Chronique Album
Date de sortie : 21.02.2025
Label : Human Season Records
Rédigé par
Bertrand Corbaton, le 18 février 2025
Forcément, l'annonce d'un nouvel album de The Murder Capital est le genre d'événement qui ne peut que réjouir la plupart d'entre vous, tant les Dublinois ont marqué leur monde depuis leurs débuts en 2015. Il faudra attendre 2019 pour voir les cinq comparses exploser avec le détonant When I Have Fears. Un bref retour sur l'énergie des dix morceaux qui composent ce premier album vous rappellera que vous n'avez pas ici un groupe qui profite d'une éphémère hype, mais bien d'une formation qui n'a rien à envier aux autres protagonistes majeurs du post-punk actuel. À ce titre, vous avez peut-être avec For Everything un des plus grands titres du genre de ces dix dernières années.
Mais puisqu'un album ne fait pas tout, il fallait attendre sagement la suite pour juger sur pièce. La bande de James McGovern a répondu aux plus sceptiques avec Gigi's Recovery, album magistral. De quoi mettre tout le monde d'accord tant ce dernier met en exergue l'évolution du groupe dans ses compositions, sans faire fi de l'exigence des débuts. Gigi's Recovery s'écoute comme on lit un livre, c'est une histoire qui vous est contée, et celle-ci marquera la musique contemporaine de l'année 2023.
C'est donc deux ans plus tard à peine que The Murder Capital reviennent. Le groupe s'est définitivement fait un nom, et s'il ne semble pas calibré, et c'est tant mieux, pour devenir une grosse machine à l'instar de IDLES ou plus récemment Fontaines D.C., il est pourtant certainement le troisième pilier du post-punk moderne.
Quelques semaines plus tôt étaient présentés deux singles en guise de mise en bouche de ce troisième album nommé Blindness. Le premier, Words Lost Meanings, a toutes les caractéristiques que vous pourrez attendre d'un titre de The Murder Capital, avec cette écriture si singulière, ce talent pour le contre-pied et en même temps une mélodie qui vous attrape à la gorge pour ne plus vous lâcher. L'ambiance des morceaux austères et menaçants de Gigi's Recovery semble loin, peut-être se rapprocherait-on plus de Only Good Things et de sa lumière d'après l'averse. Voilà de quoi donner l'eau à la bouche. Can't Pretend To Know, second single, vous accroche immédiatement, et même s'il est moins brillant que Words Lost Meanings, laisse présager le meilleur. Effectivement, l'ambiance des deux morceaux n'est pas forcément évidente à combiner, mais peu importe après tout, The Muder Capital nous ont prouvé qu'ils étaient capables de faire un album uni, monolithe et cohérent avec des titres de prime abord très différents dans les intentions.
C'est pourtant là que les choses ne se passent pas réellement comme prévu, car Blindness ne bénéficie pas de la densité unitaire qui caractérise When I Have Fears et Gigi's Recovery. À cet égard, l'entrée en matière très physique de Moonshot en déconcertera plus d'un. Le groupe semble ici vouloir passer en force. Voilà une idée qui se respecte, mais lorsque cela se fait au détriment de la subtilité, et de la force créatrice qui fait que Damien Tuit est capable de vous emporter dans un autre monde en quelques accords, le doute s'installe.
Au final, Moonshot n'est qu'un trompe l'œil, une mauvaise farce destinée à vous faire croire que le groupe a changé de paradigme. Il n'en est rien cependant, The Murder Capital nous ont tellement habitué a l'exigence que le moindre relâchement vous saute aux yeux et aux oreilles. À ce titre, A Distant Life ne laissera pas une empreinte indélébile dans la discographie du groupe. Sur Love Of A Country, la patte du groupe ne se dément pas, et tout se déroule comme on l'attendrait. Pourtant, quelque chose ne tourne pas rond, comme si quelque chose manquait, comme si choix avait été fait de nous livrer la démo du morceau plutôt que sa version finalisée. Remarque similaire sur Trailing A Wing, qui clôt l'album tout en douceur.
Cette impression n'est pas prégnante tout du long, pourtant, difficile de ne pas faire un comparatif avec Gigi's Recovery, et à ce petit jeu, Blindness peine à tenir la distance. Moins dense, moins bouillonnant, le sentiment d'avoir devant nous une série de morceaux sans réels liens les uns avec les autres revient trop souvent. Voilà qui pourrait être sacrément préjudiciable pour un groupe qui n'aurait pas le talent de composition de ces cinq là, mais The Murder Capital parviennent néanmoins à conquérir leur petit monde avec des morceaux puissants comme Born Into The Fight, ou sur le renversant Death Of A Giant. Ici, le groupe est à son meilleur niveau et ce titre nerveux et terriblement bien senti prouve que le talent d'écriture et le feeling des garçons est toujours présent. Brillant.
Puis, comme pour faire taire toutes vos critiques, viendra le temps de découvrir l'incroyable morceau qu'est Swallow. De quoi trouver ici ce qui fait l'essence même de ce groupe talentueux, intelligent dans ses compositions et dans sa façon d'aborder, construire et développer une chanson. Il y a dans Swallow tout le clair-obscur qui fait de ce groupe une merveille. The Murder Capital est un groupe pluvieux avec un mince filet de soleil qui se devine à l'horizon. Swallow illustre cette image à merveille, et est à ce jour une des plus belles choses que le groupe ait pu écrire.
Décidément, avec Blindness, The Murder Capital nous font emprunter un ascenseur émotionnel assez curieux. L'écoute de ce nouvel album est un plaisir, mais il est probable que le temps confirme que l'ensemble est un ton en dessous de ce que le groupe nous a présenté jusqu'ici. Alternant entre moments nerveux et instants d'accalmie, Blindness semble s'éparpiller dans diverses directions, s'aventurer dans des chemins, quitte à parfois légèrement perdre l'auditeur par facilité, ou manque d'audace.
Pourtant, il se passe quand même quelque chose qui vous donnera envie d'y revenir, et certaines pièces sont définitivement destinées à devenir majeures. Au final impossible de bouder son bonheur, Blindess a peut-être juste besoin de plus de temps pour s'arrimer à nos âmes.