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The Mysterines

Afraid Of Tomorrows

The Mysterines - Afraid Of Tomorrows
Chronique Album
Date de sortie : 21.06.2024
Label : Fiction Records
35
Rédigé par Adonis Didier, le 4 juin 2024
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Il est là, le divin enfant, el famoso deuxième album. Celui de la confirmation, celui de la maturité. Celui où on jette le bébé avec l'eau du bain quand il est mauvais, celui où on porte aux nues un groupe comme le futur du rock à guitares dès que son disque est meilleur que le précédent.

On en compte déjà quelques-uns pour la classe de 2022, du Lauran Hibberd, du King Hannah, du Yard Act, et le constat est assez classique : il est difficile de renouveler la surprise d'un premier disque inattendu, à la fois fruit de son époque et précurseur de celle à venir, sans devenir au choix chiant, redondant, ou à côté de la plaque. Ajoutez à cela la découverte des tournées incessantes, de la machine à broyer qu'est l'industrie musicale, et de la tentation d'aller chercher des noms surcotés comme il faut pour produire votre nouveau disque. Ali Chant pour King Hannah, Remi Kabaka Jr. pour Yard Act, comment résister quand les plus grands vous proposent de travailler avec vous ? Sauf que dans ces deux cas, ce qu'on aimait c'était le fait-main, entendre l'underground, entendre comment des moyens limités avaient participé à donner une âme et une touche inimitable au produit final. Parce que produire une pure merveille en mixant du grunge comme du Dua Lipa, ça marche une fois sur un million, et ça s'appelle Nevermind.

Si vous suivez l'actu de The Mysterines, vous commencez à voir où je veux en venir. Première partie des Arctic Monkeys avec The Hives pour la tournée des stades au Royaume-Uni et en Irlande, première partie de Frank Carter & The Rattlesnakes début 2024, et un aller simple à Los Angeles pour enregistrer leur deuxième album chez John Congleton, jeune producteur giga hype connu pour des tas de choses ayant assez peu à voir avec le grunge. Le post-rock d'Explosions In The Sky et la pop-disco de St. Vincent en faits d'armes majeurs, et le rock critic des chiens écrasés se prépare déjà à titrer du naufrage ou de la merveille en imaginant le mélange avec le rock crado et sombre des Mysterines. Car quoi de pire pour la vente de papier numérique qu'un album simplement moyen, trop engoncé dans sa production léchée pour se permettre d'être lui-même, convaincu qu'il est que la maturité et l'opulence sont des qualités et non des conséquences d'être resté fidèle à soi-même. Tout ça pour dire que ce n'est pas aujourd'hui que la presse gagnera de l'argent.

Car ce nouvel album des Mysterines est pour ainsi dire trop propre sur lui. Exit les grosses guitares sales de Reeling, les cavalcades gothiques et bluesy à dos de Harley Davidson dans le désert, l'adolescence libre, tout aussi torturée qu'insouciante des soucis du quotidien. Non, ce nouvel album est réfléchi, produit, et subitement beaucoup moins fun. Plus d'oppression, plus de visions noyées, piégées sous la glace, frappant des coups auxquels personne ne répond, dans l'espoir d'échapper un jour à l'abysse. Plus de phases lentes, laissant Lia Metcalfe tirer vers le PJ Harvey, cherchant à mûrir son jeu et sa voix dans un tas de chansons ni vraiment écrites ou produites pour ça. Les guitares deviennent des murs de son sans âme dans le fond de la pièce, les touches de sale apparaissent trop façonnées, placées là de manière trop méthodique pour être autre chose qu'un déguisement, et l'on ne ressent finalement plus ni l'urgence, ni la peine, ni la rage qui dégueulaient comme par obligation vitale du premier album du groupe.

Ainsi, difficile de dire que le résultat est mauvais, parce qu'il est même souvent bon, mais le lien émotionnel n'est plus là, et le groupe nous parle à travers une barricade de murs capitonnés dont seules The Last Dance, Hawkmoon, et la sublimement déglinguée Junkyard Angel sortiront intactes : The Last Dance, pour le coup une merveille de production et de puissance maîtrisée, de voix repiquant l'arrière du cerveau, et de fin PJ Harvey-esque (à la limite du plagiat, mais on prend quand même), suivie de Hawkmoon la belle, la dépouillée, la simple et touchante, parfait calme avant la tempête de saturation de microphone qu'est Junkyard Angel. Le crade à l'état pur, une guitare acoustique prise dans un micro de Nokia 3310, Lia qui hurle dans le siphon des toilettes, une basse qui bourdonne comme un tuba bouché, et un magnifique hommage au regretté Steve Albini, tant la singularité DIY lo-fi de la production sert et amplifie l'état de nerf, de psychose, et de dépravation qui court tout du long de la chanson.

Une pépite faisant d'autant plus regretter le reste de la production, trop léchée, à la fois moderne et déjà dépassée, entendue mille fois, d'un bon album qui aurait pu être tellement plus, à l'image de son grandiose prédécesseur. Afraid Of Tomorrows (ndlr : « effrayé par les lendemains »), on l'est un peu pour The Mysterines, et d'autant plus lorsque Lia Metcalfe nous énonce : « Avec le premier album, beaucoup de choses étaient […] un peu naïves. On jouait comme on pensait qu'il fallait le faire, comme des gamins, alors que pour cet album on a intégré plus d'influences actuelles dans le travail ». Sauf que le rock est une musique de gamins, de gamins inconscients, insouciants, déversant un trop plein de sentiments incontrôlés et incompris dans une musique qu'ils ont faite, car ils ne savaient pas qu'elle était impossible.
tracklisting
    01. The Last Dance
  • 02. Stray
  • 03. Another Another Another
  • 04. Tired Animal
  • 05. Jesse You're A Superstar
  • 06. Hawkmoon
  • 07. Sink Ya Teeth
  • 08. Junkyard Angel
  • 09. Goodbye Sunshine
  • 10. Inside A Matchbox
  • 11. So Long
  • 12. Afraid Of Tomorrows
titres conseillés
    Junkyard Angel, The Last Dance, Hawkmoon
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