Chronique Album
Date de sortie : 20.09.2024
Label : Mercury KX
Rédigé par
Franck Narquin, le 19 septembre 2024
Note au lecteur : Dans le but de vous présenter au mieux la démarche de l'artiste et le contexte particulier de ce projet musical, nous avons repris tels quels dans les premiers paragraphes de cette chronique des éléments provenant des communiqués de presse et des sites du label et de l'artiste. Ne vous servant toute l'année que du fait-maison, nous tenons à vous informer quand nous sommes contraints d'utiliser un produit déjà préparé.
Au début de l'année 2021, le compositeur écossais Erland Cooper a planté le seul enregistrement existant d'une nouvelle œuvre dans le sol des Orcades, près de la maison de son enfance. Tous les fichiers numériques de l'album ont été effacés. Le seul enregistrement existant de la musique a été enterré, ainsi qu'un violon, une partition imprimée complète, une lettre dans une boîte de biscuits et une pierre spéciale marquant l'endroit. Une chasse au trésor composée d'indices subtilement disséminés a été lentement révélée par le compositeur pour que les fans et sa maison de disques puissent la rechercher s'ils le souhaitaient. Au bout de trois ans, s'il n'était pas retrouvé, le compositeur reviendrait le déterrer lui-même. L'album serait alors numérisé et publié, exactement tel qu'il est sorti de la terre, la nature ayant collaboré au processus de composition.
Fin 2022, la cassette a été retrouvée par deux fans, Victoria et Dan Rhodes. La bande a ensuite lentement séchée et été exposée chez des disquaires indépendants écossais tout au long de 2023. Erland Cooper l'a ensuite écoutée pour la première fois à l'équinoxe de Printemps 2024 puis l'a interprétée le 8 juin au Barbican de Londres pour un concert unique. On trouve sur cette enregistrement la nouvelle œuvre en trois mouvements de Cooper pour violon solo et ensemble à cordes, écrite pour marquer le centenaire du célèbre poète orcadien George Mackay Brown. L'enregistrement sera comme prévu publié tel qu'il est sorti de terre et sortira le vendredi 20 septembre 2024, jour de l'équinoxe d'automne sous le titre Carve The Runes Then Be Content With Silence.
Ce disque serait-il le fruit du délire d'un joyeux illuminé rappelant les constructions du Facteur Cheval que Pulp aimaient tant, un geste poétique et romanesque aussi ludique et sincère que celui qui anime les personnages de Trenque Lauquen, ce chef d'œuvre du cinéma argentin (disponible en VOD) ou une performance artistique quelque peu pompeuse dont le dispositif importe plus que le contenu comme le carré vide de The Square, satire très convenue du monde de l'art pourtant auréolée d'une Palme d'or ? Il y a sûrement un peu de tout ça ici mais au fond peu importe, laissons de côté tout a priori car nous n'avons à faire ici ni à un escroc, ni à un génie. S'il est préférable de s'informer au préalable des intentions d'Erland Cooper ainsi que de la nature et de la petite histoire autour de cette œuvre, il est en revanche indispensable d'aussitôt l'oublier pour ne se concentrer sur rien d'autre que le musique elle-même. Artisan sincère, qui après des débuts au sein de formations shoegaze s'est fait remarquer par ses travaux en solo alliant de manière inédite néo-classique et électronique, Erland Cooper tente simplement de produire de la musique différemment. Il suffit d'accueillir candidement ce que l'artiste nous propose humblement, soit trente minutes gracieuses et légère de violons et ensemble à cordes tout juste émaillées de quelques crépitements et mots prononcés, le tout à écouter d'une seule traite.
Carve The Runes Then Be Content With Silence est présenté sous deux formats, soit un titre unique d'une demi-heure, soit un album découpé en dix morceaux. On pense bien sûr au sublime album RITUAL de Jon Hopkins sorti fin août et également conçu comme une plage unique mais divisé en huit parties pour faciliter son écoute et se conformer aux formats attendus par les plateformes de streaming. Si l'écoute de fragments de RITUAL permettait à l'auditeur d'appréhender cette œuvre dense et de se familiariser avec elle avant de s'attaquer à ce monument dans son intégralité, on conseille ici de d'abord écouter le disque en une seule fois. Cela peut se faire d'une oreille distraite, en travaillant, en somnolant ou en bouquinant autant qu'avec la plus grande des attentions, bien installé dans son canapé, casque sur les oreilles ou mieux encore devant une chaine hi-fi avec amplificateur à lampe et enceintes de qualité. Facile d'accès, douce et légère, il faut laisser peu à peu cette musique infuser et y revenir régulièrement avec le plus grand des plaisirs. Ce n'est qu'ensuite que les mélomanes, audiophiles, geeks musicaux ou auditeurs conquis pourront s'amuser à décortiquer cette pièce unique à l'aide des dix plages qui représentent chacune un tiers des trois mouvements composant l'œuvre intégrale.
Carve The Runes Then Be Content With Silence se traduit par « sculpter les runes puis se contenter du silence » et décrit parfaitement la poésie qu'on retrouve gravée sur ce disque parvenant à capturer une photographie de l'instant tout en resonnant de manière intemporelle. Allongé dans un champ sur l'herbe fraîche, le vent frémissant nous chatouillant les oreilles, on se laisse bercer par ces contes écossais et par les odeurs du terroir qui s'en dégagent. Si le procédé créatif lie cette œuvre à l'art contemporain son intention et son résultat s'apparente plus à celui de l'art rupestre. Au milieu du tourbillon frénétique des sorties de septembre, accordez-vous un repos salvateur venant régénérer vos oreilles et rappelant à juste titre que la vraie musique nait non pas d'une accumulation de notes mais du silence qui les sépare.
Carve The Runes Then Be Content With Silence d'Erland Cooper s'impose comme le disque le plus nécessaire de cette rentrée, les trente-minutes de baume à appliquer entre chaque session de furies sonores signées par Fat Dog, DEADLETTER ou autres Gurriers.