The Heavy Heavy

L'été est la période idéale pour les rétrospectives en tout genre. Prenons comme exemple les excellentes séries « Summer of » sur ARTE qui nous régalent d'une collection dédiée aux « champions » sous toutes leurs formes (musiciens, sportifs, acteurs précédemment sportifs...) ou les nombreux feuilletons radiophoniques (oui, cela existe encore) sur les grands moments de l'histoire. Évidement, en cette année olympienne, tous les regards sont tournés vers les exploits des athlètes et c'est pourquoi un film sur les Jeux Olympiques de Paris à peine achevés tournait déjà en boucle sur nos écrans. Ne niez pas, vous l'avez tous, comme votre chroniqueuse, vu déjà au moins trois fois.
De plus, quand les monstres sacrés du cinéma français tirent leur révérence, autant dire que le voyage dans le temps que nous proposent les cinémas et les chaînes de télévision ne nous donne pas envie de revenir au présent. C'est donc pourquoi Sound Of Violence va enfoncer le clou de la nostalgie avec le premier album One Of A Kind de The Heavy Heavy, duo anglais qui, malgré son jeune âge, semble tout droit venu d'un autre temps, d'une maison bleue adossée à la colline, où l'on y vient à pied, où l'on ne frappe pas car ceux qui vivent là en ont jeté la clé.

Tout d'abord, attention à ne pas confondre lors de vos recherches avec The Heavy, autre groupe anglais imprégné de musique 60s ou avec Heavy Heavy, excellent album de l'un des grands chouchous de la rédaction, Young Fathers. The Heavy Heavy, composés de Georgie Fuller et William Turner, se sont formés en 2019 et ont déjà à leur actif un premier EP Life And Life Only paru en 2022. « Heavy » est décidément un adjectif à la mode, et lorsque doublé, on est en droit à s'attendre à un résultat détonnant. Ici, rien d'explosif mais plutôt une interprétation extrêmement fidèle d'un style qui a révolutionné la musique rock, et dont la côte californienne s'est faite la meilleure des ambassadrices en cette fin des années 60. On vous passera la leçon sur le Flower Power, ses hordes de jeunes marginaux qui fuyaient les sociétés conventionnelles d'après-guerre pour se réfugier dans ce nouvel Eden ouvert à tous, à grand renfort de psychotropes et de festivals mythiques. Nos parents et grands-parents nous ont déjà passé le flambeau avec leur collection de vinyles que l'on a alors bien fait de garder dans un coin du grenier tant leur cote a explosé depuis. Les nombreux ersatz de Jefferson Airplane ou des Mamas & Papas n'ont d'ailleurs eu de cesse de continuer à porter l'héritage du rock psychédélique issu de Laurel Canyon, mais de façon plus ou moins réussie. Alors, quelle pierre peuvent apporter à cet édifice The Heavy Heavy en 2024 ?


En ces années où le post-punk 2.0 est venu remettre un bon coup de pompes dans le séant de chacun, la pop psychédélique de The Heavy Heavy représente un réel pied de nez à tous ces jeunes britanniques et irlandais enfiévrés. Les douze titres de One Of A Kind sont une incroyable ballade qui nous transfère intégralement dans le passé. Et ce qui nous épate est le brio avec lequel Georgie Fuller et William Turner réussissent à faire renaître de ses cendres une musique qui demeure une étape essentielle dans la longue histoire du rock and roll. Point de réinterprétation, ni de modernisation du genre, The Heavy Heavy recréent fidèlement l'atmosphère hédonique de cette époque qui continue d'être considérée comme une parenthèse enchantée.
De la rythmique hypnotique aux riffs bluesy des guitares lancinantes, des arpèges de folk tout en douceur aux couches successives de claviers hallucinogènes qui démultiplient les échos, la psyché pop de The Heavy Heavy attend des sommets d'excellence grâce au chant systématiquement en canon, distordu sous d'habiles couches de reverb qui lui donne cet effet mono et crépitant d'un vieux vinyle d'époque.


Il est quasiment impossible à l'écoute de Happiness, Miracle Sun, Feel ou du très beau Wild Emotion de ne pas penser aux maitres du genres, de ne pas se sentir transporté dans la bande son d'une époque lointaine, tant les deux anglais en ont parfaitement assimilé tous les codes. Les accents country de Everything et Cherry, la pop toute pétillante de Lemonade et les échos presque ésotériques de Salina sont un voyage en Delorean assuré et un très bel hommage aux pionniers du style. On pourrait alors se demander l'intérêt de reproduire aussi fidèlement un son qui malgré son rôle charnière dans l'évolution du rock semble cependant devenu désuet. On ne saura pas répondre de façon affirmée à cela, car seul le plaisir de se laisser guider dans la musique envoutante des Anglais inspirée d'un passé que l'on sait maintenant utopique prévaut.

The Heavy Heavy sauront trouver leur public avec ce One Of A Kind qui prend ouvertement le parti de continuer à nourrir le terreau dans lequel tous les musiciens rock trouvent leurs racines, au milieu duquel ils ont glané leurs influences les plus solides. A l'heure du délicat retour sur terre pour la majorité d'entre nous, l'immersion dans cet univers au goût d'authentique Summer Of Love est une dernière évasion qui ne se refuse pas.