On ne présente plus Paul Weller, auteur-compositeur anglais présent depuis 1976, qui a marqué profondément la scène rock britannique et a traversé sans encombres les nombreuses décennies qui nous séparent maintenant de ses glorieux débuts avec The Jam. Une bonne partie de nos lecteurs sont nés lors d'une des périodes du musicien, qu'elle soit The Jam, The Style Council ou, la plus longue maintenant, en solo. Nous ne pouvons donc guère ignorer le poids du Monsieur, et nous concernant, appuyer sur le fait que ses dernières expérimentations, notamment depuis 2018 et True Meanings, nous ont particulièrement marqués.
Ainsi, en 2024 apparait le 17ème album de Paul Weller intitulé 66, dont la sortie ce 24 mai se produit exactement une journée avant le 66ème anniversaire du musicien, merveilleux faux-hasard du calendrier marquant au travers de ce chiffre d'ordinaire plus lié à une route emblématique qui traverse les Etats-Unis ou à un ordre qui dans une lointaine galaxie mit fin à la suprématie des chevaliers Jedi, l'âge pas encore canonique mais fortement respectable de ce dernier.
Les thèmes liés à la notion de maturité et du temps qui passe inexorablement sont présents dans ce nouvel album, mais pas seulement. Paul Weller dévoile une finesse et une profondeur qui nous émeuvent encore plus avec les années. Album conçu avec l'aide d'une armée de collaborateurs aussi prestigieux les uns que les autres (Bobbie Gillepsie, Noel Gallagher et Slugg aux paroles, Richard Hawley ou Hannah Peel entres autres à l'accompagnement), 66 déroule douze titres qui continuent de célébrer l'incroyable érudition de l'anglais.
Fantastiquement orchestrés, les morceaux offrent un panel pop et folk extrêmement large. Les titres oscillent entre fragilité (Ships Of Fool), ardeur (Jumble Queen), extrême élégance (Nothing, In Full Flight), fantaisie (Flying Fish et son disco délicieux), douceur et simplicité (I Woke Up, Sleepy Hollow) : tout un arsenal de teintes et de sentiments que le musicien manipule de façon magistrale et qui ne peut que nous paraître évident avec ces presque cinquante ans de carrière au compteur. La grande dextérité de Paul Weller lui permet de mettre en musique ces nombreux ressentis, les ballades tant folk que jazzy, les empreintes de soul et de pop orchestrale offrent ainsi un voyage riche qui nous donne l'impression de brosser toutes les époques musicalement contrastées que l'anglais a traversées.
L'album est très généreux, le chant de Paul Weller toujours parfaitement calibré. Au fil des écoutes, et malgré peut être une fin de tracklisting un peu ronronnante de I Woke Up jusqu'à Instant Flight, nous réussissons parfaitement à capter l'état d'esprit de ce dernier, conscient du long chemin parcouru mais fermement tourné vers le futur. La toute fin de disque avec Soul Wandering et le majestueux Burn Out concluent l'écoute en apothéose avec une tension qui remonte subitement après ces quelques plages beaucoup plus calmes et font exploser le rythme comme un petit bouquet final, piano, saxophone et toutes cordes dehors.
Au final, 66 ne semble pas, malgré son titre un peu provocateur, être focalisé sur l'âge de son créateur : Paul Weller continue de délivrer album après album des compositions aventureuses dans leur mélange des genres, évidement portées par un talent hors pair et intemporelles, à l'image du choix de l'œuvre de Peter Blake comme artwork, artiste art-pop légendaire qui, à plus de quatre-vingt-dix ans, nous prouve que son trait et son style ne prennent aucune ride. La destinée de Paul Weller, assurément.