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Divorce

Drive To Goldenhammer

Divorce - Drive To Goldenhammer
Chronique Album
Date de sortie : 07.03.2025
Label : Gravity Records/Capitol Records
4
Rédigé par Adonis Didier, le 5 mars 2025
Je roule. Depuis des heures, des jours, peut-être même des années, je roule sur une route qui ne mène nulle part. Une route qui ne forme qu'une seule et même ligne droite, sans virages, sans cédez le passage, sans déviation ni bifurcation. Une route perdue dans la nuit et le brouillard qui ne s'égaye que de la ronde des compact-discs dans l'autoradio, et alors que j'ouvre la boîte à gants sans fond de ma vieille 207 rouge dans l'espoir fou d'y trouver un album dont la cent-douzième écoute me procurerait encore du plaisir, surgit de la poche intérieure du grand manteau de cuir de l'obscurité un panneau. Sur des milliers de kilomètres de goudron, un panneau, et écrit dessus en des lettres qui brillent comme si elles étaient tissées d'or : Goldenhammer.

Nulle part le panneau n'indique une direction, mais comme la route jamais ne tourne ni ne bifurque, personne ne s'en est jamais inquiété. Comme si la direction dans laquelle pointait les phares ne changeait rien à la destination. Comme si même la route dont on avalait les bornes n'importait pas non plus. Et comme la pancarte métallique contourne la voiture jusqu'à retourner derrière elle dans le néant de brume et d'antimatière dont elle venait de sortir, ma main toujours dans la boîte à gants se heurte à quelque chose, quelque chose de la forme d'un boitier CD. Sur la pochette, quatre pantins retenus par leurs fils encerclent un marteau fait d'or pur, et alors qu'eux tournent en rond et que je roule sans jamais m'arrêter sur cette ligne droite qui n'en finit pas, une seule et unique intention nous relie et nous pousse à toujours poursuivre : Drive To Goldenhammer.

Le signal de la ruée vers l'or, et pour Divorce un premier album menant à la fois partout et nulle part, vers tous ces lieux mythiques et fabuleux de l'histoire du rock n'roll, qu'ils aient un jour existé pour de vrai ou non, passant d'une nuit à l'opéra du Yankee Hotel à un jour aux courses sur Mermaid Avenue, et d'un détour manqué sur la route 61 revisitée, le goudron se fait glace et la voiture dérape jusqu'à la blancheur sans fin de l'Antarctica. Une batterie synthétique, une guitare folk country-americana, et le talent sans commune mesure pour entrelacer leurs voix de Tiger Cohen-Towell et Felix McKenzie-Barrow. Quelle plus belle manière de démarrer un si long voyage que de recouvrir Wilco d'un peu de Belle and Sebastian ? Sans doute aucune, et déjà la route défile et il n'y a rien d'autre à faire que penser à l'Antarctique, à sa chérie, et au seigneur bien sûr. Lord mélange americana et envolées lyriques pop jusqu'à toucher du doigt le vieux barbu, et prouve que l'auto-description voulant que Divorce égal « Wilco rencontre ABBA » n'était pas usurpée.

Tiger pour les voix blondes et perchées, Felix pour la voix de redneck, et pourtant tous viennent de ces Midlands qui traînent entre Derby et Nottingham, si l'on rajoute dans le quatuor la guitare d'Adam Peter Smith et la batterie de Kasper Sandstrom, accessoirement guitariste chez Do Nothing. Et pour en remettre dans le méli-mélo général, Fever Pitch croise la mignonnerie pop de Vona Vella à des refrains Queen-esques, avant de changer de braquet et que ne s'insinue dans la bande FM la dépressive Karen, une double-chanson voyant sa première partie apathique de maman Facebook de banlieue exploser en une rage grunge et désespérée, fracassant la céramique contre le mobilier IKEA, maudissant une vie abandonnée à la facilité, toutes ces belles années échappées comme un verre éclatant dans un évier sale. Une amertume aussi râpeuse que les guitares de Jet Show, une merveille de croisement entre les univers de Wilco et de PJ Harvey, ça grince, ça couine, et au milieu des ronces un diamant. Un diamant d'innocence, transition approximative mais nécessaire vers la composante coldplay-esque de l'album : Parachuter.

Six chansons, déjà douze ou quelques groupes cités, et vient alors All My Freaks qui sort les synthés en cristal pour s'incruster à la fête de l'année avant de reprendre la route en vagabond, Hangman traîne sa guitare et sa pop sur le bord de la départementale jusqu'à l'un des points centraux de l'album, la triple-chanson Pill. Une atmosphère de fête pleine de violons, une petite ballade au piano, et pour finir les mouettes qui s'ébattent sur la route de la plage, un concentré en cinq minutes de ce Drive To Goldenhammer que l'on adore sans réellement savoir pourquoi ni où il va, sur cette route qui mène à la fois partout et nulle part, vers la belle et sombre Old Broken String, la grippée et grungy Where Do You Go?, ou encore le somptueux final americana Mercy, parfaite dernière planche de l'histoire, l'histoire de ce cowboy qui chevauche chaque soir vers le soleil couchant, et chaque matin dans l'autre sens.

Drive To Goldenhammer, une chevauchée fantastique sur une route qui n'a pas d'importance, vers une destination qui n'existe que dans le cœur de ceux qui y croient, et un premier album presque parfait sorti en ce mois par Divorce. Un premier album de la jeunesse qui sans savoir vraiment où il va y va de toute son âme, et qui emportera dans son sillage tous ceux qui souhaiteront l'écouter avec l'esprit ouvert, l'esprit de l'aventure, l'esprit des grands espaces et des routes qui s'étalent sur des kilomètres, et des kilomètres, et des kilomètres de ligne droite. Car la vie ce n'est pas d'aller quelque part. La vie ce n'est même pas de choisir la bonne route pour ne pas aller quelque part. La vie c'est seulement de profiter de la route sur laquelle on est sans chercher à savoir où elle va, et quitte à ne pas savoir où on va, autant écouter Divorce en même temps.
tracklisting
    01. Antarctica
  • 02. Lord
  • 03. Fever Pitch
  • 04. Karen
  • 05. Jet Show
  • 06. Parachuter
  • 07. All My Freaks
  • 08. Hangman
  • 09. Pill
  • 10. Old Broken String
  • 11. Where Do You Go
  • 12. Mercy
titres conseillés
    Antarctica, Jet Show, All My Freaks
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