Chronique Album
Date de sortie : 25.01.2019
Label : Polydor
Rédigé par
Cassandre Gouillaud, le 26 janvier 2019
Chaque mouvement de James Blake fonctionne aujourd'hui comme un petit évènement. Depuis la sortie de son premier album en 2011, l'artiste anglais n'a jamais vraiment disparu des radars médiatiques, enchaînant sorties solo et collaborations à succès qui ont fait de lui l'une des figures omniprésentes et essentielles de la scène anglaise de cette décennie. Pourtant, il y a quelque chose de troublant, qui vient perturber l'habitude, dans cette vision de Blake apparaissant de face, yeux rivés sur l'objectif, sur cette pochette d'album. Pour cause, la sortie de ce quatrième effort, Assume Form, apporte bien plus qu'une simple suite au frustrant et inégal The Colour In Anything, qui voyait toutes les difficultés de Blake à concrétiser ses ambitions musicales. Elle marque aussi l'ouverture d'un nouveau chapitre dans l'œuvre de l'anglais, qui le voit déployer une gamme de sentiments inédite, née de sa relation avec l'artiste et activiste Jameela Jamil, et cette fois largement pénétrée par l'amour et un calme nouveau.
Depuis les tourments sombres qui hantaient son premier album jusqu'aux sonorités vaporeuses présentes sur Assume Form, Blake n'a jamais dérogé à une forme brute d'honnêteté dans son œuvre. Cet album confirme son inclination pour une expression musicale pure et intime ; seulement, cette fois, habitée par une humeur nouvelle. Assume Form ouvre la voie à cette trajectoire, évoquant cette transition à la fois personnelle et musicale (« I will assume form / I'll leave the ether ») en se tenant à la frontière entre les précédents travaux de Blake, ornés de boucles vocales aériennes et de beats discrets, et la délicate tendresse qui anime maintenant sa production.
Si ce quatrième album est marqué de toutes part par la relation amoureuse de l'artiste, l'importance des nombreuses figures qui l'accompagnent ici n'est pas en reste. Assume Form offre un rôle majeur aux collaborations qui le parsèment, certaines faisant appel à d'anciennes affinités, pendant que d'autres d'aventures sur des terrains nouveaux. Les langoureuses et minimales Mile High et Tell Them ouvrent le bal, avec la rencontre, prometteuse sur le papier, entre les beats trap de Metro Boomin et l'univers éthéré de Blake. Le phrasé incisif de Travis Scott et le falsetto unique de Moses Sumney viennent respectivement compléter le tableau, que l'on peut regretter trop retenu et pas assez explosif. Ce n'est que plus loin dans l'album que les coups de maître de Blake se laissent découvrir. Côté rap, c'est plutôt la – cette fois – punchy Where's The Catch, dynamitée par le couplet du charismatique André 3000, qui remporte de loin les honneurs. La sensuelle Barefoot In The Park, où Blake est rejoint par l'artiste espagnole Rosalía, s'impose comme le second point fort de l'album. Délicat et rêveur, ce duo bilingue à la mélodie et aux arrangements minimalistes laisse à entendre un mariage des plus réussis entre ces deux voix captivantes.
Même dans les moments où il se trouve de nouveau seul, Blake se laisse ici découvrir d'une manière différente. Loin des démons qui le hantaient il y a encore peu, toujours proche d'une grande vulnérabilité qui transparaît sur Can't Believe The Way We Flow et Are You In Love?, l'artiste évolue dans un univers sonore pénétré par une lumière nouvelle qui lui avait longtemps fait défaut. Le sobre I'll Come Too est empreint d'amour et d'un désir d'être sans cesse réuni avec la personne aimée (« Oh, you're going to New York? / I'm going there / Why don't I come with you? »), défiant entre les lignes, et d'une bien belle manière, ce maladroit cliché d'un James Blake triste et fragile qui n'a cessé de suivre l'artiste.
Assume Form n'a certainement pas prétention à être un album qui bousculera les opinions de ceux qui n'ont jamais été acquis à l'univers de Blake. Son empreinte musicale si caractéristique marque encore de son aura ce quatrième disque, dont les développements restent cohérents avec son œuvre. Il ne reste pas moins passionnant de voir à quel point les démons intérieurs de Blake ont su doucement laisser place à une pure simplicité des sentiments sur cet effort. Clôturé par la sublime présence fantomatique de Lullaby For My Insomniac, l'ensemble n'en reste pas moins vibrant et plein de grâce.