Chronique Album
Date de sortie : 02.09.2022
Label : Full Time Hobby
Rédigé par
Adonis Didier, le 1er septembre 2022
Petit conseil perso dans le cas où vous auriez un jour à nommer un groupe de musique, évitez de choisir un nom disposant déjà de 111 000 000 de résultats en 0,62 secondes sur Google. Vous l'aurez compris en relevant cette page web vers le nom du groupe, nous allons parler de Pale Blue Eyes, chanson écrite autour de 1968 par Lou Reed, et présente sur le troisième album de The Velvet Underground, nommé avec originalité The Velvet Undeground. A la fois dépressive et mignonne, état d'esprit constant de tout être humain amoureux, la chanson dispose d'un tout petit peu plus de vues sur Spotify que de résultats Google, autant vous dire que les trois membres de Pale Blue Eyes, le groupe, pourraient de se sentir tout petits à côté d'un nom aussi historique de la musique rock. Le faut-il cependant ? Quand on a leur bout de talent, on a bien le droit de revendiquer une police un peu plus grosse sur l'affiche, et qui sait, peut-être arriveront-ils un jour à ce qu'on parle d'eux sur la première page d'une recherche web mentionnant leur nom (même si on n'est tout de même pas très confiant là-dessus).
Pale Blue Eyes, le groupe, donc, c'est un concept basé sur un mariage d'influences, un mariage de paysages, mais aussi un vrai mariage, entre êtres humains. Lucy « pas encore Board » vient de Sheffield, Matthew Board du Devon sud, et les deux finiront par se marier en 2018 tout en menant des projets musicaux chacun de leur côté.
Lucy est plutôt intéressée par l'histoire musicale de Sheffield et tout ce qui a trait aux synthés, comme en témoigne l'intitulé de sa thèse universitaire : « Enquête au cœur de la scène musicale alternative de Sheffield entre 1973 et 1978, avec une attention particulière portée à Cabaret Voltaire ». Les bases de la new wave, du post-punk, et de l'electro mancunienne des nineties, donc. Matthew, lui, venant de la jolie et verte région de Devon, au sud-ouest de l'Angleterre, trouve que Sheffield c'est « un peu grave moche » (source : moi), et préfère partir en balade en Islande sur les terres de Sigur Rós, jusqu'à se former aux techniques de studio avec l'ingé son officiel du groupe, Birgir Jón Birgisson, au studio Sundlaugin.
L'aventure Pale Blue Eyes, le groupe, n'est toujours pas lancée, mais débutera un peu plus tard lors du Sea Change festival de Totnes lorsque Lucy et Matt rencontreront Aubrey Simpson, un bassiste local orienté jazz et groove Motown. Le groupe investit alors son propre studio, le Penquit Mill Studio, havre de paix au cœur de la campagne anglaise, coincé entre le parc national du Dartmoor et les côtes de la Manche, toujours dans le Devon sud, avant de sortir ce premier album, Souvenirs.
Vient alors la principale question qui nous anime tous, à cet instant décisif de nos vies : cette intro beaucoup trop longue aura-t-elle un quelconque rapport avec la musique de Pale Blue Eyes, le groupe ? Eh bien oui, contre toute attente, car la musique de ces trois anglais est en réalité une synthèse de tous les mariages que leurs membres ont osé réaliser dans leur vie : la volonté d'évoquer les paysages et la vie du Devon sud, le tout avec un filtre bleu pâle froid, et une musique emplie de synthés pop venus de Sheffield et de post-rock islandais.
Débute alors l'écoute, l'ambiance est dynamique, synthétique, aérienne, dansante, planante, excellement dream et synth pop sur les quatre premiers titres de l'album, lesquels sont aussi quatre des cinq singles sortis par le groupe. Le tempo ne s'arrête jamais, ça bat, et la voix de Matthew se balade dans l'écho, comme une bonne partie des instruments. Les synthés, mi-rétros mi-futuristes, tapissent le fond sonore autant qu'ils assurent les lignes mélodiques. Les petits effets, samples de voix, boucles infinies, et transitions woosh sont de la partie. On sent que le temps passé en studio à élaborer un tel mille-feuille a été conséquent, et on comprend mieux l'investissement immobilier réalisé pour en posséder un. De ces titres, on retiendra le groove futuristico-vintage de Dr Pong, la douceur lumineuse de Little Gem, ainsi que la fantastique ligne de « on dirait du thérémine » de TV Flicker.
Passé les singles, la seconde partie de l'album devient moins ouvertement pop, légèrement plus lente, l'ambiance shoegaze post-rock planante s'assume à pleins poumons, même si les claviers à la Kraftwerk et les vocations dansantes ne sont jamais bien loin. Star Vehicle, dernier single de l'album, fait office de trempage de mollet dans la piscine d'écho, alors que tout ce beau monde s'envole dans l'espace. Under Northern Sky en profite et nous dépose dans le ciel Islandais, en pleine aurore boréale, zénith lunaire d'un album qui ressemble de plus en plus à un lever de soleil sur une campagne anglaise givrée par un magnifique matin d'hiver, admiré à travers les vitres haute définition de votre automobile volante et parfaitement autonome. Enfin, Chelsea clôt délicatement la balade pour nous laisser retomber dans ce qui n'était peut-être, depuis le début, qu'un rêve.
Résultat des courses ? Pale Blue Eyes ce n'est finalement pas qu'une chanson écrite par Lou Reed il y a cinquante-trois ans à propos d'une fille aux yeux noisette. C'est aussi un groupe. C'est aussi une alchimie complète entre Sigur Rós et Kraftwerk, composée par les Stone Roses, et jouée par un groupe pop à la fois moderne, rétro, et futuriste.