Dans Love Is All We Have Left, le groupe flirte avec la mièvrerie. Et c'est dommage, pour l'ouverture du disque. Tapis sonore électro, voix planante et temps suspendu : une hymne un peu douceâtre introduit les treize titres de Songs Of Experience. Même chose pour Love Is Bigger Than Anything In Its Way ou Get Out Of Your Own Way. La réverb' à outrance, les petits refrains gentillets portés par des choeurs clamant de longs « hoooo » et « haaaaa » ne dégageant aucune émotion, cela donne des titres plats, sages, sans surprise aucune, sans rugosité, ni dans la structure ni dans l'instrumentation.

La deuxième partie de l'album se révèle être de meilleure facture. On retient le riff de guitare saturé « badass » d'American Soul, la ligne de basse déstructurée dans Red Flag Day, le groove de batterie nerveux et haletant de Landlady, l'incursion dans le rock anglais à la Kooks étonnamment réussi dans The Showman. Et puis la voix de Bono, bien sûr. Intacte, impeccable, sur des textes fédérateurs autour de l'amour, la peur, la mort, la responsabilité, l'espoir.

L'album a ses tubes et ses pépites, ce qui le différencie de Songs Of Innocence. You're The Best Thing About Me reste dans la tête. Ce titre rock très tranquille est rythmé par une grosse caisse insistante martelant tous les temps. Son refrain porte l'ADN U2 : une guitare électrique dans les aigus boostée en reverb et en delay pour un effet « aérien » que l'on ne connaît que trop bien. C'est propre, parfaitement produit. Un tube, en somme. Même topo pour The Little Things That Give You Away. Et gros potentiel « stade » pour 13 (There Is A Light) qui sera, pour sûr, repris en choeurs par des milliers de fans. Parmi les autres trouvailles, Red Flag Day intrigue avec ses passages groovy coincés entre deux envolées de choeurs dont on se serait passé. The Blackout détonne du reste de l'album avec son style syncopé et ses petits coups de charleston teintés disco. Dommage que le refrain retombe dans la soupe, la même rengaine, encore et toujours.

Songs Of Experience est sans aucun conteste tissé de texte profonds sur le monde actuel, sur ses dangers, sur l'amour, et tout le reste. Mais la qualité d'un album ne dépend pas que de ses paroles. Loin s'en faut. Ni même de la qualité de la production, si parfaite soit-elle. Jolyon Thomas (Royal Blood, M83), Jacknife Lee (The Killers), Steve Lillywhite, Ryan Tedder (One Republic) et Kendric Lamar n'ont certainement pas démérité. Mais Songs Of Experience n'a rien de révolutionnaire, rien de surprenant, rien de transcendant.

U2 reste U2. Le groupe aux 23 Grammy Awards donnera toujours des concerts qui hérissent la crinière, comme cet été, pour les 30 ans de Joshua Tree au Stade de France près de Paris. Mais ils gardent sans doute leur chef-d'oeuvre pour plus tard.