Après Fontaines D.C. en 2022, The Murder Capital en 2023, c'est donc au tour d'IDLES de revenir sur le devant de la scène en ce début d'année 2024 avec un nouvel LP, comme si les locomotives du post-punk UK se suivaient dans une cadence des plus régulières. Joe Talbot, l'incontournable frontman de la formation de Bristol, trouvera certainement ici de quoi nous rappeler qu'IDLES n'est pas un groupe de post-punk.
Pourtant, en considérant que nos oreilles ne nous jouent pas des tours, s'il était possible de s'accorder sur une ébauche de définition du post-punk contemporain comme un courant qui prend ses origines dans la musique punk, et post-punk de première génération représentée par The Fall ou Wire, IDLES trouveraient grand peine à se sortir de cette petite case dans laquelle on souhaite les classer sans volonté de leur nuire. Voilà possiblement le nœud du problème, et il n'est peut-être pas tant question de renier des influences que de refuser l'enfermement dans un carcan qui empêcherait l'auditeur de s'ouvrir à des expérimentations qui dépassent le simple cadre d'un seul style musical, si large soit-il.
À cet égard, la palette technique de IDLES ne laisse aucun doute sur la question, car depuis ses débuts jusqu'à aujourd'hui avec TANGK, jamais le groupe ne nous a ressorti la même rengaine, ou plutôt, a toujours pris soin de surprendre son petit monde. Certes, on retrouve dans toutes leurs productions la rage et la nervosité comme deux axiomes intangibles qui agissent comme dénominateur commun.
Les deux premiers EPs (Welcome et Meat) sont considérés à tort comme un faux départ. Quelle hérésie tant des morceaux comme 26/27, Meydei ou Romantic Gestures sont absolument remarquables. Il faudra attendre le LP Brutalism en 2017 et sa suite logique Joy As An Act Of Resistance (2018) pour qu'IDLES se mettent sur les rails et se sentent totalement en accord avec ce qu'ils sont. Avec Ultra Mono, on assiste peut-être à un rendez-vous manqué. Cet album très direct mais peut-être moins cérébral car destiné avant tout au live, ne pourra dévoiler l'amplitude que la scène lui promettait en raison d'un fichu virus. C'est avec CRAWLER en 2021 qu'il est possible de réellement prendre la mesure de l'étendue des ressources d'IDLES, mais aussi leur capacité à s'essayer à de nouvelles expériences, à sortir d'un terrain de jeu trop connu. Pour illustrer le propos, les morceaux Car Crash, The Beachland Ballroom, ou MTT 420 RR sont de parfaits exemples. Certes, réduire les premiers albums à de simples exercices physiques serait malvenu, mais avec CRAWLER, IDLES sont à un réel tournant, car le groupe entame une espèce de chrysalide, qui ouvre au groupe de nouvelles perspectives. En ce sens, TANGK est un surprenant album qui s'apparente à la poursuite de cette métamorphose. Si un titre comme IDEA 01 sonne furieusement comme du IDLES. le groupe semble ouvrir les vannes et étendre ses possibilités comme jamais, au-delà de ce que son prédécesseur ne le pouvait.
Sur la magnifique pièce A Gospel, les cinq musiciens dévoilent un titre touchant, dont la progression passionnante surprend et frappe en plein cœur. Le calme est magnifié sur le délicat Monolith, où la basse pachydermique de Adam Devonshire semble évoluer comme un mastodonte marcherait sur des œufs. Sur Roy, autre grand moment de l'album, le petit côté rétro embellit une mélodie totalement renversante, dont la mélancolie colle parfaitement au chant poignant de Talbot. La surprise n'est pas totale puisque le single Grace récemment dévoilé nous avait déjà aiguillé sur l'esprit de ce futur album. À ce titre, il illustre peut-être à merveille ce qu'est TANGK. Jungle fonctionne également sur ce type de processus. Sous ses faux airs de composition basique, le titre surprend par la mise en retrait des guitares au profit des accords de piano qui viennent soutenir l'ensemble. Que dire du très sombre POP POP POP et de son approche très électro, ses sons angoissants sublimé par le spoken words de Talbot sur ce refrain robotique.
Néanmoins, ne pensez pas avoir avec ce nouvel album le prétexte éhonté d'un virage à 90 degrés. Le groupe fonctionne sur un principe qui ne sera pas une fois encore renié. Pour exemple, l'excellent single Dancer et surtout Gift Horse font figure de morceaux idoines et presque indispensables Vous avez ici de quoi être sûr de bien avoir en face de vous un album d'IDLES avec sa rage et sa fureur qui embarque tout sur son passage. On passera rapidement sur le très physique mais malheureusement trop évident Hall And Oates.
Avec TANGK, c'est comme si le groupe voulait définitivement faire la croix sur la logique Ultra Mono, en affirmant le besoin de repousser un peu plus les limites de Crawler. La musique d'IDLES est plus cérébrale, et de fait à court terme moins accrocheuse de prime abord. Pourtant, se plonger dans ce nouveau disque, c'est découvrir un monde d'une richesse folle. Encore faudrait-il réussir à passer outre certains lieux communs extra-musicaux, au sujet de l'attitude de Talbot ou de ses paroles éminemment politiques, et polémiques. Effectivement les positions progressistes pourraient encore en rebuter certains, incapables d'y voir autre chose que des leçons ou des injonctions.
Malheureusement, il faut se faire à l'idée, IDLES sont désormais devenu trop importants pour ne pas avoir à faire avec les réflexions en marge de leur musique. Voilà qui est bien dommageable car se focaliser sur ce genre de détails revient à passer côté de l'essentiel d'un groupe pilier de sa génération. Avec TANGK, les cinq de Bristol prouvent qu'ils ont en encore sous la semelle et que les petites distractions n'enrayent en rien la mécanique de ce groupe hyper productif à la personnalité forte et en constant renouvellement. Certes, le temps fera peut-être apparaître ce nouveau disque comme moins brillant que son prédécesseur CRAWLER. Il fait figure de continuité dans la volonté d'élargir le champ d'action du quintet. Voici qui participe à forger l'identité d'un groupe qui se renouvelle d'un album à l'autre, sans se corrompre ou se perdre.
Ça n'a l'air de rien comme ça, mais c'est réellement la marque des grands.