Bien sûr, l'annonce d'un nouvel album de The Wolfgang Press, vingt-neuf ans après Funky Little Demons, leur dernière sortie en 1995, ne fera pas autant de bruit qu'une reformation d'Oasis, ou le retour des Cure, pour des questions évidentes de notoriété. Il faut dire que The Wolfgang Press est resté un groupe relativement obscur, même si certains d'entre vous, pour les plus anciens cela va sans dire, se souviendront peut-être que la bande de Michael Allen, toujours accompagné par Andrew Gray, mais amputé du claviériste Mark Cox (remplacé par Stephen Gray, frère d'Andrew), a tout de même eu un petit succès d'estime avec A Girl Like You, et dans une moindre mesure avec le dansant Mama Told Me Not To Come aux accents très Happy Mondays.
Cependant, voici qui était bien trop peu pour assurer à ces artistes déjà singuliers pour l'époque, une place de choix dans les mémoires. Ajoutez à cela ce silence retentissant de presque trois décennies, et The Wolfgang Press avaient à peu près tout pour tomber dans un oubli quasi total. Il faut dire aussi que le groupe n'a jamais fait beaucoup d'efforts pour marquer les esprits du plus grand nombre tant sa musique était à part. Hormis quelques écarts plus faciles d'écoute, on retiendra certainement de The Wolfgang Press une volonté d'emprunter des chemins de traverses, et de présenter un post-punk malformé, hybride, qui dévoilait un attrait mal dissimulé pour la théâtralité. À ce titre il est bon de se rappeler de Heart Of Stone sur l'album The Legendary Wolfgang Press And Other Tall Stories en 1985, ou de Chains sur Funky Little Demons. Pour prendre la pleine mesure de l'ampleur emphatique que savent développer nos protagonistes, il est bon de réécouter l'incroyable Hammer The Halo sur Standing Up Straight (1986). Vous avez ici une matière insaisissable, quelque part entre Virgin Prunes et une cold wave hallucinée. Du grand art.
Quel est alors la teneur de ce nouvel album ? Le temps a-t-il agit sur la folie de ces hommes ? À vrai dire, A 2nd Shape ne ressemble au final à aucun autre album des anglais. C'est pourtant foncièrement un album de The Wolfgang Press, dans tout ce qu'un groupe peut présenter d'aspiration à la liberté, totalement dispensé de quelconques conventions ou ligne directrice imposée par son époque. L'ambiance de A 2nd Shape est foncièrement sombre. Sons râpeux et ambiances étranges agissent tel un principe directeur à l'image du titre d'ouverture. The Garden Of Eden, aux sons abrasifs et à la texture rêche, évoque plus facilement l'enfer et ses Abymes que le paradis. Cette entrée en matière fera plus penser à Coil qu'au Wolfgang Press des années 90, d'autant que la voix de Michael Allen ne sera pas sans évoquer le chant lancinant de John Balance.
A 2nd Shape est un album physique, à l'image de Take It Backwards ou de 21st Century, exigeant et prompt à malmener l'auditeur. Ici, il point une espèce de dichotomie entre cette basse dansante et ces sons austères et agressifs, cadencés par cette boite à rythme d'un autre temps. Il faut dire que The Wolfgang Press ont fait le choix d'une utilisation minimale des ordinateurs, l'idée étant de travailler de façon brute et de mettre un vieux multipiste Alesis au centre du projet.
Le résultat est épatant, car le trio nous livre du neuf avec du vieux sans que l'on puisse trouver à y redire. Cet album laisse un goût de vieux métal dans la bouche, mais reste étonnamment moderne. Voilà qui est remarquable. Lorsqu'ils se lancent dans quelque chose de plus pop, si tant est que l'on puisse le définir ainsi, The Wolfgang Press restent sur une dynamique infernale, ainsi l'halluciné Sad Surfer révélera vite ses intentions. Ce n'est pas la basse sautillante et cette guitare faussement funk qui feront mieux passer la pilule, la structure sonore vous empêchera tout répit et donne ici forme au titre pourtant le plus accessible de l'ensemble.
Cependant, il est parfois question de ralentir le tempo, et c'est peut-être dans cet exercice que A 2nd Shape se révèle être le plus surprenant et intéressant. À cet égard, le magnifique Knock Knock est un modèle du genre. Il est une évocation de calme seulement perturbée par des vagues de sons coupante comme du verre. Il existe dans le cœur de ce titre quelque chose à la fois sombre, menaçant, et pourtant vaguement rassurant. C'est absolument grandiose.
Le constat est similaire sur Reset Your Mind, où cette ambiance étrange et bruitiste vous laisse dans une espèce de sidération jouissive. Si The Line ambitionne jouer la même partition, elle se perd un peu en route, et échoue dans ses intentions. Qu'importe, l'ambiance céleste de The 1st rattrape aisément ce petit faux pas, pour servir un album décidément remarquable dans ses intentions, sa conception et les perspectives qu'il offre.
A 2nd Shape ne ressemble a rien de ce que vous pourrez écouter dans cette année 2024, et dans l'absolu, il ne ressemble pas vraiment à une production de The Wolfgang Press. À plus d'un titre, il fait penser à un disque indus dans sa définition première, mais il ne se résume pas qu'à cela et il vous faudra plusieurs écoutes pour dompter cet album métallique, angoissant et parfois angoissé. Forcément, toutes les oreilles ne seront pas réceptives à l'esthétique de A 2nd Shape, mais qu'importe, là n'est pas l'idée, et ce n'est de toutes façons pas dans le logiciel du groupe. En revanche, il convaincra de nombreux d'entre vous nostalgiques d'une certaine forme d'audace artistique, de risques et de refus de compromission. Pour ces personnes, voici qui est bien plus important que la reformation d'Oasis.