Chronique Album
Date de sortie : 06.09.2024
Label : Napalm Records
Rédigé par
Bertrand Corbaton, le 5 septembre 2024
En dépit des trois ans écoulés entre Ghost Tapes #10 et Embers, nouvel album des irlandais de God Is An Astronaut, vous avez peut-être encore en tête un petit air lancinant et désagréable dont vous peinez à vous défaire. Cette petite mélodie entêtante vous rappelle que Ghost Tapes #10 n'avait pas réussi à totalement convaincre son monde. Est-ce à expliquer l'appréhension qui guette à l'écoute de ce déjà 11ème album en un peu plus de vingt ans de carrière ? Le groupe n'est pourtant pas resté en veille durant tout ce temps, puisque sont sortis des productions live et le remarquable Somnia.
Pour ceux d'entre vous qui ne les connaîtraient pas encore, God Is An Astronaut est ce genre de groupe qui ne font pas vraiment les choses comme tout le monde. Ici, pas de pop-rock, pas de véritable post-punk, ou quoi que ce soit qui pourrait peu ou prou vous rattacher à une référence contemporaine particulière. D'aucuns pourraient y voir une espèce de lien en commun avec Mogwai, dont ils partagent la même appétence pour les pièces instrumentales qui filent en longueur. Les deux groupes ne jouent pourtant pas une partition similaire, et il serait malvenu de vouloir coller l'un à l'autre sur le seul prétexte d'un parti pris pour les instrumentaux. Chez God Is an Astronaut, on se souvient surtout de All Is Violent All Is Bright, et en 2018 du magnifique Epitaph. À défaut de refaire à l'envi le même album, les frères Kinsella avaient décidé de changer de paradigme sur Ghost Tapes #10 en 2021. Le côté nuageux, évanescent ou abrasif de Epitaph laissait place à une matière plus brute.
Qu'en est-il aujourd'hui, où en sont les Irlandais ? Un retour aux sources n'est pas vraiment la tendance, et s'il fallait vous en convaincre, Falling Leaves, single extrait de ce nouvel album a de quoi doucher vos espoirs. Pourtant, avec son intro mélancolique et sa tournure épique, voilà de quoi mettre en lumière le talent créatif du groupe. Ici les frères Kinsella font évoluer leur navire entre bords de mers calmes, et eaux tumultueuses. Si Falling Leaves est tout à fait convaincant par l'émotion qu'elle dégage, les intentions du groupe sont dévoilées derechef, et il va falloir se faire à cette structure entre quiétude et rage, qui va se retrouver à plusieurs reprises tout le long du voyage. Ainsi, Apparition est également fait dans cette même idée, même si elle ne porte pas en elle la densité physique de Falling Leaves. Odyssey et Oscillation nous embarquent sur le même terrain, à tel point que l'on se demande déjà si une autre approche va être proposée, où si l'auditeur va se retrouver enchevêtré dans un schéma similaire tout le long.
Parfois, lorsqu'il durcissent le ton, God Is An Astronaut se laissent aller à des phrases qui ne manqueront d'évoquer à certains les lignes de guitare du groupe Tool. C'est plutôt surprenant, et laisse penser à une volonté d'intellectualisation, d'emprunter un chemin plutôt osé qui pourtant ne sert pas vraiment le propos dans des proportions très évidentes. On va retrouver une sensibilité proche de celle d'Adam Jones sur Embers, et dans une moindre mesure sur Oscillation. Malheureusement rien ne nous sera épargné et la recette calme puis tumulte revient de façon décidément bien redondante.
Il faudra attendre Heart Of Roots pour sortir de cette structure éculée. Il s'agit d'un titre mélancolique et touchant où se mêlent avec bonheur guitare et piano. C'est plutôt bien réalisé, même si cela tourne tout de même sacrément en rond. Prism rejoue cette scène avec la même réussite, quand Realms, elle rappelle fortement les travaux sur Somnia, deux ans auparavant.
Voici qu'approche déjà la fin du voyage, et pour tout dire, personne ne sera vraiment déçu de voir le train arriver à destination. Pourtant, le lumineux Hourglass a de quoi nous remettre du baume au chœur avec sa mélodie fragile. Voila enfin un rayon de soleil dans la musique tourmentée que propose Embers, une espèce de fin d'expédition qui se termine au final, bien mieux que ce que l'ensemble aurait pu supposer.
Pourtant, difficile de ne pas rester sur sa faim. God Is An Astronaut sont de magnifiques musiciens, et ils savent mettre en musique les images qui défilent dans votre tête comme personne. Embers joue définitivement sur l'émotion et le sentiment de mélancolie avec justesse, à tel point que le tout se laisse écouter sans difficulté. Mais les ficelles sont parfois tellement grossières qu'on ne peut se laisser totalement prendre au piège que voudrait nous tendre le groupe. Surtout, la répétition d'un schéma somme toute réellement déjà-vu à maintes reprises n'aide pas à se laisser embarquer et ne peut empêcher l'ennui de pointer irrémédiablement le bout de son nez. Au final, l'impression de se retrouver en face d'un nouveau Ghost Tapes #10 est prégnante, et si les deux albums ne sont pas des jumeaux à divers égards, les reproches faits à l'un valent également pour l'autre.