Actress

En tout juste douze années d'une carrière aussi discrète qu'influente, Actress atteint déjà la décima avec Statik, son dixième album studio. Pourtant si ce n'est que le troisième opus du musicien que nous traitons dans les colonnes de Sound Of Violence, c'est que son œuvre est à la fois trop éloignée de l'ADN du site (qui est pour rappel le rock, mais le rock, c'est quoi ?) pour en parler systématiquement et trop importante dans le paysage musical anglais pour totalement l'ignorer.

Sorti fin 2023 chez Ninja Tunes, son précédent LP, LXXXVII, était de loin son œuvre la plus accessible et offrait une porte d'entrée idéale dans son univers aussi passionnant qu'exigeant. Mais comme Actress n'est jamais là où on l'attend et fait ce qu'il veut quand il veut (un peu comme Charli XCX, la reine de l'hyperpop qui a confondu les sceptiques avec son joli BRAT d'honneur), il opère un virage à 180 degrés avec Statik qui renoue avec la veine expérimentale et minimale de sess précédents albums. Ce disque qu'on pourrait qualifier d'art et essai sort sur le très pointu label norvégien Smalltown Supersound, spécialisé dans les projets "hors-cadre" d'artistes tels que Kelly Lee Owens, Sonic Youth ou Neneh Cherry.

Le communiqué de presse qui accompagne la sortie de l'album a beau parfois ressembler à un cartel du Palais de Tokyo (« Statik présente des boucles infiniment profondes de pensées fractales »), la musique d'Actress n'a rien d'absconse ou de snob, elle est tout simplement en permanence en mode « Recherche & Développement » (il est vrai qu'on trouve moins de boucles de pensées fractales chez Taylor Swift ou Dua Lipa). Si l'album s'ouvre avec Hell, un titre de six minutes de bruit blanc tout juste ponctué de quelques glitches, ce n'est pas tant que Darren Cunningham aime faire son malin, c'est surtout qu'il tente de construire la musique de demain. Tout au long de ces onze titres, vous ne trouverez pas de musique à la complexité ostentatoire mais plutôt des sons fluides et épurés au point de n'en conserver que l'essentiel.

George Riley, Daniel Avery, Tirzah ou Yves Tumor : ils sont nombreux à aller piocher dans cette inépuisable source pour trouver l'inspiration car bien plus qu'un artiste hype, Actress est avant tout un artisan passionné et un producteur inspiré. La pochette de l'album signée par le photographe Ola Rinda fait volontairement écho à celle de Sunset Violent de Mount Kimbie avec sa voiture crashée dans un fossé en bord de route. On parlerait de coïncidence si Darren n'était pas le grand ami de Kai Campos avec lequel il écume les clubs londoniens depuis de nombreuses années lors d'épiques DJ sets en BtoB.

Plus que qu'un album, Statik est une proposition de musique(s), un moodboard de sons et d'ambiances voire un catalogue de couleurs et de textures. Ceux qui n'écoutent que des produits formatés trouveront probablement que Statik est une œuvre pas finie. Ceux qui envisagent la musique comme une matière en perpétuelle évolution, considèreront Statik comme une œuvre infinie.

Après deux titres d'ouverture au minimalisme absolu, on se laisse vite séduire par le squelette trip-hop de My Ways, l'ébauche de house lo-fi et métronomique de Rainlines, le pointillisme caressant de Ray, les infrabasses angoissantes de Six, l'hypnotique Cafe del Mars et la boucle addictive de Dolphin Spray avant que le disque ne replonge peu à peu avec les trois derniers morceaux dans une épure des plus zen. Bien mieux que séduisant, Statik est un disque envoûtant, déroutant et enivrant, sur lequel Actress atteint une sorte d'umami musical (la cinquième saveur issue de la gastronomie japonaise basée sur le ressenti et l'émotion) ou de Mono No Aware (ndlr : l'art japonais de l'émotion des choses et également le nom d'une mythique compilation d'ambient parue sur le label berlinois PAN).

Pour ce rêve beau et étrange, Actress San, arigato gozaimasu !