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Richard Dawson

End Of The Middle

Richard Dawson - End Of The Middle
Chronique Album
Date de sortie : 14.02.2025
Label : Weird World
4
Rédigé par Franck Narquin, le 12 février 2025
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Que reste-t-il quand on enlève tout superflu pour ne garder que l'essentiel ? La fin ou le milieu ? C'est sur cette question à double tranchant que s'ouvre le huitième album de Richard Dawson, trouvant dans cet interstice un espace où le folk peut encore avoir un sens, une urgence, une nécessité. On aurait pu s'attendre à un retour aux excentricités médiévalo-progressives de Peasant (2017) ou aux observations sociales caustiques de 2020 (2019). Mais ici, Richard Dawson joue en contrepoint. End Of The Middle est un album minimaliste et pourtant foisonnant, ancré dans un territoire à la croisée de Newcastle, de Tokyo et d'un Kentucky fantasmé. S'inspirant du réalisateur Yasujiro Ozu, maître du less-is-more et grand observateur de la cellule familiale, Richard Dawson épluche les strates générationnelles d'un foyer anglais moyen. Il ne chronique pas, il dissèque, révélant les tensions enfouies et les tendresses résignées, ce qui lie et ce qui oppresse.

Là où tant d'artistes déguisent leur folk sous des arrangements baroques ou des poses éthérées, Dawson coupe dans le gras. On pense à Will Oldham dans ses heures les plus solennelles, à Bill Callahan sans l'assurance ironique, à un Matt Elliott qui aurait troqué le désespoir européen pour une mélancolie plus domestique. Il y a aussi du PREGOBLIN dans cette manière de désacraliser son propre genre, et du Black Country, New Road dans ce refus du format prévisible. Mais Richard Dawson n'appartient à personne. Il est un folk-singer en négatif, déconstruisant la tradition pour mieux en dégager l'essence.

L'album s'ouvre sur Bolt, une folk poisseuse, traînante, où l'on croit sentir la poussière d'un vieux Palace Music mais où Dawson, fidèle à lui-même, finit par dévier dans des envolées vocales en voix de tête, entre euphorie sous cloche et dissonance contrôlée. On est déjà ailleurs. Puis vient Gondola, le minimalisme à l'état brut. Guitare-voix. Silence. Espace. Chaque mot claque. Une ligne claire, mais chancelante, oscillant entre pudeur et confession à vif. Si certains auraient empilé les reverb' pour masquer le vide, Richard Dawson affronte la matière brute, et c'est sublime. Sur Bullies, il joue les contrastes : couplet rugueux, refrain fragile en voix de tête, explosion de trompette rêche en guise de coda. Tout cela pourrait être bancal, mais tout s'imbrique avec une évidence désarmante.

Puis arrive The Question, huit minutes de détours et de feintes, un blues lent qui muterait en pop déglinguée, une chanson à tiroirs qui ne cherche ni à suivre les tendances londoniennes ni à s'ancrer dans une tradition figée. Un folk qui prend racine dans l'authenticité rugueuse du Nord de l'Angleterre, loin des effets de manche et des poses arty. Et alors que l'on croit avoir saisi la direction de l'album, Dawson s'amuse à saborder ses propres fondations. Boxing Day Sales est une pop song parfaite, à ceci près qu'une trompette free-jazz la traverse avec la délicatesse d'un accident de voiture. Knot déroule un folk élégant, presque classique, jusqu'à ce qu'il explose dans une frénésie saturée, où tout ce qui était contenu se libère d'un coup.

Mais l'anglais ne fait jamais dans la destruction gratuite. Il sait aussi ménager l'espace et le temps, comme sur Removals Van et ses sept minutes tendues, ou Polytunnel, plus insaisissable, où la voix et les guitares semblent en apesanteur. Vient alors le dernier acte avec More Than Real. Huit minutes, une voix féminine, des nappes de synthés chatoyantes. Un contrepied total. Comme si, après avoir tout mis à nu, Richard Dawson décidait de s'envoler dans une abstraction lumineuse. Ce n'est plus du folk, plus du jazz, plus du Richard Dawson. C'est juste beau.

Il serait tentant de réduire End Of The Middle à une suite de morceaux brillamment agencés. Mais Richard Dawson voit plus loin. Il ne raconte pas seulement des scènes de la vie domestique, il explore ce que signifie appartenir à une lignée, hériter d'un monde qu'on n'a pas choisi, tenter d'y échapper sans jamais vraiment y parvenir. L'album n'offre pas de réponse. Juste des pistes, des failles, des respirations.

Au final, que reste-t-il quand on enlève tout superflu ? Richard Dawson. Sa voix. Sa guitare. Son instinct. Et, plus que jamais, cela suffit.
tracklisting
    01. Bolt
  • 02. Gondola
  • 03. Bullies
  • 04. The question
  • 05. Boxing Day sales
  • 06. Knot
  • 07. Polytunnel
  • 08. Removals van
  • 09. More than real
titres conseillés
    Bullies - Boxing Day Sales - More Than Real
notes des lecteurs