Speech Debelle

La vie de Corynne Elliott, aka Speech Debelle, est un de ces helter-skelter dont raffolent le plupart les scénaristes en panne d'inspiration, qu'ils officient à Hollywood ou à la BBC Four. Née à Londres en 1983 au sein d'une famille de la classe moyenne, devenue sans domicile fixe à l'âge de dix-neuf ans, Corynne a ensuite été signée chez Big Dada, la division hip-hop de Ninja Tune, le mythique label fondé en 1990 par le duo Coldcut, avant de devenir lauréate du prestigieux Mercury Prize en 2009 â tout juste 25 ans pour son premier album, Speech Theory. En 2012, la rappeuse anglaise confirme son coup d'éclat originel avec son excellent second opus, Freedom Of Speech, avant que son single Spinnin ne soit retenu, dans une version remixée quelque peu douteuse, comme un des hymnes officiels des jeux olympiques de Londres.

Après ces deux premiers albums de haut vol, qui n'ont cependant pas rencontré le succès commercial mérité bien qu'ils aient été largement salués par la critique, son troisième album paru en 2017, Tantil Before I Breathe, décevant et peu inspiré est passé presque inaperçu. On n'attendait donc pas grand-chose en 2023 d'un nouvel album de Speech Debelle, ancien grand espoir du hip-hop anglais trop vite disparu des radars tel un vulgaire Andy Carroll, cette grande tige de Newcastle qui après avoir enquillé les buts pendant deux saisons a été vendu plus de quarante millions d'euros à Liverpool avant de sombrer dans l'oubli le plus total.

Cependant les quelques singles parus ces deniers mois nous avaient mis la puce à l'oreille. Et si nous étions tout simplement en train d'assister au comeback d'une artiste dont nous avions perdu la trace depuis plus de dix ans ? On devrait pourtant le savoir, quand une puce se donne la peine de faire le voyage dans le simple but de venir nous titiller le lobe auriculaire, elle le fait rarement pour rien. Vous l'aurez donc compris, le quatrième album de Speech Debelle, Sunday Diner On A Monday, est une excellente surprise qui voit la révélation du hip-hop anglais de 2009 revenir à son meilleur niveau.

On retrouve sur les premiers titres de ce quatrième album sa marque de fabrique, à savoir un hip hop old-school à l'orchestration live et aux influences soul et RnB, comme sur le jazzy et mélancolique Away From Here où la voix aujourd'hui plus grave et légèrement éraillée de la rappeuse évoque la grande Macy Gray. Mais Speech Debelle a également su faire évoluer son style en s'aventurant vers des sonorités plus synthétiques (le beau Susu) voire parfois franchement électroniques (le très club 101010). Désormais son flow se fait plus tranchant, plus agressif et ses titres plus sombres et plus nerveux (le tendu et vibrant Exercise). C'est d'ailleurs ce qui manquait à ses premiers albums qui malgré quelques indéniables réussites finissaient par lasser par leur aspect trop mièvre et naïf. A quarante ans, l'anglaise est devenue plus mature mais également plus dure et l'ère de son rap feel-good et insouciant est maintenant révolu. Ce nouvel opus aurait peut-être gagné à être un peu plus ramassé car trois ou quatre titres dispensables viennent faire baisser la moyenne générale d'un disque porté par les brillants 101010, Susu et Exercise et qui atteint son point d'orgue avec Wayward, morceau épuré et d'apparence simple avec sa petite boucle de guitare et son beat métronomique mais sur lesquels la rappeuse appose un flow rap presque chanté, à la fois doux et percutant, totalement imparable.

Sans atteindre le niveau des cadors actuels du genre tels que Little Simz, Kae Tempest ou Loyle Carner, Sunday Dinner On A Monday marque le retour en grâce de Speech Debelle qui, après une jeunesse mouvementée et un début de carrière flamboyant suivi d'une longue traversée du désert, a décidé d'enfin reprendre le scénario pour continuer à écrire son histoire.