Gen And The Degenerates

Quarante ans ! Quarante ans qu'on attend un album de Jem et les Hologrammes ! Un groupe de filles créé pour vendre des poupées, popularisé en France par le Club Dorothée, avec une esthétique mi-Bowie queer mi-Bonnie Tyler, et pour ennemies jurées les Misfits (qui, on ne va pas se mentir, étaient vachement plus cool). Alors ce n'est pas parce qu'on a accepté leur album par erreur, la faute à une sévère myopie et de graves troubles de l'attention, que l'on ne va pas rendre grâce à Gen And The Degenerates de faire vivre la légende des Hologrammes à travers nos blagues de boomer gênantes, dépassés que nous sommes par la fureur et la vitesse à laquelle Genevieve Glynn-Reeves et ses dégénérés enchaînent leurs chansons de fun-punk destinées à nous vendre jouets et chocolats pour la Pride.

Un quintet venu de Liverpool, croisé au Supersonic à Paris en première partie d'Opus Kink le soir du décès de la Reine Elizabeth II, entre une photo du vinyle de The Queen Is Dead et (déjà) une blague de vieux sur Jem et les Hologrammes. Un concert déjanté, brut, que l'on a depuis franchement oublié, mais comprenez-nous, le chanteur d'Opus Kink a fini en slip une heure plus tard. Il n'empêche qu'on s'est souvenu du nom, peut-être plus pour la blague que pour autre chose, et qu'on a fini par poser le premier album de Gen And The Degenerates sur la platine, pour un petit cinq à sept d'une trentaine de minutes.
Et dieu que c'est fouillis pour trente minutes de musique ! Pour la trame principale, prenez du fun-punk à la mode, type Dream Nails et Dream Wife, maintenant renommez votre groupe Wife Nails, rajoutez une ballade en milieu d'album, six minutes et trente secondes de chanson d'Adele à la fin, le tout arrosé de paroles naviguant dans l'ironie entre le troisième et le douzième degré, et vous obtenez un premier album compliqué à analyser tant rien de très original ni de très marquant ne finit par en ressortir.

Tout est trop fun, tout est trop lisse, et la mécanique s'empâte dès que les chansons ralentissent un peu. That's Enough Internet For Today, All Figured Out, BIG HIT SINGLE et Post-Cool (sauvée par son refrain) sont symptomatiques d'un manque de matière qui, s'il n'est plus compensé par la vitesse d'exécution, les pieds qui frétillent, ou l'envie de se jeter dans une piscine, laisse l'auditeur avec un sentiment d'amusement digne d'une glace au yaourt ou d'un plan q effacé du téléphone après un unique tour de manège. Alors on se rabattra sur les excellentes bombinettes de fun que sont Kids Wanna Dance, Girls!, Anti-Fun Propaganda qui porte très mal son nom, et Famous pour avoir notre dose de punk monocellulaire, petite grappe de molotov goût tagada et schtroumpf explosant à la face des machos, des queerophobes, et des allergiques à la kiffance.
Un état d'esprit qui sied plutôt bien au catalogue de Marshall Records (Nova Twins, Dream Nails, King Nun...), mais qui tombe plus à plat qu'espéré, car jamais Gen et ses dégénérés ne parviennent à se dégager une identité propre, faute d'avoir tout englué dans une ironie faite pour masquer : masquer les peurs, masquer les fêlures, masquer les échecs de la vie. Toutes ces choses qui traversent les signaux électriques, les variations de pression, pour atterrir dans l'être humain à l'autre bout du fil, et éveiller quelque chose en lui de Tennessee.

L'occasion de conclure cette chronique en parlant de Jude's Song. Six minutes et trente secondes de piano et d'éclats de voix à la Adele dédiées à la tante de Genevieve, une phrase finale comme un radeau sur une mer de larmes (« je suis heureuse que pour un temps on ait été en vie au même moment ») et une lumière au bout du tunnel. Un phare dans la nuit qui nous fait dire que Gen And The Degenerates ont plus en eux que d'être une banale copie d'un groupe de fun-punk queer, mais attention, car quand la meilleure chanson de ton album de punk est une chanson d'Adele qui fait référence aux Beatles, il y a peut-être des réflexions identitaires à avoir !