Pour les fans de ces groupes, la surprise a dû être de taille en apprenant la collaboration des anciens batteurs de The Cure et Siouxsie And The Banshees, et de l'immense producteur Jacknife Lee. Il faut dire que Lauwrence 'Lol' Tolhurst ne s'est pas vraiment fait remarquer par son activité musicale ces dernières années. Son groupe Presence a disparu presque aussi vite qu'il est arrivé, et son duo avec sa compagne Cindy Levinson sous le nom de Levinhurst reste définitivement discret. Pourtant, Lol Tolhurst, membre fondateur des Cure, reste profondément aimé par les fans, notamment en raison de sa personnalité attachante.
C'est au final derrière la plume que Lawrence Tolhurst s'est le plus distingué. Sa biographie Cured, The Tales Of Two imaginary Boys est un formidable témoignage de sa vie, de son histoire chaotique au sein des Cure, et éclaire utilement les passionnés de cet immense groupe. Depuis 2021, il anime avec Budgie Curious Creatures, un podcast sur lequel les deux comparses évoquent le post punk. C'est précisément ici que va se matérialiser l'envie de du projet en commun dont il est ici question. Après quelques tâtonnements, Lol et Budgie vont se rapprocher de Grant « Jacknife » Lee. Ce dernier va aider à mettre en forme les idées des deux batteurs.
C'est surtout grâce à lui que Los Angeles rassemble tant d'artistes de divers horizons, contactés en partie durant le COVID-19, alors qu'une partie du monde était à l'arrêt, et que nos trois artistes se retrouvaient avec des instrumentaux enregistrés sans plus trop quoi savoir faire. Du beau monde va donc répondre positivement à l'appel, comme Bobby Gillespie qui, en bon fan des Cure et des Banshees, pose sa voix sur This Is What It Is (To Be Free) et sur l'inquiétant Ghosted At Home qui ne manquera pas d'évoquer à certains les sonorités du XTRMNTR des Primal Scream. Sur le flamboyant Country Of The Blind, se dévoile une matière à la fois lumineuse et sulfureuse. Ces trois collaborations avec l'écossais sont des réussites. Les titres de Los Angeles sont impulsés par l'omniprésence des percussions, électroniques ou organiques. Elles agissent en réel fil conducteur dans cette traversée de la cité des anges.
Elles s'y dévoilent furieuses et tribales sur l'absolument remarquable Bodies, peut-être la pièce la plus enthousiasmante de tout Los Angeles. La voix sauvage et possédée de Lonnie Holley vous plonge dans l'immensité d'une jungle urbaine tourbillonnante qui sied parfaitement à l'idée que vous pourriez vous faire de LA. À la fin de toute cette agitation, le soleil se couche et l'impression de calme qui tombe sur la ville est illustré admirablement par l'artiste locale Mary Lattimore. Elle décrit l'ensemble de la scène de sa harpe avec quelques notes lumineuses. C'est absolument sublime. Un grand moment.
Sur le crépusculaire Noche Oscura, Jacknife Lee a encore fait jouer ses connaissances puisque The Edge est convié pour quelques arpèges et larsens. Ce titre sombre prend des airs abrasifs et denses sous la main du guitariste de U2. Il lui donne une ampleur que la simple approche électronique n'aurait peut-être pas pu apporter. Là encore c'est vraiment très réussi. Avec Train With No Station, la collaboration de The Edge n'apparaît pas aussi évidente, et cette petite pièce électronique ne procure pas plus d'intérêt que cela.
James Murphy est l'autre grosse tête d'affiche de cet album. Pas vraiment une surprise puisque c'est lui qui pose sa voix sur le single Los Angeles sorti quelques semaines plus tôt. Ce titre électronique noir pose un constat implacable sur une ville qui phagocyte, absorbe les êtres qui l'habitent. Le climat anxiogène est mis en évidence par le chant nerveux du fondateur de LCD Soundsystem. Ce sentiment est également présent sur Skins, où James Murphy remplit l'espace d'une tension irrespirable, jusqu'à la délivrance, le bout du tunnel, la lumière prend la place de la grisaille. C'est très bien mené et tient parfaitement debout.
Le nerveux Uh Oh permet la rencontre entre Arrow de Wilde, jeune chanteuse des locaux de Starcrawler, et Mark Bowen d'IDLES. Ce titre rageur à la rythmique tribale est servi par les excentricités de Bowen dont les saturations de guitare naviguent de part et d'autre. Il est assez surprenant de retrouver un musicien d'IDLES dans ce patchwork, pourtant, on apprend plus loin que Joe Talbot aurait dû lui aussi participer à Los Angeles si son agenda personnel n'en avait pas décidé autrement.
Enfin, difficile de ne pas mentionner la présence de Isaack Brocke, leader de Modest Mouse qui apporte un chant fiévreux sur l'agité We Got To Move, titre qui n'aurait pas vraiment dépareillé sur un album de Gorillaz. Ces excellentes impressions sont néanmoins atténuées par des passages fortement dispensables à l'image de l'instrumental Everything And Nothing, ou de Travel Channel, et de son intro à la The Glove qui mène malheureusement à une impasse.
Voici donc l'étonnant album que nous présente ici le trio Lol Tolhurst x Budgie x Jacknife Lee. Il se révèle être une pièce plutôt singulière de part sa conception, mais aussi par la musique proposée. D'aucuns avanceront que le concept est déjà largement importé par Damon Albarn avec Gorillaz, et disons-le sans ambages, Los Angeles ne marquera pas de façon indélébile le monde de la musique. Mais telle n'est pas son intention, ni son intérêt. Il représente la concrétisation du projet de deux légendes du post-punk de la première génération, unis par leur amitié et leur désir de se faire plaisir, sous la direction du chef d'orchestre Jacknife Lee. Aussi, il est une photographie d'une ville, de son foisonnement, et laisse un terrain d'expression à quelques artistes pour la plupart résidents de Los Angeles, désireux d'apporter leur sensibilité, leur vision au travail du trio. Rien que pour cela, ce témoignage mérite plus qu'un jugement irrévocable d'un album patchwork, néanmoins cohérent, mais qui affiche cependant ses limites.
tracklisting
01. THIS IS WHAT IT IS (TO BE FREE) (with BOBBY GILLESPIE)
02. LOS ANGELES (with JAMES MURPHY)
03. UH OH (with ARROW DE WILDE and MARK BOWEN)
04. GHOSTED AT HOME (with BOBBY GILLESPIE)
05. TRAIN WITH NO STATION (with THE EDGE)
06. BODIES (with LONNIE HOLLEY and MARY LATTIMORE)