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Black Country, New Road

Forever Howlong

Black Country, New Road - Forever Howlong
Chronique Album
Date de sortie : 04.04.2025
Label : Ninja Tune
45
Rédigé par Franck Narquin, le 31 mars 2025
Il y a deux façons de traverser une tempête. Soit on s'agrippe au mât en hurlant contre les éléments, soit on attend l'accalmie, on redresse la tête et on regarde l'horizon. Black Country, New Road ont choisi la deuxième option. Après deux albums qui avaient fait d'eux le groupe le plus passionnant et incontrôlable de la scène post-Windmill, la déflagration semblait inévitable. Isaac Wood parti, la troupe aurait pu se perdre dans le déni ou la fuite en avant, se caricaturer en machine à expérimentations forcées, s'épuiser dans une musique qui ne sait plus où elle va mais qui refuse de s'arrêter. Au lieu de quoi, Forever Howlong est une victoire. Une métamorphose. Une déclaration de grandeur. Un album qui choisit la ligne claire plutôt que l'abstraction, la mélodie plutôt que la distorsion, la plénitude plutôt que la lutte. Et, paradoxe sublime, c'est précisément ce recentrage qui fait de Forever Howlong leur album le plus audacieux. Black Country, New Road ne jouent plus pour impressionner, ils jouent pour exister.

Le nom qui change tout ici, c'est James Ford. Artisan discret mais faiseur de miracles, Ford est le spécialiste des mues réussies. Il a transformé les Arctic Monkeys en crooners décadents sur Tranquility Base Hotel & Casino, il a rendu Depeche Mode grandioses après la cinquantaine, il a sculpté Romance de Fontaines D.C. en un écrin parfait pour leur mutation vers quelque chose de plus atmosphérique, plus vaste. Sa force ? Ne jamais tordre un groupe pour le rendre plus accessible, mais le recentrer sur son essence.
Avec Black Country, New Road, le défi était immense : comment sublimer un chaos structuré sans lui retirer son âme ? Comment remplacer l'intensité fiévreuse de Isaac Wood sans sombrer dans la fadeur ? La réponse est un son à la fois épuré et luxuriant, où chaque instrument trouve sa place, où l'ampleur ne vire jamais à la grandiloquence, où l'énergie est canalisée sans être domestiquée. Forever Howlong est une démonstration de ce savoir-faire. Là où les précédents albums ressemblaient à des joutes orchestrales où chaque élément cherchait à surpasser l'autre, ici tout respire. James Ford a compris que la force des anglais ne résidait pas dans l'accumulation, mais dans la précision. Plus besoin d'empiler, d'étirer, de surjouer. La grâce suffit.

L'album s'ouvre sur Besties, et tout est déjà dit. Clavecin baroque, guitare sèche, percussion qui s'élève lentement, voix limpide de Georgia Ellery. Tout est là, mais tout est différent. Là où un autre groupe aurait cherché à compenser l'absence de Wood en multipliant les effets, Black Country, New Road choisissent la retenue et la clarté. La mélodie prime sur la tension, la progression naturelle remplace l'explosion. The Big Spin joue la carte de la comédie musicale hallucinée, un croisement entre West Side Story et Hunky Dory. Ça virevolte, ça surprend, ça assume pleinement une théâtralité autrefois plus souterraine. On retrouve cette ambition baroque sur Socks, où la douceur initiale se transforme en cavalcade orchestrale, batterie galopante et cuivres triomphants en tête.
Mais c'est Salem Sisters qui cristallise le mieux la mutation en gommant toute rage ou dissonance. Ici tout n'est que joie, luxe et volupté dans la droite lignée des plus belles réussites de The Divine Comedy. Et puis, il y a les grandes fresques, For The Cold Country, Nancy Tries To Take The Night ou le sublime Two Horses, avec sa longue montée en apesanteur qui semble vouloir réconcilier Laughing Stock et Pet Sounds. Fini le fracas des crescendos bruitistes, place à une écriture qui touche juste sans jamais trop en faire. La vraie puissance est là, dans cette capacité à contenir l'émotion sans la figer.

Si cet album fonctionne aussi bien, c'est en grande partie grâce aux voix, désormais exclusivement féminines, de May Kershaw, Tyler Hyde et surtout Georgia Ellery. Déjà magnétique sur les précédents albums du groupe, elle trouve ici une place centrale et s'impose comme une interprète exceptionnelle. Sa voix n'a pas la gravité anxieuse de Isaac Wood, mais elle a autre chose : une légèreté qui porte l'ensemble, une souplesse qui permet d'embrasser tous les registres. Pour qui a suivi Jockstrap, le projet parallèle qu'elle mène avec Taylor Skye, cette montée en puissance n'a rien d'étonnant. Depuis I Love You Jennifer B, Georgia a prouvé qu'elle était capable de tout : de la déconstruction la plus radicale à la pop la plus lumineuse. Sur Forever Howlong elle canalise cette versatilité dans un chant d'une pureté sidérante. Son duo avec Tyler Hyde sur Mary est un modèle du genre. Harmonies vocales suspendues, arrangement subtil, émotion à fleur de peau : un morceau qui aurait pu être mièvre entre d'autres mains, mais qui touche ici à la grâce.

Forever Howlong n'est pas un disque qui cherche à séduire par la force. Il ne hurle pas, il ne gesticule pas. Il s'impose par sa cohérence, sa délicatesse, son audace tranquille. Dans un monde où l'on confond souvent expérimentation et accumulation, Black Country, New Road osent l'inverse : épurer, canaliser et aller à l'essentiel. Certains regretteront peut-être la sauvagerie des débuts, cette impression d'un groupe prêt à imploser à chaque instant. Mais cette époque est révolue. Le groupe Black Country, New Road a survécu à lui-même, et il en sort grandi. Dans Pierrot le Fou, Belmondo balance à Anna Karina : « Pourquoi tu m'appelles Ferdinand ? Je ne m'appelle pas Ferdinand ! ». Ce à quoi elle répond : « Si, tu es Ferdinand ! ». Black Country, New Road pourraient dire la même chose : ils ne sont plus les mêmes, mais ils sont toujours eux. Et c'est précisément ce qui fait de Forever Howlong un grand disque.
tracklisting
    01. Besties
  • 02. The Big Spin
  • 03. Socks
  • 04. Salem Sisters
  • 05. Two Horses
  • 06. Mary
  • 07. Happy Birthday
  • 08. For The Cold Country
  • 09. Nancy Tries To Take The Night
  • 10. Forever Howlong
  • 11. Goodbye (Don't Tell Me)
titres conseillés
    Besties - Salem Sisters - For The Cold Country
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