Chronique Album
Date de sortie : 11.08.2023
Label : Warner
Rédigé par
Franck Narquin, le 10 août 2023
« I've heard people go "oh you never go back to Knebworth, when it's done it's done", and I'm like "Well I do you fucking shit bags !" ». Arrogant, immature, charismatique, pathétique, courageux, indolent, flamboyant, cramé, demi-dieu, ringard, working-class hero, milliardaire, brillant, poussif, icône générationnelle, sale gosse, génie, escroc. Que n'a-t-on écrit depuis près de trente ans au sujet de Liam Gallagher ? Quel superlatif ne lui a jamais été accolé ? On a tout dit, tout écrit sur Liam Gallagher. Et pour cause car même si le lad mancunien est loin d'avoir le talent de Damon Albarn, la plume de Jarvis Cocker ou le sens du songwriting de son frère Noel, il leur est tous supérieur en un point, un seul mais tellement crucial : Liam est la dernière des rockstars. Alex Turner ? Julian Casablancas ? Pete Doherty ? De sacrés artistes, mais pas de rockstars de la stature de Liam. C'est comme ça et pas autrement. Messi pourra être aussi bon qu'il veut, gagner autant de coupes du monde qu'il peut (ou que la FIFA lui livre sur un plateau), il ne sera jamais l'égal de Diego Maradonna. On nait rockstar, on ne le devient pas (oui je me permets une petite phrase à l'emporte pièce sans aucun argument et en plein dans le cliché ! Mais c'est l'été, c'est comme ça et pas autrement).
Pour les plus distraits d'entre vous, ceux qui sont nés après 2009 ou ceux qui se demandent simplement qui est ce Liam Gallagher dont on parle depuis le début de l'article, revenons quelques années en arrière. Début 1991, quelques « ordinary guys » de Manchester, Bonhead, Guigsy et Tony McCarroll fondent un groupe nommé The Rain avec au chant Chris Hutton qui rejoindra vite Pete Best (le premier batteur des Beatles) au panthéon des losers de l'histoire du rock ‘n' roll car vite remplacé par un certain Liam Gallagher. Quelques semaines plus tard son frangin Noel, alors roadie des Inspiral Carpets, rejoindra le groupe qui prendra le nom d'Oasis. Vous connaissez la suite de l'histoire. Histoire qui s'achevera le vendredi 28 août 2009 vers vingt-deux heures dans le parc de Saint-Cloud. Après avoir enchainé en quelques heures les concerts de Yeah Yeah Yeahs, Passion Pit, Madness, Vampire Weekend et Bloc Party, les festivaliers s'amassent devant la grande scène de Rock en Seine pour assister au clou de la soirée, la prestation tant attendue des frères Gallagher. Prestation qui n'aura jamais lieu, un organisateur du festival lisant à la place un court communiqué « Liam et Noel se sont battus, le groupe Oasis n'existe plus, ne jouera pas ce soir et annule le reste de sa tournée européenne ». Le public gronde et hue, il vient pourtant d'assister à un moment historique, peut-être le plus beau split de l'histoire du rock. Le deux frères avaient simplement constaté que la planète terre était déjà trop fragile pour porter à elle seule les égos des deux frères ennemis.
Le 25 août 2018, Liam reviendra à Rock en Seine, indiquant au passage que les loges lui sont étrangement familières et dédiant même à son frère une belle version au piano de Champagne Supernova. Si l'ironie était ici de mise, on sait bien qu'au fond Liam ne rêve que de ça, une reformation d'Oasis. Cinq ans plus tard, le 19 mai 2023, il postera même sur son compte Instagram « Si Manchester City gagne la Ligue des Champions, j'appelle mon frère et je relance ce putain de groupe avec lui ». Quelques semaines après, l'équipe de Pep Guardiola célèbrera son titre en chantant à tue-tête Wonderwall dans le vestiaire mais Liam ne décrochera pas son téléphone et préférera supprimer son post. Oasis ne se reformera sans doute jamais et c'est tant mieux car après avoir signé entre 1994 et 1995 deux chefs d'œuvres de pop-music indépassables, organisé un concert légendaire l'année suivante à Knebworth puis commis le split parfait, ou tout du moins le plus « oasissien » possible, que pourrions-nous attendre aujourd'hui de la reformation d'un groupe qui avait déjà en 2009 des airs de grosse cylindrée à court d'idée tout juste bonne à vendre des hectolitres de bières à des touristes de passage dans des stades de foot ?
Knebworth à été le lieu de nombreux concerts historiques du rock anglais mais peu ont eu le poids et la résonance des deux soirées d'août 1996 au cours desquelles Oasis se produisaient devant plus de 250 000 fans, marquant ainsi l'apogée du groupe mais également le début de son inévitable déclin. Oasis étaient alors sur le toit du monde, avaient gagné haut la main la guerre Britpop (en tout cas d'après les chiffres), rien ne pouvait leur résister mais comment aller plus haut ? Après ce triomphe, Oasis perdront peu à peu de leur superbe, sortant des albums plus ou moins inspirés, souvent sauvés par un ou deux coups d'éclats. La plus grand groupe du monde devenant peu à peu un feuilleton à base de Rolls Royce Chocolat, de déluge de drogues et d'alcools et de guerre fratricide. Caïnet Abel au pays des Kardashian en quelque sorte.
Tenter de retrouver cette magie perdue, vingt-six ans après et sans son frère, était objectivement une idée catastrophique. Mais l'avis des gens restera toujours le cadet des soucis du cadet des Gallagher. On l'aime aussi pour ça ! Il ne fallait pas le faire, il l'a fait et 170 000 personnes l'ont suivi pour un résultat ni honteux, ni magique, juste deux belles soirées de rock, et c'est déjà pas si mal. Les premières parties étaient assurées par Kasabian (les deux soirs) ainsi que Goat Girl, Amyl and the Sniffers, Fat White Family et Michael Kiwanuka, prouvant que le mancunien (ou son entourage) porte encore une oreille attentive et aiguisée sur la scène indé anglaise.
Chacun pourra se faire son avis sur l'utilité d'un tel disque live. On préférera tout de même réécouter la captation d'Oasis datant de 1996 ou leurs deux premiers albums mais le disque comporte tout de même quelques moments de grâce comme l'inévitable Wonderwall, poignante communion avec le public ou le flamboyant More Power et son mantra "Is this what you came for ? This is what you came for" répété en boucle par un Liam jouant aux gourou et rendant fou de joie ses milliers d'adeptes. Mais le moment le plus touchant reste quand pour son ultime morceau Champagne Superonova, Liam appelle « the coolest man on the planet, Rock ‘n' Roll John fucking Squire ». Liam et le guitariste des Stone Roses, le groupe qui a allumé la flamme chez le jeune anglais en final de Knebworth 22 et qui, après avoir clos Knebworth 96 par une reprise de I Am The Walrus des Beatles semble ainsi boucler la boucle en célébrant ses idoles John Fucking Lennon et les fucking Stone Roses.
Knebworth 22 est-il le chant du cygne d'un artiste sur le déclin ou la résurrection d'un phénix ? La réponse revient au principal intéressé « I've heard people go "oh you never go back to Knebworth, when it's done it's done", and I'm like "Well I do you fucking shit bags !" ». CQFD.