Fidèles lecteurs, le voyage que va vous proposer votre média rock préféré nécessite que vous enfiliez votre plus beau scaphandre (on en a tous un qui traine dans l'armoire avec la paire de Moon Boots et le manteau emprunté que l'on n'a jamais rendu car tâché). Une fois fait, c'est à bord d'une fusée que vous vous rendrez au-dessus de notre belle planète pour y expérimenter l'effet « vue d'ensemble » ou en bon anglais, « the overview ». Ce phénomène de contemplation de la Terre vue de l'espace a été souvent décrit par les astronautes comme un choc, éblouis par le spectacle et déclenchant ainsi deux types de réactions : ceux qui en sont sortis enchantés et ceux qui en ont conclu que l'être humain est son pire ennemi, avec sa manie de détruire ce qui est beau et précieux.
Les contraintes budgétaires nous empêchant de planifier les transports, c'est avec l'écoute de The Overview, dernier album de Steven Wilson, que nous vous invitons à vous plonger dans cette aventure, mise en musique par le leader de Porcupine Tree de façon rocambolesque. Pour preuve : l'album se compose de deux titres, Objects Outlive Us et The Overview, respectivement d'une longueur de vingt-trois minutes et dix-neuf secondes, et dix-huit minutes et vingt-et-une secondes. Un format atypique, disparu de la surface de la Terre comme le dodo en son temps, mais qui grâce à des musiciens chevronnés et talentueux comme Steven Wilson, est remis au goût du jour dans un objectif bien précis, celui de mettre les choses en perspectives.
L'anglais nous a livré il y a deux ans The Harmony Codex, un album « presque pop » selon ses dires, car inspiré d'énormément de genres passant de la pop au prog rock, du jazz à la musique électronique, et se laissant toutes libertés quant à ses inspirations du moment. Ce dernier suivait alors The Future Bites, album construit autour d'un scénario dystopique où l'homme est devenu une machine à consommer sans foi ni loi. Quelle était donc l'étape suivante ? Façonné en seulement dix-huit mois, The Overview est né de l'idée de Steven Wilson d'évoquer notre vision de la Terre vue d'en haut, et d'y confronter toutes les horreurs qui s'y déroulent en son sein, vu d'en bas. Nourri des travaux de nombreux scientifiques, c'est bien un concept album que nous offre Steven Wilson, à l'image des plus grands travaux des maîtres en la matière comme Pink Floyd, une des plus grandes références de l'anglais.
Ce disque permet aussi à Steven Wilson de renouer avec le style qui l'a, dès ses débuts, défini : le rock progressif. Après onze albums studio avec sa formation d'origine, tous fortement ancrés dans ce style plutôt réservé à une communauté de connaisseurs, la plongée pour ce nouvel album solo dans ses racines musicales est fortement appréciée des fans, eux-mêmes parfois déroutés par le large panel d'influences auxquelles se raccroche le musicien. Le disque se présente comme un roman, chacune des pistes détaillées en plusieurs « sous-chapitres » et pourtant d'un seul tenant. Durant celles-ci nous voyageons au gré des guitares folk ou électriques, synthétiseurs, mélotrons, pianos, et solos de batterie à la cadence miliaire, entrecoupés de très longues échappées tout en écho et reverbs, toujours étirées au maximum, donnant au tout des allures d'odyssée, évidement dans l'espace.
Cet enchevêtrent d'instruments réussit à ne jamais créer de chaos sonique, et c'est là tout le talent de compositeur et d'arrangeur de Steven Wilson. Les deux plages passent de phases douces à mouvementées, le piano dominant par-ci ou les gros riffs bien gras de guitares par-là. On retrouve évidement ces superbes solos de guitares, où les reverbs sont reines, pieds au plancher sur les pédales, comme nos aïeux l'ont découvert dans les années 70. Et pour autant, sans transition, se calent des interludes lunaires, sur fond de mélodies au synthé lumineuses. Avec tout cela, le chant de Steve Wilson, d'une grande finesse mais jamais dénué de puissance, toujours crescendo comme pour faire monter la tension.
On passe donc de séquences instrumentales à chantées, et c'est ici que notre imaginaire se permet toutes les folies. Les paroles sont dures mais justes. Elles se présentent comme un constat plutôt qu'une accusation, l'objectif étant de mettre en perspective toutes ces informations. « Knowing always there would should be an end, Knowing it was just a question of when / Each of these souls just one in a billion / Each of these stars just one in a trillion / We move on through so dead so black the void / And still back there in dust the earth destroyed » : des paroles qui veulent nous faire réfléchir, durant deux fois vingt minutes. La densité musicale a également pour but de nous maintenir focalisés sur ce voyage, pénétrer dans cet univers presque cloisonné sans laisser filer son mental est un challenge que Steven Wilson nous met au défi de relever.
C'est aussi un sentiment de montagne russes que l'on ressent à l'écoute du disque, l'alternance de douceur et de violence provoquant une dualité d'émotions. Le retour à une musicalité à dominante prog rock ne pouvait mieux coller à ce format, en parfaite adéquation avec ce style que maîtrise parfaitement le musicien. Une collaboration inattendue est faite avec Andy Partridge de XTC, qui a composé les paroles de la séquences intitulée Objects: Meanwhile*. Nous découvrons aussi l'épouse de Steven Wilson qui nous énumère en guise d'introduction de la seconde plage The Overview toute une série de données scientifiques, justement nommée Perspective, pour nous faire comprendre la taille ridiculement petite de notre Terre au sein de cet univers sans fin, nous renvoyant face à nous-même et notre égo. The Overview est accompagné d'un film, mis en image par Miles Skarin, qui a déjà collaboré avec le musicien pour ses vidéos. Celui-ci, projeté en avant premières lors de séances questions-réponses avec des fans, mélange de film d'animation et d'images réelles, accompagne parfaitement cette bande sonore, nous immergeant dans l'espace de façon surréaliste où l'on y croise au détour un Steven Wilson engoncé dans sa combinaison spatiale, à la dérive autour de notre planète qu'il observe placidement.
Avec une tournée qui va le mener aux quatre coins du monde, en passant en France par Paris, Lyon et Marseille, Steven Wilson confirme son statut de « musicien culte », titre qu'il revendique avec humour lors de notre récente interview et qui malicieusement nous avait confié il y a trois ans déjà que s'il questionnait cent personnes au hasard, deux seulement le reconnaîtraient. The Overview est une œuvre sans équivalent, une odyssée musicale d'une très grande sophistication, belle et émouvante, qui ne peut laisser indiffèrent. Qu'on adhère à ce format atypique ou qu'on s'y sente allergique, le but de Steven Wilson de marquer les esprits avec cet étrange voyage est atteint.