24 juin 2018, une belle soirée d'été à Londres comme cela arrive trop rarement. A l'occasion de Curætion25, un mystérieux groupe s'apprête à monter sur la scène du Southbank Center. Robert Smith s'y présente et annonce benoîtement "Ben en fait, c'est The Cure, mais n'on avait pas le droit de le dire". Ainsi se termine son édition du Meltdown Festival où il a invité My Bloody Valentine, Nine Inch Nails, Mogwai, Deftones... et une série de groupes plus ou moins inconnus dont Drahla, un trio de Leeds qui n'a alors pas encore sorti son premier album.
Six ans plus tard, ni The Cure ni My Bloody Valentine n'ont sorti l'album supposé alors quasi prêt, la planète s'est arrêtée pendant un temps indéterminé, et les membres de Drahla en ont vu de toutes les couleurs, mais à l'écoute de leur disque, on imagine volontiers cinquante nuances de noir. Et même si le chemin a été semé d'embûches, ils publient aujourd'hui leur second album toujours sur Captured Tracks, le label New Yorkais, tout comme DIIV récemment avec qui ils partagent le talent pour les chansons à haute intensité.
Leur son âpre et rugueux rappelle celui du premier opus de Christian Death, une exubérance gothique dans le glamour Hollywoodien du début des années 80, alors que la guitare et le saxophone se déchirent dans une cacophonie qui occupe tout l'espace avec la basse et la batterie en arbitre de ce combat stéréophonique. Luciel Brown semble imperturbable, sa voix est la véritable colonne vertébrale de ce monstre protéiforme difficile à cerner. Mais l'énergie dégagée est telle que nos oreilles restent collées aux enceintes, les larsens finissent par former une musique intelligible.
Il fallait bien deux producteurs pour mettre Angeltape en boîte. Matthew Benn de Holodrum a enregistré les instruments, et Jamie Lockhart (qui a produit I Like Trains) la voix dans un autre studio, mais toujours dans le Yorkshire. La distinction entre les deux parties est nécessaire. La rythmique, la guitare et le saxophone sont pris dans un débat houleux qui pourrait se suffire à lui-même tant les arguments semblent forts. Mais sans la voix, qui apporte une touche d'humanité, ce jazz serait difficile à encaisser.
Le saxophone tient une place tellement importante dans le son de Drahla qu'il était naturel que Chris Duffin, qui était déjà crédité sur le premier album, intègre officiellement le line-up. Il est également rejoint par Ewan Barr à la guitare, par ailleurs auteur des pochettes de Van Houten et de quelques guitares additionnelles sur leur album. Trio devenu quintet, Drahla grandit dans tous les sens du terme.
Aiguillonnés par la sortie deux singles issus de l'album, Under The Glass en août 2022 et Lip Synch en février 2023, puis par trois autres titres depuis le début de l'année, le teasing entrecoupé de mini tournée avait assez duré, nos oreilles sont désormais prêtes pour ces bandes qui n'ont rien d'angélique.