Rien de mieux que le retour des petits génies de Squid pour entamer février, mois dépourvu d'intérêt sauf à y avoir son anniversaire, un peu à l'image de son copain novembre. Nous nous lançons donc de nouveau à la découverte de ce que l'imaginaire si fertile des cinq jeunes anglais de Squid a nouvellement créé, ces derniers ayant bouleversé nos petits univers de fans d'indie rock avec deux excellents albums, Bright Green Field en 2021 et O'Monolith en 2023. Bien que le dernier ait rencontré un peu moins d'engouement chez les fans, il n'en a pas moins diminué la qualité des travaux de Squid, toujours au carrefour de l'inattendu, se remettant systématiquement en question afin de ne pas tomber dans la redite, solution attirante lorsque que le debut album a connu un gros succès.
Avec leur troisième album studio Cowards, que nous réservent donc Squid ? Un disque qui continuera sans aucun doute à nous interroger, nous faire cogiter, nous surprendre et surtout ici, nous convaincre que Louis Borlase, Ollie Judge, Arthur Leadbetter, Laurie Nankivell et Anton Pearson semblent avoir abordé la phase de la certitude, de la maîtrise de leur style et un côté encore plus profond dans l'approche des thèmes, à la façon dont ils captent l'état de notre monde actuel.
Rencontrés lors de la promotion du disque, Ollie et Louis nous révélèrent ainsi que cet album, bien que plus grave dans ses propos, a été celui qu'il leur a été le plus facile à mettre en boîte, l'entente ayant été parfaite dans le groupe pour sa réalisation. Il en ressort un disque beaucoup plus homogène dans son ensemble, et son déroulé beaucoup moins disparate que celui des deux opus précédents. De Crispy Skin à Well Met (Fingers Through The Fence), hormis la longueur des titres dont seulement deux dépassent les cinq minutes là où le groupe nous avait enchanté avec de nombreux mini marathons musicaux, la première impression est une réelle cohérence dans le tracklisting.
Squid demeurant d'excellents multi-instrumentistes, on retrouve leur qualité première, soit une musicalité incroyablement riche et complexe, et même si l'on perd une bonne partie des intonations jazz expérimentales qui ont fait leur particularité, on s'immerge en contrepartie dans un océan dominé par des vagues electro psychédéliques, aux multiples échos, avec selon les titres une mise en exergue des violons «(Fieldworks II), des guitares (Building 650), des percussions toutes en apesanteur (Fieldworks I) et de la trompette de Laurie, certes plus discrète qu'à l'accoutumée (Cowards). Ces éléments d'analyse ne pouvant être exhaustifs pour chacun des morceaux, Squid aimant à compiler les couches d'instruments pour créer une ambiance atypique et unique, il ressort cependant de l'écoute l'impression d'un environnement carré, peut-être même mieux maîtrisé. Il n'y a pas de réelles dispersions sur ce Cowards, comme si l'expression des humeurs et sentiments des musiciens eux-mêmes nous avait été délivrée de façon plus ordonnée. Nous ne retrouvons plus l'effet décousu des deux premiers disques, et cela pourra en décevoir comme, au contraire, en convaincre plus d'un.
Avec des thèmes sérieux, de société comme dans Blood On The BouldersBuilding 650 ou bien inspirés d'ouvrage comme dans Crispy Skin, imaginé après la lecture de Tender Is The Flesh d'Agustina Bazterrica à propos d'une société fondée sur le cannibalisme produisant les humains comme nous produisons aujourd'hui les pizzas surgelées, on retrouve la plume sévère mais juste des anglais, marqués par les dérives politico-fascistes modernes, celles-ci banalisées par les outils de communications eux-mêmes dirigés par ses mêmes personnes. Un portrait peu flatteur mais juste, mis en musique à l'aide de sonorités aussi dystopiques que leurs thèmes. Une des armes de Squid est cette façon de rendre l'étrange et l'expérimental beaux et séduisants, leurs morceaux connaissant comme une deuxième naissance en live, l'univers des disques étant difficile à retranscrire sur scène.
Ce qui ne manque pas ici, c'est le chant tellement singulier d'Ollie, les traditionnels duos féminin / masculin avec sur ce troisième disque la présence de Clarissa Connolly, le foisonnement de sonorités et l'exceptionnelle inventivité dont fait preuve Squid. Composé de neuf petits ovnis, certes plus posés que leurs prédécesseurs mais toujours aussi captivants, Cowards ne semble peut-être pas encore être l'album de la maturité mais définitivement celui de la confirmation de leur non-conformisme et de leur volonté de toujours innover, à leur façon si unique.