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The Streets

The Darker The Shadow, The Brighter The Light

The Streets - The Darker The Shadow, The Brighter The Light
Chronique Album
Date de sortie : 13.10.2023
Label : 679 Recordings / Warner Music
4
Rédigé par Franck Narquin, le 11 octobre 2023
Le 25 mars 2002, soit moins d'un an après la première accession d'un membre de la famille lepen au second tour de l'élection présidentielle et l'acte de décès de la gauche française, Mike Skinner, un jeune homme de vingt-trois ans, alors inconnu des services de police et de presse musicale, natif de Birmingham, désormais domicilié dans le sud de Londres et pur produit de la « lower middle-class » anglaise, sortait sous le pseudonyme The Streets son premier album intitulé Original Pirate Material. Nourri autant au UK Garage qu'au hip-hop US, ce disque s'imposera sans mal comme une des pierres angulaires du rap anglais, acte fondateur de la scène grime, annonciateur du son de la décennie à venir et porte-parole des tous les « chav » du Royaume (ndlr : groupe social typiquement britannique, qu'on pourrait définir comme un mélange de cailleras, deschiens et cagoles). Bien plus qu'un chef d'œuvre, cet album, qui est au rap UK des années 2000 ce que The Velvet Underground & Nico est au rock arty et underground new-yorkais, assure à tout jamais à The Street une place dans la pop-culture anglaise.

Parti de tout en haut, Mike Skinner enchaînera pourtant sans mal et sortira ensuite trois excellents albums au rythme d'un tous les deux ans, dont le brillant A Grand Don't Come for Free porté par le tube Fit but You Know It, petit frère de Park Life de Blur, prouvant ainsi que la « Cool Britannia » ne se soucie guère du genre tant les contours entre Britpop (Blur), post-punk (Yard Act) ou rap (Sleaford Mods ou The Streets) peuvent être flous. Alors qu'il filait sur l'autoroute du succès, Mike tombera malheureusement sur une impasse en 2011 avec son cinquième album Computer And Blues. Après avoir tout donné, le réservoir créatif de The Streets semble épuisé et sa tentative pour renouveler son style tombe à l'eau. Sur les rotules, Mike Skinner décide alors de mettre le projet The Streets en sommeil.
Dès 2017, Mike Skinner sortira sous le pseudonyme The Darker The Shadow The Brighter The Light quelques morceaux, réunis en 2021 sur une mixtape intitulé The Streets, a l'apparence de simples démos, peu mixées ou produites, mais qui retrouvaient l'esprit originel du projet, à la fois drôles, inspirés et efficaces. En 2019, The Streets refoulera à nouveau la scène pour des concerts sous forme de Best Of nostalgiques mais qui nous laisseront penser que l'histoire n'était pas terminée, tant l'anglais paraîssait requinqué après sa longue pause et « en avoir encore sous la pédale » (ndlr : pour les moins de trente ans, ceci est une expression utilisée uniquement par les parents des boomers, nés juste après la deuxième guerre mondiale et qui sont eux les vrais baby-boomers, mais je sais bien que le simple faite de tenter d'expliquer cela fait de moi un gros boomer). Malheureusement son projet de 2020, None Of Us Are Getting Out Of This Life Alive, avec ses quatorze featurings en douze titres, douchera nos ardeurs, tellement il semblait nous dire en permanence « j'ai des amis cools (Tame Impala, Idles ;..) mais plus trop d'idées ».

On avait cru à un comeback, on était donc déçu. Ce qu'on ignorait c'est que, depuis sept ans, Mike Skinner travaillait dans l'ombre sur un projet de longue haleine. Car en plus d'un album, The Darker The Shadow The Brighter The Light (qu'on appellera aussi ici TDTSTBTL pour faire « un peu » plus court) est également un film écrit, réalisé, tourné, monté et financé par l'anglais, qui a aussi bien entendu composé la bande-originale. On ne voit que Quentin Dupieux pour assurer à lui seul autant de postes sur un film, bien que le rythme du génie français barbu soit plutôt d'un film tous les sept mois. Si The Darker The Shadow The Brighter The Light est le premier réel album de The Streets depuis douze ans, tel LL Cool J., Skinner semble pourtant nous dire « Don't call it a comeback, I been here for years ».
Avec cet album, The Streets n'ambitionne pas de plier le game du hip-hop anglais, d'ailleurs le gars n'en a pas besoin car c'est lui-même qui en fixé les règles et les standards il y a plus de vingt ans avec Original Pirate Material (« your're listening to The Streets »). Ce qu'il recherche ici est plutôt de retrouver l'énergie et le plaisir de ses débuts, redevenir un amateur, un débutant. Car Mike Skinner avait perdu ce feeling qu'il pensait ne jamais perdre, un constat que Damon Albarn qualifie de « barbaric ». C'est donc la grande et bonne nouvelle de ce projet, TDTSTBTL est avant tout un très bon album de The Streets sur lequel Mike retrouve toute sa gouaille et sa fraicheur, composé de morceaux dont on ne peut dire s'ils datent de 2002 ou de 2023 tant presque tous pourraient figurer sur son premier LP sans qu'aucun ne semble daté. La mode du rap actuel faisant la part belle aux instrumentaux électroniques et clubs, le style The Streets, qui est depuis toujours inextricablement lié au dancefloor et où s'entremêlent des vagues de basse, de garage et de house, n'a pas pris une ride et chaque titre frappe dans le mille.
Comme le faisait remarquer récemment Adonis Didier, le Daniel LaRusso de Sound of Violence, il suffit parfois d'une seule écoute du premier titre d'un album pour savoir qu'il va être bon. Rassurez-vous, on pousse en général le travail un peu plus loin. Ainsi Too Much Yayo nous plonge directement sur la piste d'un nightclub surchauffé, les yeux aveuglés par la lumière saccadée des stroboscopes, le cœur battant au rythme effréné des beats et le postérieur se déhanchant sans relâche sous l'effet d'une ligne de basse aussi addictive que sensuelle. Pas de doute possible, The Streets est de retour et l'album s'annonce sous les meilleurs auspices, voici déjà une affaire de pliée.

Alternant les bangers club (Money Isn't Everything, Not A Good Idea, Kick The Can) et les ambiances électroniques sombres et posées à la Kae Tempest (Shake Hands With Shadows, Funny Dream, Someone Else's Tune), The Streets n'hésite pas à s'aventurer sur des terrains plus pop (Walk Of Shame) ou à renouer avec sa passion dub (Something To Hide). Comme à ses plus belles heures, l'anglais sait varier les ambiances tout en conservant une cohérence globale, on passe ainsi sans heurt des sonorités fifties du titre éponyme The Darker The Shadow The Brighter The Light à la soul enfumée de Gonna Hurt When This Is Over. Les fans de la première heure verront leurs poils des bras s'hérisser dès les premières notes de Troubled Waters dont la soul orchestrale toute en emphase provoque une émotion jubilatoire presque comparable à celle qui nous saisissait il y a vingt-et-un ans à l'écoute de Turn The Page, premier titre de son premier album et dont la première écoute avait suffi à nous faire comprendre du phénomène auquel nous allions assister et pliait ainsi l'affaire.

On a connu Mike Skinner flamboyant en 2002, adulé en 2004, cramé en 2011, en charentaises en 2020, le revoilà fit comme jamais en 2023. Une chose est sûre, avec The Streets, la piraterie n'est jamais finie !
tracklisting
    01. Too Much Yayo
  • 02. Money Isn't Everything
  • 03. Walk Of Shame
  • 04. Something To Hide
  • 05. Shake Hands With Shadows
  • 06. Not A Good Idea
  • 07. Bright Sunny Day
  • 08. The Darker The Shadow The Brighter The Light
  • 09. Funny Dream
  • 10. Gonna Hurt When This Is Over
  • 11. Kick The Can
  • 12. Each Day Gives
  • 13. Someone Else's Tune
  • 14. Troubled Waters
  • 15. Good Old Daze
titres conseillés
    Too Much Yayo - Not A Good Idea - Troubled Waters
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