Chronique Album
Date de sortie : 12.04.2024
Label : Island Records
Rédigé par
Franck Narquin, le 9 avril 2024
Un peu comme les films de Paul Thomas Anderson, le deuxième album de The Murder Capital ou la mousse au chocolat, allez savoir pourquoi, je n'ai jamais été trop fan des professeurs d'anglais. Je vois bien l'intérêt mais entre l'une qui me faisait manger du savon, l'autre qui se prenait pour Margaret Thatcher et le dernier pour un Benoit Jacquot tournant au pastis, j'ai été contraint de choisir moi-même mes « english teachers ». Ils se sont nommés Morrissey, Jarvis Cocker, Luke Haines, ou bien encore Charlotte Brontë, Emily Brontë ou Anne Brontë (hello ?). Prenant mon courage à deux mains, je décide de surmonter ma phobie pour écouter le premier album d'English Teacher. Son titre, This Could Be Texas, évoquant le vote républicain, la peine de mort, ou pire encore, Charleen Spiteri et les samedis soir devant Dallas, ne me rassure qu'à moitié tandis que sa pochette mêlant esthétique rock progressif 70's et peinture pastorale anglaise me fait saigner de l'iris. On s'attendait à un revival brit-pop mais pas à ce que celui-ci passe parce que cette scène avait produit de pire, à égalité avec les cinq derniers LP d'Oasis, à savoir ses immondes couvertures d'albums. J'essaie de positiver en me disant qu'un disque sortant sur le label d'Angèle, Bon Jovi, The Killers et Demi Lovato ne peut être entièrement mauvais.
A ce stade de la chronique, l'attachée de presse du groupe, prise d'une colère noire appelle notre rédacteur en chef. « Mon chéri-darling, tu as beau être l'amant le plus vigoureux et passionné que j'ai rencontré de ma vie, je ne suis vraiment pas jojo là . Je te passe un des meilleurs albums de l'année et tu mets ce connard de Narquin dessus. Tu m'as dit qu'il était juste là pour le quota syndical rap-électro mais pas pour parler de vrais albums de pop music ! ». Une de ses assistantes lui répond gentiment et avec ce charmant accent chaloupé propre aux top-modèles brésiliennes que Monsieur déjeune au Dorsia avec Patrick Bateman et la contactera dès son retour. Tiens, ça me fait penser que je n'ai toujours pas rendu la cassette de Body Double au vidéo-club, mais cela est totalement hors-sujet. Chérie-darling, pas la peine d'hurler « red alert, it's a catastrophe », car je range de ce pas ma plume au vitriol pour me saisir de mon stylo Hello Kitty rose fluo. « It's allright, don't panic », la suite ne sera qu'amour, câlins et bisous dans le cou. On le pressentait grâce à quelques singles savoureux et un concert des plus veloutés en compagnie de Sprints en ce début d'année au Point Ephémère, le très (longtemps) attendu debut album d'English Teacher s'impose comme une éclatante réussite. Plutôt que This Could Be Texas, l'album aurait pu s'intituler, en hommage aux derniers mots d'Inglorious Basterds de Quentin Tarantino prononcés par Brad Pitt, This Could be my Masterpiece.
English Teacher ont toujours rejeté, à juste titre, l'étiquette post-punk ainsi que celle de Britpop. Le premier est devenu un terme valise dépourvu de sens, englobant tout groupe de rock indépendant appuyant à un moment donné sur une pédale de distorsion tandis que le second n'a toujours été lié qu'à des conditions spatio-temporelles et nullement musicales. On se gardera bien de définir le genre du groupe, tout simplement parce que le genre on s'en balek autant que de notre première paire de Wayfarer. En revanche et au-delà de cette pochette douteuse, English Teacher sonnent le retour en grande pompe d'une constituante majeure de la Britpop, la Cool Britannia, ce mouvement des années 90 où de jeunes gens aussi inspirés qu'arrogants n'hésitaient pas à assumer leur héritage culturel national, à revendiquer un mode de vie typiquement british ou se draper fièrement dans l'Union Jack, se réappropriant ainsi une certaine idée du patriotisme bien loin de celle bas du front que tente de nous imposer l'internationale des petits fachos.
A l'heure où le blockbuster When The Lights Go Out All Over Europe ne cesse de s'imposer dans tous les pays (sortie en France prévue fin avril 2027), on ne peut que saluer une telle démarche. Croyez-moi, dès le 14 juillet 2024, date du sacre annoncé de l'équipe d'Angleterre de football à l'Euro (ce n'est pas en s'habillant comme un rappeur de Migos que Jules Koundé risque d'arrêter leur armada offensive composée de Bellingham, Saka, Foden et Kane), la Perfide Albion risque de bomber le torse comme jamais. Cette fierté nationale sera évidemment accompagnée par une bande son au diapason, à des années lumières de nos débats Michel Sardou ou Juliette Armanet en soirée, Michel Sardou ou Aya Nakamura aux Jeux Olympiques, Michel Sardou ou Rachida Dati à la culture, tu préfères être obligé d'écouter en permanence Michel Sardou ou avoir des pieds en mousse ? Bref, la Cool Britannia est de retour, ouvrez vos cahiers, la leçon va commencer et cette fois vous allez aimer, que dis-je, vous allez adorer le professeur d'anglais. Bien plus cools que Madame Dechanville (pour laquelle je conserve trente-cinq ans après une haine aussi tenace que celle de Liam envers Damon), cette année vos English Teacher se nomment (bruit de craie grinçant contre le tableau noir de couleur verte pour plus de réalisme) Lily Fontaine (chant, guitare rythmique, synthétiseur, attitude), Douglas Frost (batterie, piano, chant), Nicholas Eden (basse) et Lewis Whiting (guitare).
Mais tu fais quoi là , tu as vraiment sorti un cahier ? Tu croyais qu'on allait prendre des notes en écoutant sagement le cours ? Je ne cautionne pas le harcèlement scolaire mais ce n'est pas étonnant si tes camarades de classe te jetaient de boules de mie de pain à la cantine. Tu le sais encore plus que moi, les enfants sont des monstres et ça ne fait qu'empirer en vieillissant. Allez, range-moi tout ça, enfile ton polo Fred Perry et tes Clarks, on va plutôt faire l'école buissonnière. Rassure-toi, on ne va pas aller loin, juste dans le parc derrière l'école mais on n'a qu'à imaginer que c'est le Texas et que tout est possible. Lily Fontaine ne dit d'ailleurs rien d'autre quand elle affirme « je voulais que cet album donne l'impression d'être allé dans l'espace puis se rendre compte que c'est presque pareil qu'à Doncaster » (ndlr : petite cité du nord de l'Angleterre située entre entre Leeds, la ville de Gang of Four et The Wedding Present, et Sheffield, celle de Pulp et Arctic Monkeys). « J'y parle d'un entre-deux, à mi-chemin de la maison et des chemins de traverse ». Pour résumer c'est Le Magicien d'Oz dans l'Angleterre multiculturelle d'aujourd'hui.
Après les premières écoutes des treize titres de This Could Be Texas, on se dit qu'on a déjà entendu cette musique cent fois tout en se demandant pourquoi celle-ci nous séduit autant et nous donne l'envie irrépressible d'y retourner encore et encore. Pas révolutionnaires, ces chansons résonnent pourtant d'une manière incroyablement étincelante, pertinente et différente. On pourrait tenter d'en expliquer les raisons dans un traité de deux-cents pages sur la pop-music mais on se contentera de citer le magicien Moz, Some Girls Are Bigger Than Others. On adore la pop (à prendre ici au sens large, on aurait pu dire pop-rock mais on laisse ce gros mot à la FNAC et RTL2) pour son caractère éphémère, sa capacité à capter l'air du temps et témoigner du monde ici et maintenant. Pour autant, les grands disques de pop sont ceux qui parviennent en plus à résister à l'épreuve du temps en réussissant l'exploit de séduire immédiatement et d'être aimé longtemps. Ne nous avançons pas excessivement mais le fait qu'écoute après écoute l'album ne fasse que se bonifier et qu'après s'être emballé pour des morceaux brillant par leur efficacité tels que The World's Biggest Paving Slab ou Nearly Daffodils, on tombe amoureux des ballades The Best Tears Of Your Life et You Blister My Paint qui n'hésitent pas à se mesurer aux poncifs toujours casse-gueule que sont l'utilisation de l'autotune pour la première et le piano-voix tout en émotion et emphase pour la seconde.
This Could Be Texas prend son envol grâce à Albatross, titre d'ouverture en guitare-voix à l'élégance racée qui ravira les fans de leur single Mastermind Specialism, puis se clôt en douceur avec Sideboob et Albert Road. Vous le savez, en bons flemmards, on aime bien faire des comparaisons car bien que faciles et réductrices, celles-ci n'en demeurent pas moins parlantes. Broken Biscuits sonne comme une chanson de Dry Cleaning accompagnés par Neil Hannon au piano tandis que I'm Not Crying, You're Crying, aussi mélodique qu'agressif, se promène entre pop et post-punk avec la même aisance que Hearthworms. This Could Be Texas et Not Everybody Gets To Go To Space possèdent la structure atypique de Black Country, New Road et la mélancolie arty de Sorry. On l'a dit un peu avant, l'étiquette post-punk donne de l'urticaire au quatuor de Leeds et contrairement aux apparences (c'est d'ailleurs thème de la chanson), R&B se révèle être le seul titre de l'album remplissant à 100% tous les critères du genre. La basse y roule des fesses autant que Beyoncé, les guitares stridentes brillent comme des diamants dans le ciel et le chant semi-parlé est carré comme Mariah.
Résumons, avec This Could Be Texas, English Teacher livrent un album dont on ne peut que louer les qualités d'écritures et de composition, sans aucun titre faible, d'une grande variété musicale tout en conservant une cohérence globale et en affirmant leur patte personnelle. Pour ne pas gâcher un tel matériel de qualité, la production a été confiée à Marta Salogni, connue pour son travail avec Björk, Depeche Mode, black midi, bar italia, Mica Levi, Daniel Avery, Walt Disco ou Frank Ocean. En déroulant son CV, une évidence nous saute aux yeux, malgré les styles très différents de chacun de ces artistes, ils ont tous pour point commun d'accorder une importance particulièrement accrue aux sons de leurs disques (découlant du mixage, de la réalisation et de la production pour ne citer que les principales étapes) à la fois atypique, précis, épuré et sans esbrouffe. Good choice ! Subtil et pointu, le travail de la productrice italienne vient sublimer les morceaux sans jamais se mettre en avant.
Si tout cela ne suffisait pas à nous convaincre, les quatre jeunes anglais ont le toupet d'avoir ce que Lou Reed appelait « the style it takes ». Malgré leur no-look et leurs têtes de common people, Douglas, Nicholas et Lewis dégagent l'assurance tranquille des authentiques lads du nord de l'Angleterre tandis que Lily, pourtant phobique sociale, possède la morgue et l'attitude qu'on aime tant et qu'on attend de la part du leader d'un tel groupe. Pour parfaitement se préparer au retour triomphal de la Cool Britannia, English Teacher vous proposent de réviser vos classiques, en commençant par le tout dernier en date se nommant This Could Be Texas.