The The

L'annonce d'un nouvel album de The The est une sacrée surprise, quelque chose qui s'approche du mystique, de l'improbable et ce à plusieurs égards. Tout d'abord parce que la santé déclinante de Matt Johnson rendait de plus en plus hypothétiques les chances de voir une suite à Naked Self. Ensuite parce que ce dernier album date de 2000, soit bientôt vingt-cinq ans sans que The The ne s'affiche avec un nouvel LP à présenter.

Oh, bien sûr, on savait Matt Johnson toujours actif entre compilations, rééditions de vieilles compositions (See Without Beeing Seen en 2020) et performances live. Au final The The semblait se cacher dans le fond d'une salle, mais leur présence se sentait, comme un souffle chaud dans la nuque. Ainsi, la tournée immortalisée sur le live Comeback Special Live At The Royal Albert Hall (dont il faut absolument écouter la superbe version de Sweet Bird Of Truth) avait certainement de quoi nous mettre la puce à l'oreille, mais nous étions là en 2018 et il faudra attendre 2023 pour voir Matt Johnson se décider à annoncer une nouvelle tournée et un nouvel album.
Nous voici donc aujourd'hui devant Ensoulment, et avec pas mal d'interrogations quant à la direction que notre homme a bien voulu donner à ce nouveau projet. Les singles sortis un peu plus tôt cette année nous donnent pourtant une bonne indication sur la tournure des événements.

  Surtout, il ne faudra que peu de temps pour comprendre à quel point les retrouvailles sont douces, tant Ensoulment est merveilleux. Il est l'évocation du temps qui passe, l'évocation d'un homme lucide sur ce qui est devant lui, qui peut se retourner tranquillement, apaisé, serein. À cet égard, le magnifique I Want To Wake Up With You transpirant l'inquiétude est vibrant. Aussi, sur, ce Life After Life absolument renversant, où l'idée d'un homme en fin de parcours, fait son bilan, sans peur de la suite des événements est exprimé de façon brillante.
Sans peur, peut-être, mais pas sans question face à l'inconnu, comme le sollicite la petite ballade rock Where Do We Go When We Die. L'écriture de Matt Johnson a-t-elle déjà été tant inspirée ? La question se pose tant le morceau est beau de simplicité et cette mélodie vous fait naviguer et emporte votre âme dans le vent. Ensoulment baigne presque tout du long dans cette douce mélancolie des choses qu'on ne retrouvera pas comme sur I Hope You Remember (The Things I Can Forget), ou le poignant A Rainy Day In May en guise de clôture à cette magnifique promenade qu'est cet album.

Parfois le ton se fait un peu plus rapeux, comme sur l'étrange Cognitive Dissident qui rappelle un rock alternatif aux accents américains, ou sur Linoleum Smooth To The Stockinged Foot, plus âpre et expérimental. Sur le théâtral Zen & The Art Of Dating, le rock légèrement bluesy nous plonge dans une pièce sombre et enfumé qui colle pourtant ne jure en rien avec le reste de l'album. Car ici, notre affaire tombe toujours juste, et Matt Johnson ne s'accorde aucune approximation ou faux pas. L'ambiance est un peu similaire sur le magnifique Some Days I Drink Coffee By The Grave Of William Blake, remarquablement mené et empreint d'une poésie folle.
L'ensemble est coloré par de subtiles mais prégnantes touches jazzy absolument délicieuses, à l'image du lumineux Risin' Above The Need, et son double maléfique Down By The Frozen River, petite pièce de piano bar où Johnson joue d'une voix grave et profonde dans une ambiance de saloon.

The The nous fait décidément une sacrée surprise. Il aura fallu patienter une vingtaine d'années, mais cette attente en valait la peine tant Ensoulment est un enchantement. Certes il résonne quelque peu comme le chant du cygne, l'album final d'une formation qui n'aura de cesse d'évoluer et de changer autour de Matt Johnson. Car Matt Johnson est The The et The The est Matt Johnson, et peu importe qui, entre les nombreux collaborateurs plus ou moins célèbres, va l'accompagner, du revenant Eric Shermerhorn, à Gail Ann Dorsey, de Johnny Marr à Barrie Cadogan. Dans tous les cas les albums de The The ont toujours apporté quelque chose de nouveau. Infected sonne diablement années 80, mais assez singulier pour se démarquer avec ses faux airs électro indus. Trois ans auparavant, sortait le brûlot anti-Thatcher Soul Mining, avec les deux perles que sont Uncertain Smile et This Is The Day.

Les thèmes traités par The The sont variés. Si on a beaucoup relevé les textes politique souvent acerbes, il ne faut pas omettre l'intérêt porté aux relations humaines. Surtout, le groupe a évolué au gré des envies et des opportunités que la vie ont laissé sur le chemin de Matt Johnson. Ensoulment a ceci de particulier qu'il semble plus personnel que jamais, et fait penser à certains égards à un adieu, un bilan. Pourtant, qui sait si ce n'est pas au final le début de quelque chose, un nouveau départ ?

Avec ses airs mélancoliques, ses ambiances pluvieuses variant entre un rock alternatif baigné de touches jazzy et bluesy, Ensoulment est peut-être le chef-d'œuvre de cet artiste hors du commun. Un homme qui à passé la plupart de sa vie dans l'ombre tout en étant furieusement présent et indispensable par son talent. Matt Johnson a toujours pris le contre-pied, sans jamais être à contre-temps. Du grand art.