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BIG SPECIAL

POSTINDUSTRIAL HOMETOWN BLUES

BIG SPECIAL - POSTINDUSTRIAL HOMETOWN BLUES
Chronique Album
Date de sortie : 10.05.2024
Label : SO Recordings
45
Rédigé par Franck Narquin, le 7 mai 2024
Dès la première écoute de SHITHOUSE en mai dernier, nous avions inscrit BIG SPECIAL tout en haut de la liste des groupes à suivre. Ce premier des sept singles issus de POSTINDUSTRIAL HOMETOWN BLUES sortis au cours des douze derniers mois imposait d'entrée le marque de fabrique d'un groupe qui, selon ses dires, n'a rien de BIG ni de SPECIAL. Un bel exemple de modestie car de toute évidence nous avons à faire ici à un duo aussi BIG que SPECIAL, composé du batteur Callum Moloney et du chanteur Joe Hicklin. Bercé par les livres de Kerouac et de Bukowski, Joe Hicklin a conservé l'esprit de liberté et d'indépendance du premier ainsi que l'acidité et l'amertume du second, faisant de lui une de ces plumes qu'on aime tant dans le rock anglais, alerte et enlevée, à la fois désabusée et irrésistiblement mordante.

En termes d'influences musicales, on perçoit d'abord de manière évidente l'empreinte de Sleaford Mods grâce à leur spoken-word grinçant et politique qui, marié à une musique nettement plus rock, évoque des groupes comme Yard Act, voire quand ils haussent le ton comme Benefits, le gang bruitiste et brillant de Kingsley Hall. Pourtant lorsqu'on plonge un peu plus dans le détail, on décèle dans leur musique, bien plus complexe et riche qu'elle ne paraît à priori, la marque de Tom Waits ainsi que de forts penchants soul, country et blues rock. Joe Hicklin raconte qu'il est tombé amoureux du songwriting en écoutant Bohemian Rapsody à l'âge de six ans, choqué puis fasciné par cette chanson d'apparence légère qui parlait de tirer une balle dans la tête de quelqu'un. Il cite aussi volontiers Nick Cave, Neil Young ou Jimi Hendrix, soit des artistes majeurs mais qui ne nous viennent pas forcément en premier en tête à l'écoute de leur musique.

Pourtant la clé de lecture de BIG SPECIAL se trouve peut être justement là car le groupe n'a de cesse de déjouer nos attentes. On commence à les trouver un peu trop bourrins, ils dégainent alors un sens de l'écriture et de la composition des plus subtils. Leur musique semble très urbaine pourtant ils ont été nourris au folk et à la country. De la même manière, on s'est enflammé à l'écoute de leurs premiers singles avant d'être déstabilisés par d'autres jusqu'à parfois ne plus trop comprendre où ils voulaient aller. Ce n'est qu'à l'écoute de l'album dans son intégralité que nous avons enfin réalisé la réelle teneur de ce projet dont l'ambition, la densité et la puissance en fait un cousin éloigné du sublime Heavy Heavy de Young Fathers.

Brassant un nombre incalculable de genres musicaux et composé de pas moins de quinze titres, POSTINDUSTRIAL HOMETOWN BLUES pourrait vite s'avérer indigeste mais grâce à des morceaux plutôt courts alternant violents uppercuts et réconfortantes caresses, l'album ne dépasse pas les quarante-cinq minutes et demeure passionnant de bout en bout. BIG SPECIAL décident d'attaquer d'entrée très fort avec trois titres (BLACK COUNTRY GOTHIC, I MOCK JOGGERS, DESPERATE BREAKFAST) mêlant rock bluesy au son lourd et sale et flow rap acéré. C'est Sleaford Mods meet The Black Keys !

On pourrait craindre que le groupe se contente de décliner cette recette efficace sur le reste du disque. Craintes vites balayées car BIG SPECIAL passent alors à la vitesse supérieure avec la bombe SHITHOUSE. A l'écoute de ce morceau, l'auditeur ne sait jamais sur quel pied danser entre ses couplets portés par un spoken word éructé, nasillard et grésillant et son refrain au chant mélodique à la ligne claire. Fiers de leur (énorme) coup, les anglais nous gratifient de rires démoniaques qui semblent vouloir nous dire, « vous ne l'aviez pas vue venir celle-là ! ». On retrouvera cette même formule sur DUST OFF / START AGAIN, un des autres sommets de l'album et sur l'excellent TREES.

Au cas où une telle démonstration de force n'était pas suffisante, ils prouvent avec THIS HERE AIN'T WATER qu'ils sont bien plus qu'une bande de braillards énervés. Sur ce titre plus lent mais qu'une batterie omniprésente empêche de devenir calme, c'est avant tout le chant de Joe qui impressionne, à la fois technique, puissant et émouvant. Cette veine purement rock sera reconduite sur BLACK DOG / WHITE HORSE, balade au doux parfum country et sur ILL. avec son refrain à la grandiloquence 90's assumée digne de Grant Lee Buffalo. L'équilibre de l'album a été finement pensé et pour contrebalancer les titres coups de poing et les escapades rocks, le duo offre de salutaires plages de respiration grâce à des morceaux construits autour de nappes électroniques atmosphériques comme sur MY SHAPE (BLOCKING THE LIGHT), BROADCAST: TIME AWAY et FOR THE BIRDS.

On soulignera également l'OVNI MONGREL débarquant sans prévenir aux deux tiers de l'album. Ces une minute et vingt-neuf secondes de rage a capela pourraient figurer sur NAILS, le brûlot radical et hardcore de Benefits et donnent une idée de la colère qui habite les formations anglaises les plus engagées. On a beau se désoler du plébiscite électoral partout en Europe des candidats ultra-libéraux, réactionnaires et racistes, sa contrepartie bénéfique est qu'il offre aux artistes un point d'encrage idéal pour exprimer leur sentiment de révolte. Bad politicians make good music. Pour couronner l'indéniable réussite de POSTINDUSTRIAL HOMETOWN BLUES, l'album vient se clore au son de l'impeccable DiG!, seule piste dépassant les cinq minutes, à la fois apaisée et enlevée, dont la première moitié rappelle Headache, le projet de Vegyn, tandis que la seconde se mue en émouvant hymne fraternel.

Louder Than War, NME, Rolling Stone ou Sound of Violence vous parlent depuis des mois de BIG SPECIAL et ne cessent de tresser des louanges au duo de Birmingham. POSTINDUSTRIAL HOMETOWN BLUES vient confirmer les raisons de cet emballement général et prouve que contrairement à la célèbre maxime de Public Enemy, il faut parfois croire la hype. Si jamais vous faites partie de ceux qui ne jugent que sur pièce et en live, nous vous donnons rendez-vous le jeudi 30 mai à Paris où le groupe se produira dans le cadre de la Block Party du Supersonic.

« Don't believe the hype », sauf si la hype est BIG et SPECIAL !
tracklisting
    01. BLACK COUNTRY GOTHIC
  • 02. I MOCK JOGGERS
  • 03. DESPERATE BREAKFAST
  • 04. SHITHOUSE
  • 05. THIS HERE AIN’T WATER
  • 06. MY SHAPE (BLOCKING THE LIGHT)
  • 07. BLACK DOG / WHITE HORSE
  • 08. BROADCAST: TIME AWAY
  • 09. ILL.
  • 10. MONGREL
  • 11. BUTCHER’S BIN
  • 12. DUST OFF / START AGAIN
  • 13. TREES
  • 14. FOR THE BIRDS
  • 15. DiG!
titres conseillés
    SHITHOUSE - THIS HERE AIN'T WATER - DUST OFF / START AGAIN
notes des lecteurs
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