Chronique Album
Date de sortie : 10.02.2023
Label : 4AD
Rédigé par
Adonis Didier, le 9 février 2023
C'est l'histoire d'une petite ville. Une petite ville à l'apparence tranquille, pour ne pas dire qu'on s'y fait quand même bien chier. Pas assez rurale pour la campagne, pas assez urbaine pour la métropole, notre petite cité médiévale se voit tiraillée entre deux mondes qui semblent de moins en moins bien se comprendre, et peine à trouver sa place. Non je ne parle pas de la petite bourgade de Fougères en Bretagne, mais bien de Truro, capitale méconnue des Cornouailles, et ville d'origine de Benjamin Woods, plus connu sous le nom de the GOLDEN DREGS. Enfin, plus connu, façon de parler. Déjà auteur de deux albums, dont un Lafayette aux airs de groupe de country-blues-rock gallois en 2018, suivi l'année d'après par un Hope Is For The Hopeless révélant déjà le Benjamin auteur-compositeur plus solitaire et émotionnellement investi, le voici revenir juste avant la Saint-Valentin via le label 4AD pour une plongée encore plus immersive dans les ennuis et les tribulations de sa Cornouailles natale, entre Brexit, crise du logement, et vacances à PortAventura.
Une plongée abyssale accompagnée par la voix à la fois chaude et caverneuse de Benjamin Woods, une voix à rendre jaloux Barry White qui se voit magnifiée par une production épurée et des compositions axées autour de cet organe basse, soutenu avec parcimonie par de douces lignes de piano, quelques cuivres d'ambiance, et une épisodique guitare acoustique. Sans oublier le contrepoint parfait offert par ces chœurs féminins sur les plus beaux refrains de l'album, remplissant l'espace fréquentiel comme l'on peindrait le ciel sur une toile portant déjà l'océan à son bas.
Ainsi, On Grace & Dignity comporte, pour peu que vous lui offriez le temps de vous convaincre, de merveilleuses douceurs de soul-pop laissant Benjamin Woods crooner sur ses thèmes les plus feel good (non), le tout pondu par des sessions d'écriture en confinement et crise COVID-19, et enregistré entre moults murs de plaids et de couvertures dans une chambre de la maison familiale, Benjamin ayant dû, dans le même temps, revenir vivre chez ses parents et travailler sur des chantiers pour gagner sa vie. Un album qui porte donc en lui la trace des maux et des galères récentes d'une Angleterre rurbaine prise dans un Brexit indésiré, avec à sa tête un (ex-)premier ministre à l'air de Benny Hill particulièrement décoiffé.
Un album mst en maquette et en pochette par Edie Lawrence, modéliste et réalisatrice très prisée de la scène indé anglaise (IDLES, Warmduscher, Katy J Pearson...), dans le but d'offrir un relief supplémentaire aux actes et lieux dépeints dans chaque chanson, ainsi qu'un petit jeu rigolo pour qui souhaite s'amuser à relier chaque scénette présente sur la pochette à la chanson qui l'a inspirée.
En parlant des chansons, American Airlines introduit le film, et nous raconte comment les plus chanceux d'entre nous vivent leur routine cinquante semaines par an pour enfin partir deux semaines au soleil et tout recommencer l'année suivante. How It Starts s'insurge, elle, de la sur-urbanisation et du capitalisme acharné menant le monde, ne laissant plus que rage et violence pour briser le statu quo, une rage que Benjamin Woods appelle de tout son calme grave et serein, flegme britannique oblige. Not Even The Rain et Vista poursuivent la démarche paisible de ce brûlot réchauffant doucement le jacuzzi, pamphlet enrobé de miel observant les adolescents mettre le feu aux résidences secondaires des vieux bourgeois et jeter des pavés dans les vitrines des enseignes de luxe.
Pic musical de l'album, Vista nous démontre les talents de compositeur pop de Benjamin Woods, tant et si bien que l'on aurait sans doute aimé remplacer une timide et un poil trop longue Josephine par ce même genre d'appel du pied à la danse. Car si la présence de Sundown Lake en fin d'album aide à la dynamique générale, on regrettera tout de même un album trop doux dans son ensemble, trop réservé, qui aurait pu mériter quelques variations stylistiques plus enlevées pour s'imposer comme l'un des albums phares du début d'année. Nonobstant nos pinaillages, Benjamin Woods a tout de même su faire de ce troisième album de the GOLDEN DREGS une référence pour tous les crooners du 21ème siècle, et une parfaite musique d'ambiance pour vos siestes d'été ensoleillées ou vos affrontements rugueux mais sports avec les forces du maintien de l'ordre.