Anne-Marie Sanderson

Un ruisseau court le long d'une vallée. Sur les berges, les feuilles d'automne recouvrent des rochers mêlés de mousse luisant de leurs reflets d'émeraude. Dans la pente, des fougères éclatent du vert des pluies d‘été. Plus haut, les hêtres et les chênes couleur de cuivre luttent avec peine contre leur naissante calvitie. S'enfonçant toujours plus profondément dans la forêt, le sous-bois s'épaissit, les feuilles se changent en épines, l'orange brûlé devient d'un vert aussi sombre que les légendes qui hantent le bois. Un vert de gnomes, de trolls, de loups et de chaperons rouges, durant le temps d'un doute, menant à une clairière remplie de sons que les buissons d'épines entremêlées se gardaient pour eux-mêmes. Une clairière dans laquelle descend une lueur pure, faite d'un seul et de milles rayons de lumière, tombant en un voile de chaleur tissé par la canopée sur des bras accueillant une guitare de bois rouge, des doigts pinçant en cascade ses cordes de bronze, et dans le scintillement du soleil sur les vapeurs de rosée, une voix. Une figure druidique, trônant sur une souche que sa repousse en arabesques avait changée en chaire divine, dont le chant défile les saisons comme tournent les pages d'une partition dans le vent de la mer d'Irlande.

Au centre de cette clairière musicale, derrière le verre de ses lunettes et des cheveux couleur d'automne, Anne-Marie Sanderson, compositrice anglaise de Cumbria tenant tantôt du druide et tantôt de la nymphe, perpétuant un folklore et des traditions millénaire dans une musique à la gloire de la nature et du passage du temps. De délicats arpèges de guitare folk, quelques tambours et éclats de cymbale en tapisserie, un violoncelle pour patiemment colorer les graves, et une voix douce, cristalline comme un ruisseau coulant sous un pont aux fées, petit arc de pierre grise tendu entre deux berges éclaboussées. Une musique contemplative de la Nature avec un grand N, celle que l'on respecte au risque d'y perdre des doigts, celle qui ne nous doit rien et à laquelle on doit tout, une musique née pour méditer au pied d'un grand chêne, quitte à parfois s'endormir pour se réveiller le nez dans les champignons.

L'état d'esprit d'une musique fidèle à elle-même et aux forêts qui l'entourent, loin de toutes considérations électrico-électroniques, qui du long de ses dix chansons pourra paraître redondante à certains, mais récompensera de sa magie les aventuriers qui oseront passer son pas et y rester camper. Car ce premier album d'Anne-Marie Sanderson est rempli de trésors trop bien cachés du grand public : il est une antre de dragon dont les montagnes d'or s'appellent Turning Of The Year ou Old Light, une tour d'enchanteresse dont les brillantes fioles se nomment If et Disparate, il est un lac dont la dame garde une lumière ancienne mais brillante en un lieu reculé, un phare dans la nuit des amoureux d'un folk ancien, forestier, mystique, un folk que l'on chantait à Brocéliande quand y passait le Roi Arthur.

Alors si vous aussi, parfois, vous vous dites que le Brat summer ça suffit, qu'élever des chèvres dans la Drôme et faire du Picodon dans l'arrière-pays serait une reconversion souhaitable, prenez Old Light, par Anne-Marie Sanderson, comme une première porte ouverte pour revenir à vos racines, un album apaisant et délicat, pour tout ce qu'il est et ce qu'il n'est pas. Laissant de côté la fièvre éreintante des mondes urbains, il remet dans la lumière les traditions d'une vie moins mouvementée, voguant au gré des pluies et des vents, doucement, lentement, comme parlent et poussent les Ents de la forêt de Fangorn. Et nous, petits hobbits rondouillets trop occupés à jardiner, nous écoutons, nous écoutons, et profitons de ce temps de repos pour entamer le second petit-déjeuner.