Chronique Album
Date de sortie : 26.01.2024
Label : XL Recordings
Rédigé par
Bertrand Corbaton, le 23 janvier 2024
La propension de Thom Yorke et Jonny Greenwood à se replonger dans le travail avec The Smile si peu de temps après A Light For Attracting Attention n'est pas réellement de nature à rassurer les fans de Radiohead, qui doivent commencer à se demander s'ils verront de si tôt un successeur au merveilleux Moon-Shaped Pool, sorti en 2016. Mais après tout, entre le premier album et ce Wall Of Eyes qui nous est aujourd'hui dévoilé, ceux d'entre vous qui réclamaient de Radiohead un retour à des structures plus épurées ont de quoi se réjouir, tant The Smile apparaît ici encore comme une version dépouillée de ce que le quintet pouvait produire. The Smile a quelque chose des anciens Radiohead, et ressemble parfois aux pérégrinations solo de Thom Yorke.
Wall Of Eyes est un prolongement assez logique de A Light For Attracting Attention, reprenant les ingrédients qui caractérisent ses ambiances si particulières. Pas de nouveauté dans le line-up du trio (Thom Yorke, Jonny Greenwood, Tom Skinner) désormais chapeauté par Sam Petts-Davies. Pourtant, le saxophone de Robert Stillman fait son apparition, et marque de son empreinte l'incroyable Teleharmonic, pièce absolument sublime de ce nouvel album. Il se dégage de ce morceau une mélancolie sud-américaine totalement déchirante, magnifiée par le chant de Thom Yorke. Voici ce que l'artiste peut nous amener de meilleur tant dans l'idée que la réalisation. Vous avez ici un grand moment de musique et d'émotion.
Sur Wall Of Eyes, les velléités de circonscrire à l'essentiel, d'aller au but en s'évitant les détours et les chemins de traverses sont toujours d'actualité, mais jamais l'exigence n'est mise de côté. Surtout, ne pensez pas que l'axiome du trio est de tout simplifier, comme une évidence ou une ligne de conduite dont on ne dévierait pas. À cet égard, le titre éponyme est limpide quant aux intentions du groupe. Tout aurait pu se borner à une ballade simple à la guitare acoustique. Pourtant, Wall Of Eyes prend de l'ampleur et dévoile son enveloppe qui s'agrège peu à peu autour de la structure du morceau. C'est brillant.
Bien sûr, la formation en trio explique le choix d'aller à l'essentiel, rend plus complexe la densité de la musique de certains albums de Radiohead. Pourtant, la structure alambiquée de Under Our Pillows fait vite comprendre qu'il n'est pas question de s'emparer de l'espace par facilité. The Smile proposent un ensemble qui évolue en total déséquilibre, toujours à la limite de la rupture. Le sentiment de paix est remis en question par cette nappe qui monte crescendo et semble vous happer tel un trou noir. L'impression est similaire sur le torturé et angoissant Read The Room et son final qui évoquera à certains les lignes de guitare d'Adam Jones de Tool.
Ces moments d'insécurité sont contrebalancés par des pièces bien plus apaisées à l'image de ce Bending Hectic qui élève le travail sur les mécaniques de guitare au rang d'art. Au départ calme et pondéré, le morceau devient fiévreux et s'emballe pour terminer en tumulte. Ce titre avait déjà été présenté cet été et n'est pas une surprise. Au final il est un assez bon condensé de ce qu'est Wall Of Eyes.
Le reste ressemble à une caresse. Le magnifique I Quit est une longue contemplation. Le sentiment d'immobilisme brumeux est compensé par la créativité débordante du morceau et ces nappes qui sont autant de reflux de vagues. Elles habillent la rythmique et le jeu minimaliste de Greenwood. Sur Friend Of A Friend, titre présenté en single, l'ambiance jazzy ne masque pas des réflexes propres à Radiohead. C'en est presque trop évident. Pourtant, tout tombe juste. La volonté de ne jamais s'engoncer dans la facilité est une nouvelle fois évidente dans ce titre épuré et pourtant fourmillant d'idées.
You Know Me clôture l'ensemble tel un chuchotement. Thème simple au piano et voix tout en retenu, cette petite pièce nue ne retiendra peut-être pas forcément votre attention. Pourtant, elle referme Wall Of Eyes remarquablement, comme l'on referme une parenthèse, comme l'on pousse la porte de la chambre d'un enfant qui dort.
Au final, Wall Of Eyes n'est pas réellement une surprise. C'est un très bon album, comme souvent dans les différents projets de Thom Yorke, quelle que soit leur forme. Cet album est dans la continuité de A Light For Attracting Attention, mais amène suffisamment de nouvelles idées pour éviter une redite dommageable. Bien sûr, le style pourrait ennuyer certains d'entre vous par les longueurs, les passages étirés parfois à l'excès, mais c'est ici la touche de The Smile, et quoi qu'il en soit, le groupe nous propose ici un des albums marquants de ce début d'année.