La musique n'est qu'une série de fils conducteurs, qui se touchent ou se superposent de façon plus ou moins évidente. Suivant cette idée, on pourrait également la représenter telle une toile d'araignée. En ce sens votre intérêt pour un groupe, un nouveau son, est souvent guidé par l'effet de rappel d'autres musiques, en liens plus ou moins clairs. Voilà ce qui construit votre éducation, voici ce qui vous permet de construire vos affinités pour tels styles plutôt que d'autres. Un artiste est lui aussi nourri par les influences qui ont façonné son éducation, toute la difficulté étant de se servir de ces influences pour les agrémenter de sa personnalité, de les enrichir, afin d'éviter des redites coupables.
Croiser un groupe comme Van Houten ressemble à un petit bonheur. Celui de se voir ramené à des sonorités familières, déjà entendues dans les années 90 avec les immenses Sonic Youth notamment. Pourtant, on ne tombe pas dans une copie sans saveur car dès les premières notes de Black And White, il se passe quelque chose qui vous donne immédiatement envie d'y revenir. Certes, cette guitare claire pourrait faire immanquablement penser à la Jazzmaster de Thurston Moore, mais Van Houten tracent leur route avec une maturité réellement impressionnante qui démontre que nos jeunes gens ont bien des choses à dire.
The Tallest Room, premier album de ces anglais de Leeds, a en lui une énergie intense dans ces morceaux portés par une atmosphère contemplative. Ici, rien ne presse, on laisse les choses planer, la mélancolie est contée sans pathos, sans trop en faire, comme sur l'admirable Panoramic View. Parfois, tout se joue sur un registre plus bouillonnant à l'image du très bon Note To Self. Pourtant, tout est contenu, Van Houten ne laissent rien déborder. Les six de Leeds jouent de paysages vallonnés où sont exclues toutes éruptions volcaniques. Même sur ce Head Straight aux contours pourtant plus furieux, tout reste sous contrôle.
Mais jamais la musique de Van Houten ne vous laisse vous ennuyer, car elle est d'une richesse folle, comme sur I Let You, morceau de clôture absolument renversant. Vous avez peut-être ici ce que vous entendrez de plus réjouissant pendant de longs mois. Dès son intro à la Sonic Youth sauce Washing Machine, vous êtes happés par la mélancolie qui suinte de l'arpège de guitare et du chant de Louis Sadler. Le tout est magnifié par le thème final, simple et déchirant qui se superpose sur la mélodie principale et s'étire jusqu'à l'infini. C'est merveilleux.
The Tallest Room est ce genre d'album qui pourrait vous faire vous imaginer en train de marcher dans le froid de Chicago ou New-York. Il se mêle au rock garage de Van Houten d'autres influences qui évitent de les classer de façon définitive dans une boîte où ils seraient forcément trop à l'étroit, à l'image de ce Never Did Come Back au ton grave et froid.
Le single Coming Of Age fonctionne sur les principes évoqués plus haut, mais le groupe se permet une dérive délicieuse sur des terrains plus pop, et peut-être plus engageants que ceux aperçus avec les textures mélancoliques évoquées plus haut. Mais ici encore, Van Houten font preuve d'assez de talent pour ne pas faire l'erreur coupable de sortir de leur sujet, et perdre l'auditeur sur une tentative extravagante et coupable.
Sur l'impudique I Only Want To Be With You, Van Houten se veulent plus accessibles, mais même sa mélodie définitivement moins pluvieuse ne permet pas à l'auditeur de sortir du doux spleen qui envahit tout l'album. À cet égard, The Tallest Room est réellement guidé par la mélancolie, comme un pivot, une voie principale. Elle y est développée avec une subtilité absolument remarquable pour un premier album et laisse vraiment enthousiaste.
Voilà donc une belle surprise. Ces gars-là font preuve d'une maturité définitivement impressionnante. Avec The Tallest Room, Van Houten réussissent le pari peu évident de sonner comme un groupe alternatif américain tout en nourrissant leur propos d'une démarche qui leur est très personnelle. C'est remarquable, car il en ressort une musique à la fois familière et singulière. On pourrait se rassurer en évoquant la chance du débutant, mais on ne veut y croire tant The Tallest Room fourmille d'idées, d'expressions et de force de caractère. Gardez bien ce nom en tête, Van Houten ont bien des choses à vous apporter et on ne peut s'empêcher d'attendre la suite avec une impatience non dissimulée.