Heavy Lungs

Le débat reviendra certainement encore et encore, mais combien de fois vous êtes-vous retrouvés en face d'un interlocuteur qui vous explique la production de tel ou tel artiste est d'un intérêt limité sous prétexte d'avoir déjà été fait, d'avoir déjà été entendu, de ne rien apporter de neuf ?
Effectivement, il arrive de temps à autre qu'un groupe change les règles du jeu et parvienne à accoucher d'un album absolument singulier, prenant des chemins de traverses, des routes jusqu'ici inexplorées. Il n'est pas question d'un simple particularisme sonore, d'une façon de jouer qui change les codes, l'enjeu est aussi d'être au bon endroit, au bon moment. Voilà qui ne se décide pas, les choses sont ainsi, et s'imposent à vous. Sous ce prisme vous auriez bien vite pu conclure du peu d'intérêt de la musique de Heavy Lungs et de leur post-punk, aux relents surannés d'un punk très primaire dans son approche frontale.

Les morceaux balancés de Heavy Lungs sur Caviar, leur nouvel album, sont pourtant réellement rafraîchissants, à l'image du basique et furieux Get Out ou du brutal Yes Chef. On comprendra dès lors que peut-être encore plus que sur All Gas No Brakes, le groupe n'a pas vraiment envie de s'ennuyer avec du superflu, l'idée étant une de cogner fort et vite. À cet égard, le refrain de Caviar est un modèle du genre, et le frontman plus que chanteur Danny Nedelko s'en donne à cœur joie. Il y a pourtant quelque chose de jouissif dans ce côté primaire. Heavy Lungs convoquent vos instincts les plus bas, dans une espèce de critique de leur entourage un peu loufoque et à parfois même un tantinet grandiloquente et désuète, comme sur le rageux Call In It.

On avait pourtant compris que d'autres choses se cachaient là-dessous, et No Gas No Brakes savait sortir du schéma punk pur et dur pour partir sur des sonorités et des nuances bien plus modernes. Tout se répète sur une partition somme toute identique sur Caviar qui sait lui aussi présenter des morceaux bien plus fouillés que ce que l'album veut bien vous présenter. À ce petit jeu, une mention spéciale va clairement à Into The Fire. Il s'agit ici d'un titre bien plus sombre et torturé où Heavy Lungs savent faire monter une tension crescendo de façon remarquable. Mr. Famous joue lui sur un terrain plus drôle où les oripeaux punk sont mis de côté pour un habillage plus post-punk, plus en phase avec son époque. On savait déjà que ces gars-là pouvaient nous présenter autre chose, mais les dessous de ce titre qui évoqueront à certains d'entre vous les sonorités de The Fall en raviront plus d'un.

On passera donc sur l'impression d'un logiciel inchangé, au demeurant, voilà qui est préférable car rien ne laisse penser que Heavy Lungs a pour idée de sortir de cette façon d'aborder les choses. Bien sûr le talent d'écriture du groupe pourrait inciter à attendre quelque chose de plus moderne tout le long d'un album, et pas simplement sur deux ou trois morceaux. Ce n'est vraisemblablement pas le projet, Danny et ses gars veulent du physique et le reste attendra. Vous feriez mieux de faire avec, car ces gens se foutent très certainement de vos desiderata. C'est probablement mieux comme ça, car jusqu'ici, tout cela leur réussi fort bien. Alors laissez donc ces considérations à cet interlocuteur qui pensera que Heavy Lungs n'apportent rien de nouveau, le propos de cette personne n'apporte de toutes façons rien non plus.