Chronique Album
Date de sortie : 25.10.2024
Label : Smith Hyde Productions
Rédigé par
Bertrand Corbaton, le 31 octobre 2024
Ceux d'entre vous qui n'ont jamais porté d'intérêt aux travaux du groupe Undeworld sous le seul prétexte que ces derniers sont à rapprocher de la mouvance techno club seraient bien inspirés de revoir leur jugement. Certes, le single Born Sleepy largement médiatisé par le film Transpotting n'aide pas vraiment le propos suivant, pourtant, Underworld est bien plus qu'un simple groupe électronique. Tout d'abord parce que le duo Karl Hyde – Rick Smith est largement influencé par la new wave et le rock du début des années 80. Ensuite parce que l'idée de nos deux hommes est de réellement créer de l'émotion, fabriquer des textures, façonner un son qui lui est propre. Certes, l'apport du DJ Darren Emerson a eu pour effet de tirer le duo vers une musique plus stéréotypée avec ses rythmiques en 4/4 survitaminées et les BPM à 120.
Pourtant, résumer Underworld à cela est une erreur majeure qui pourrait bien vous faire passer à côté de l'un des groupes de référence depuis les années 90. Car il a en lui un son singulier et une approche qui en font au final une formation assez unique. À cet égard, pour vous en convaincre, des morceaux tels Trim sur A Hundred Days Off ou Bruce Lee sur Beaucoup Fish, ont de quoi vous faire comprendre que le champ d'action du groupe est large, et ne se borne pas à une délimitation claire.
Certes, une partie de sa popularité vient aussi de ses nombreux remixes, pour Björk ou Massive Attack. D'aucun se rappelleront de leurs travaux sur le single Barrel Of A Gun de Depeche Mode. Martin Gore ne s'était pas privé à l'époque de faire part de sa déception vis à vis de ces remixes, considérant à juste titre que le produit fini n'avait plus grand-chose à voir avec l'original. Il faut dire que le Soft Mix de Barrel Of A Gun ressemble au final plus à du Underworld que du Depeche Mode.
Depuis 1994, date de la deuxième vie du groupe, Karl Hyde, Rick Smith et Darren Emerson ont trouvé une espèce de formule magique qui rend la musique d'Underworld absolument singulière, sorte de mix entre la musique electronique et le rock. Néanmoins, rien ici à rapprocher d'un big beat à la Prodigy, ou du groove des Proppellerheads. Le propos est ici froid, glacial, à l'image de leur incroyable album Second Toughest In The Infants en 1996. Plus de quinze ans plus tard, même si la musique du duo a forcément évolué au fil des albums, un temps dynamisée par le talentueux Darren Price, l'idée est restée la même est il est difficile de ne pas identifier le son Underworld tant sa personnalité est forte.
Strawberry Hotel ne déroge pas à la règle, et va trimballer l'auditeur entre pièce techno et approche plus organique. C'est peut-être lorsque le groupe mixe les deux qu'il est le plus convaincant, et Karl Hyde et Rick Smith nous livrent avec Hilo Sky un morceau absolument renversant, doté d'une puissance émotionnelle remarquable avec son orgue en fond des quelques notes de guitare. Burst Laughter joue également cette partition mélancolique avec brio, avec des accents plus froids, plus pesants. Ici, la voix agit comme un instrument à part entière. Techno Shinkansen laisse apparaître une intro au piano supplée par une boucle caractéristique du son des anglais. Ici, rien de révolutionnaire, le duo joue sur un terrain qu'il connaît, mais sa maîtrise est totale, même en mode instrumental, l'histoire fonctionne de bout en bout et jamais ne cède quoi que ce soit à l'ennui.
Avec des morceaux comme And The Color Red et Denver Luna, on retrouve le côté plus technoïde, froid, parfois minimaliste, rythmé par une assise martiale et la voix monocorde de Karl Hyde qui déclame son texte comme une machine. Le groupe s'accorde parfois de légers écarts, comme avec ce surprenant Sweet Lands Experience qui met en avant des nappes et des sonorités légèrement plus chaudes qu'à l'accoutumée. Parfois, le ton se fait plus calme, à l'image de ce Black Poppies apaisé, de Stick Man Test, toutes guitares dehors, Iron Bones ou Denver Luna dans sa version a cappella, qui révèle totalement la force du morceau. Gene Pool, quant à lui, agit comme une véritable respiration, une enveloppe chaude, un nouvel écart dans un monde de glace.
Au final, Karl Hyde et Rick Smith n'ont pas vraiment voulu changer une formule qui tient depuis le milieu des années 90. Y voir de la paresse ne serait pas faire hommage à ces deux précurseurs, devenus incontournables dans la musique électronique, tout en repoussant les limites, en ne perdant pas de vue des influences qui vont bien au-delà du mouvement né à Detroit. Pourtant, sans prendre de risque, Strawberry Hotel est un album fort, dense, qui parvient sans difficulté à maintenir Underworld à son rang de groupe iconique. Certes, il aurait peut-être gagné en puissance en étant plus concis, mais peu importe, vous vouliez du Underworld, vous avez du Underworld.