Chronique Album
Date de sortie : 27.05.2022
Label : Partisan Records
Rédigé par
Bertrand Corbaton, le 24 mai 2022
Il ne vous sera pas fait affront dans cette chronique de vous vendre le sujet qui nous intéresse comme une nouveauté totale, une originalité absolue ou tout autre propos qui pourrait vous faire penser que Heart Under, second album de Just Mustard ne vous rappellera rien que vous n'ayez jamais entendu jusqu'ici.
Car les Irlandais se nourrissent de plusieurs tendances, ou influences distinctes qui sont clairement identifiables. Dans un premier temps, la voix enfantine de Katie Ball, chanteuse de la formation ne manquera pas de faire penser à certains d'entre vous à Cranes...
Peut-être vous souvenez-vous de ce groupe assez singulier qui a eu sa petite notoriété dans la première moitié des années 90 jusqu'à faire la première partie sur le Wish Tour de The Cure. Les similitudes entre Just Mustard et Cranes ne s'arrêtent pas forcément là puisque, dans une certaine mesure, les deux groupes partagent une vision commune de l'utilisation des sons secs et abrupts pour construire leurs morceaux. Mais il faut dépasser cette simple comparaison pour prendre la mesure de l'ampleur de Just Mustard. Il y a ce quelque chose qui mélange des ambiances parfois nuageuses, dilluées dans des sons froids, martiaux. Aussi, les mélodies souvent brillantes se fracassent contre des parois sonores rêches. Le tout est absolument saisissant et risque de vous bousculer du début jusqu'à la fin.
Il vous faudra vous accrocher, vous empoigner à cette chaise sur laquelle vous êtes assis quand vous écouterez Heart Under. Ce dernier est une explosion, une déflagration qui emporte tout. Parfois Just Mustard nous proposent des temps plus calmes comme sur Mirrors. Sur I Am You, le thème impulsé par cette basse lourde et ronde donne une ambiance d'une morosité folle jusqu'à ce qu'apparaissent ces sons à la limite de l'inspiration indus. Sur cette musique totalement hallucinée se balade la voix de Katie Ball, sortie du fond d'un couloir obscur. Blue Chalk est aussi nourri de ces sonorités abrasives qui donnent la couleur à tout l'album.
Sur Sore ou Seed, on retrouve une tension qui vous serre la gorge et vous remue les tripes. Les titres sont ici souvent menés sur le même schéma. Pourtant, la plongée est si immersive et intense que l'impression de redite ne pénalise pas l'ensemble. Car le tout est d'un niveau impressionnant avec quelques titres absolument assourdissants et ravageurs, à l'instar de ce In Shade démentiel, au son lourd et charpenté par une intensité folle, bénéficiant en plus d'un refrain à l'accroche incroyable. Si ce morceau est peut-être un des plus accessibles, Just Mustard ne renient en rien leurs principes et ne font aucune concession.
Sur Early, le groupe semble mettre de côté les ambiances bruitistes, au profit d'une matière plus vaporeuse. Ce n'est qu'en partie vraie car l'ambiance éthérée laisse peu à peu la place à un capharnaüm sonore qui s'entrelace ensuite avec ces nappes et cette basse minimaliste. Ce morceau absolument démentiel est peut-être une pierre angulaire entre les différentes influence du groupe. Rivers est un peu dans cette veine. Les nappes rugueuses mènent la danse et habillent les pérégrinations vocales de Katie Ball.
Début février, le groupe nous avait déjà livré Still. Ce morceau à l'intro que n'aurait pas reniée Gilla Band est intense et pesant. Il semble être renfermé sur lui, introspectif, et dégage une force folle. Ce titre, tout comme 23, est sombre au possible, et montre à quel point par ces petites structures noisy, Just Mustard arrivent à faire de la monotonie un art, du bruit une comptine.
Heart Under est absolument dans la lignée de Wednesday, premier album sorti quatre ans plus tôt. À l'époque le groupe n'avait peut-être pas reçu l'attention qui lui était due. Il est temps de rectifier cette injustice et le changement de maison de disques doit les aider dans ce sens. Il y a aussi ce petit quelque chose en plus qui prouve que le groupe s'est affirmé et est désormais sûr de son fait. Encore une fois, il y a ici trop de références connues et affirmées pour que Just Mustard ne vous rappellent pas des groupes déjà entendus. Mais tout comme King Hannah, les approches font que ces groupes sont en dehors de tout ce que vous pourrez écouter en ce moment. L'un comme l'autre ont un talent incroyable pour se nourrir d'illustres prédécesseurs et donner vie à une matière tout à fait spectaculaire. Surtout, Heart Under est un monument de densité, abrasif, rêche et fascinant. À cet égard, vous ne pouvez pas passer à côté de ce magnifique, brillant album.