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Fontaines D.C. - Romance
Chronique Album
Date de sortie : 23.08.2024
Label : XL Recordings
5
Rédigé par Franck Narquin, le 19 août 2024
Vivre vite, mourir jeune et faire un beau cadavre.

De James Dean au Club des 27 en passant par Ian Curtis, ils sont nombreux à avoir suivi à la lettre ce précepte fondamental, presque romantique, fondé sur le postulat que le rock ne supporterait rien de moins que l'embourgeoisement, la répétition et le ramollissement. Voitures de course, polytoxicomanie, suicide, noyade ou Mark David Chapman, à chacun sa petite coquetterie. Pour les groupes, le procédé s'avère nettement moins radical et un simple split à l'issue d'un dernier bon album fait en général l'affaire. On peut donc remercier Yoko Ono et l'égo de Lou Reed de nous avoir épargné l'album de trop des Beatles et du Velvet Underground. A vouloir quoi qu'il en coûte s'accrocher au trône, on risque d'y périr bouffi et constipé comme Elvis ou tel les Rolling Stones, demeurer officiellement le plus grand groupe de rock and roll du monde durant six décennies sans avoir sorti le moindre disque majeur après la première élection de François Mitterrand, soit dit en passant le meilleur président de droite que la France n'ait jamais connu.

Pour les fans, le désamour peut survenir, comme dans un couple, d'un simple geste anodin. Cela peut être le mic drop aussi culte que gênant d'Alex Turner recevant crânement le « MasterCard Album of the Year » aux Brit Awards 2014 sans arriver à percevoir le grotesque de la situation, la décision d'Ariel Pink d'aller visiter le Capitole le même jour que le sosie de Jamiroquai et ses copains trumpistes ou bien encore les cinq derniers albums d'Oasis. Dur, dur d'être un rocker, mais encore plus de le rester surtout quand Steve Albini n'est plus là pour veiller au grain ! Je vous connais, vous avez déjà sur le bout de la langue de nombreuses exceptions à la règle, des musiciens qui ont su vieillir tout en conservant intactes flamme rock, pertinence artistique et punk spirit, comme Iggy Pop, Nick Cave ou Gérald De Palmas.

Je vous rassure, vous ne vous êtes pas trompés de salle. Bien que leur nom n'ait pas encore été prononcé, vous lisez actuellement la critique de Romance, quatrième album de Fontaines D.C., combo Irlandais devenu chefs de file du courant post-punk britannique actuel en compagnie des bristoliens d'IDLES, à tel point que les deux groupes trustent quatre des six derniers titres d'album de l'année de Sound of Violence. Au-delà de leur statut de chouchous de la rédaction, ces deux formations se sont imposées depuis 2017 au sein d'une scène particulièrement dense et créative, parfois appelée « crank-wave » (ndlr : le terme inventé par le NME n'ayant pas réussi à supplanter celui du très générique « post-punk »), grâce à leurs univers singuliers et marquants, aussi intenses et réussis sur disques que sur scène.

On commence par un bref rappel des faits. Les Irlandais ont débarqué en 2019 avec Dogrel, debut album rageur qui, à défaut de réinventer la poudre, lui mettait sacrément le feu grâce à sa grosse poignée de brûlot tels que Big et Boys In The Better Land. L'année suivante, A Hero's Death enfonçait le clou en parvenant à habilement mêler songwriting efficace et musicalité sombre et atmosphérique. En 2022 Skinty Fia, en français « la damnation du cerf », a permis au groupe, fraîchement installé à Londres, de conquérir la tête des charts anglais et irlandais avec une musique encore plus complexe et mature. Mais à l'image de sa pochette voyant un cerf irlandais pris au piège d'une entrée de maison typiquement anglaise, le groupe semblait déjà se demander « sommes-nous à la bonne place ? », ou plutôt « sommes-nous à notre place ? ».

Après ces trois albums produits par Dan Carey et sortis sur le label Partisan Records, Grian Chatten (chant), Carlos O'Connell (guitare), Conor Curley (guitare), Conor Deegan (basse) et Tom Coll (batterie) avaient certainement de quoi nous en concocter un sublime quatrième dans la même veine. Celui-ci aurait été salué par toute la presse et qualifié au pire d'album de la maturité et au mieux de chef d'œuvre pour la postérité. En un mot ils étaient à un disque de devenir les nouveaux Arctic Monkeys. Pourtant à leur sommet et alors qu'on attendait juste de savoir si le groupe allait choisir la voie du succès commercial ou celle de la définitive reconnaissance artistique, Fontaines D.C décident de remettre les compteurs à zéro, quittent Partisan Records pour XL Recordings, remplacent Dan Carey par James Ford, et déclarent s'inspirer de Shygirl, Sega Bodega, Mos Def ou Korn pour totalement se réinventer. En résulte un quatrième LP aussi flamboyant et vivifiant, aussi sonnant et trébuchant qu'un premier album, l'œuvre d'un groupe ayant parfaitement capté l'air du temps, mais qui au lieu de se contenter de gentiment le suivre, l'inspire (Starburster) et l'expire (Here's The Thing) à tout va pour insuffler un vent nouveau, le vent du renouveau.

Bouffer le monde pour en recracher un disque-monde, c'est le petit miracle auquel parviennent Fontaines D.C. avec Romance. C'est grand, c'est beau mais ça n'a rien de nouveau. Nous avons tous un vieux pote qui appliquait régulièrement cette même méthode, à savoir vivre vite, prendre le pouls de la jeunesse pour s'en nourrir et ne jamais s'endormir et qui fait malheureusement aujourd'hui un beau cadavre. Il s'appelait David Bowie et comme lui, nos cinq amis ont compris que cette maison qui étouffait le cerf, il fallait la brûler pour de nouveau se sentir à leur place.
Si Fontaines D.C. mutent ici de manière impressionnante, à aucun moment ils ne se renient ou ne font table rase du passé. A l'instar de cette pochette, radicale et évocatrice pour les uns, hideuse et vraiment trop moche pour les autres, le changement de cap entrepris par le quintet n'a rien d'un caprice de stars en mal d'inspiration mais plutôt tout d'une manœuvre réfléchie englobant dans un même geste musique et identité visuelle, vidéo clips et tenues vestimentaires, pensées et discours de la méthode, sacré et profane. Semblant trancher avec les précédentes, la couverture figurant un gros cœur déformé couleur bubblegum sur fond bleu ciel au-dessus duquel est flanqué le mot « romance » en vert flashy tisse des liens plus ou moins évidents avec les trois premiers albums (même typographie que sur Skinty Fia, absence du nom du groupe, symbolisme appuyée avec ce cœur qui pleure faisant écho au cerf effrayé...).

Côté musique, certains fans de la première heure crieront à la trahison pop (oubliant que Joy Division devenait New Order alors que Valerie Giscard d'Estaing dormait encore à l'Élysée) tandis que les aficionados de Starburster pourraient être déçus de constater que Romance ne comporte pas onze tubes du même acabit. Car rappelons-le, dès la première écoute de Starburster le 17 avril dernier, l'évidence nous éclatait aux oreilles. Fontaines D.C. s'apprêtaient à frapper un grand coup et cet hymne résonnait comme une première secousse avant le tremblement de terre. Ce classique instantané, porté par sa déjà célèbre inspiration, laissait entrevoir un album puissant et ravageur. L'auditeur plongeant à droite, en artisan du contre-pied parfait, le groupe frappait alors en douceur côté gauche avec Favourite. Entre shoegaze et jangle pop et porté par un chant tout en harmonie et mélancolie, ce second single d'apparence plus humble en aura déstabilisé plus d'un. Mais à quoi jouent-ils se diront certains ? Le troisième single Here's The Thing nous donnera enfin la réponse. Ils jouent, tout simplement !

Les expirations portant Here's The Thing, les ambiances vaporeuses de Desire et The Modern World, Bug et sa britpop fougueuse aux accents baggy, la boucle sonore étourdissante de Motorcycle Boy, la ballade crépusculaire Sundowner, l'élégance sombre et orageuse de Horseness Is The Whatness, morceau tout droit sorti de Skinty Fia, ou la rugosité brute de Death Kink, titre portant les stigmates de Boys In the Better Land, ne nous disent rien d'autre. Fontaines D.C. jouent, comme les enfants qu'ils sont tout simplement redevenus, comme le meilleur groupe de rock du monde qu'ils sont tout simplement devenus.

Après Starburster, nous pensions que le groupe allait sortir un album en mode Apocalypse Now, mais il préfère suivre la route du Motocycle Boy, dont le titre fait référence au personnage interprété par Mickey Rourke dans Rusty James (ndlr : Rumble Fish en VO), le chef d'œuvre de romantisme rock n' roll de Francis Ford Coppola. Plutôt que le film du beau-père de Thomas Mars, Grian Chatten évoque comme influences cinématographiques Akira ou Sunset Boulevard et voit Romance comme un disque pour « tomber amoureux à la fin du monde » tandis que Carlos O'Connel considère que « cet album traite du sujet de la frontière entre fiction et réalité et s'interroge sur ce qui représente le plus ce que l'on est vraiment entre le monde tangible et l'espace mental dans lequel divague notre esprit ».
Que ce soit le mythe de la jeunesse éternelle de Rusty James, la dystopie romantique d'Akira ou les déambulations spirituelles de David Lynch (lui-même grand fan du film noir de Billy Wilder), toutes ces pistes évoquent des œuvres éprises de sang neuf, d'inventivité formelle et d'une certaine idée de la radicalité créative, à la fois révolutionnaire et grand public. Ce n'est pas pour rien que l'album débute par ce mantra « Maybe Romance is a place, for you and me and... », qu'on peut traduire par « cher auditeur, donne-nous la main et partons pour ce voyage où ensemble, peut-être, oui seulement peut-être, trouverons-nous cet endroit qu'on appelle Romance ».

Trop pop, trop fun, trop éclectique, inégal, surprenant, réjouissant et décevant, le quatrième LP de Fontaines D.C. ne devrait pas faire l'unanimité, contrairement à son prédécesseur, l'impeccable Skinty Fia. Définitivement pas l'album de la maturité, encore moins un chef d'œuvre pour la postérité, Romance s'avère bien plus important que cela. Ce disque, aussi léger et éphémère, aussi libre et vitale qu'une respiration, s'impose par son immédiateté comme la plus belle expression du son de l'époque. Il n'est rien de plus que le disque de l'été 2024, mais il l'est pour l'éternité.
tracklisting
    01. Romance
  • 02. Starburster
  • 03. Here's The Thing
  • 04. Desire
  • 05. The Modern World
  • 06. Bug
  • 07. Motorcycle Boy
  • 08. Sundowner
  • 09. Horseness Is The Whatness
  • 10. Death Kink
  • 11. Favourite
titres conseillés
    Starburster - Motorcycle Boy - Here's The Thing
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