Chronique Album
Date de sortie : 25.04.2025
Label : Transgressive Records
Rédigé par
Franck Narquin, le 22 avril 2025
Bienvenue dans la grande secte consanguine de Fat White Family, où les side-projects pullulent comme des MST dans un squat de Camden et où chaque groupe ressemble à une version alternative d'un autre groupe déjà foutrement alternatif. Ici, personne ne sait vraiment où commence la blague et où finit la réalité. Entre Warmduscher, qui donnent l'impression qu'un gang de camés a piqué la boîte à rythmes de The Fall pour faire du funk dégénéré, Insecure Men, qui tentent de camoufler des traumatismes sous des nappes lounge, et Decius, qui veut vous faire croire qu'on peut danser sur de la techno en étant en pleine crise de sevrage, on pensait avoir tout vu. Mais non. Parce qu'au fond de la fosse septique du rock anglais, il restait encore une bestiole gluante qui remuait.
The Moonlandingz, c'est l'ectoplasme mutant issu d'un rapport non protégé entre Fat White Family et Eccentronic Research Council, le duo britannique spécialisé dans les délires électroniques lo-fi. Né en 2015 comme une farce dadaïste – un groupe fictif censé illustrer un faux documentaire –, le projet a vite pris vie pour devenir un vrai groupe, prouvant qu'on peut faire une musique géniale tout en étant à moitié une arnaque. Leur premier album, Interplanetary Class Classics (2017), célébrait le chaos sous MDMA : un mélange de glam poisseux, de krautrock en sueur et de synth-pop bricolée dans un garage crasseux. Huit ans plus tard, contre toute logique biologique, The Moonlandingz sont de retour avec un nouvel album. Parce que la musique britannique n'avait pas encore assez sombré dans la folie.
No Rocket Required, c'est son petit nom, a été enregistré entre Sheffield et Londres, probablement entre deux overdoses et quelques séjours en hôpital psychiatrique. Mais cette fois, la famille s'est agrandie, et pas avec n'importe qui. Iggy Pop, le vieux cinglé increvable, vient gronder sa sagesse de momie punk. Nadine Shah, toujours à mi-chemin entre le post-punk hanté et la menace sourde, injecte une dose de tension magnétique. Jessica Winter (ex-PREGOBLIN), prête sa voix de tragédienne sous amphétamines. Et pour couronner le tout, Ewen Bremner, alias Spud dans Trainspotting, est venu poser un spoken word hallucinatoire, probablement enregistré entre deux rails de coke. Pendant ce temps, dans l'ombre, Sydney Minsky-Sargeant (Working Men's Club) et Sean Lennon ont glissé quelques idées, comme des complices qui aident à creuser un tunnel avant de disparaître dans la nuit. Et au centre de ce bordel, Lias Saoudi, sourire carnassier, mains couvertes d'encre... ou de sang – difficile à dire avec lui. C'est un peu l'esprit de la pochette : pas besoin d'un dessin pour comprendre que ce qu'il y a dans la boîte est probablement louche. Alors, prêts à embarquer pour un voyage cosmique sans retour ? Oubliez la ceinture de sécurité, ce vaisseau n'a jamais été aux normes.
No Rocket Required, enregistré entre Sheffield et Londres, ressemble à un festival de genres musicaux sous acide, un mash-up inspiré où chaque chanson explore un style différent, le retourne, le pervertit et le propulse vers l'inattendu. Ce disque n'est pas une blague parachutée, c'est un manifeste pour l'hybridation musicale, une explosion de références où la danse et la démence s'entrelacent jusqu'à la transe. Dès Some People's Music, le ton est donné. Mutant disco, krautrock sous stéroïdes, un Parklife pour freaks sous opiacés, et la voix rocailleuse d'Ewen Bremner en guise d'accueil. Le bal est ouvert, le bar aussi, et personne ne sait à quelle heure ils fermeront. Puis déboule The Sign Of A Man, un tube disco cheap 80s, avec synthés dégoulinants et paroles aussi salaces qu'efficaces. Maboule à facettes activée.
On continue avec Roustabout, où la reine Nadine Shah pose sa voix dramatique après une introduction lancinante et vénéneuse, quelque part entre un polar noir et un film érotique de deuxième partie de soirée sur M6. Un tango entre la beauté et la crasse. The Insects Have Been Shat On enchaîne en mode électro déstructurée où Lias, en crooner de l'apocalypse, nous fait un numéro à la Jarvis Cocker atteint de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. On en raffole. Puis vient le moment où le groupe décide qu'il est temps de remettre Iggy Pop au boulot. It's Where I'm From est une ritournelle bucolique et poisseuse que le parrain du punk s'approprie en un râle de vieux sage perverti. On imagine déjà des bébés mutants à trois bras et un œil unique naître sous l'effet de cette ballade décadente. All Out of Pop continue ce jeu d'illusions musicales en osant un trip-hop sauce Pet Shop Boys avec des chœurs Daft Punk. Le plus beau hold-up esthétique de l'album.
Et là, boum : Yama Yama. Techno froide aux parfums orientaux, un hommage à leurs potes d'Acid Arab, calibré pour faire danser les corps moites à quatre heures du matin dans un warehouse crasseux. Pas le temps de souffler, Give Me More s'enchaîne, un Prince 1989 sous speed, à la fois hommage et parodie, qui réussit l'exploit de se hisser au niveau du défunt parodié. On arrive au climax avec Stink Foot, où Jessica Winter transforme un improbable morceau issu du générique de Gym Tonic en bombe big-beat 90s déglinguée. On ne cherche plus à comprendre, on danse. Et puis, alors qu'on pensait que la fête était finie, Lias nous chope par l'épaule : « Where the fuck do you think you're going mate? » C'est parti pour The Krack Drought Suite Pts 1-3, une after en enfer qui mélange durant plus de neuf minutes techno-punk aride à la Atari Teenage Riot, post-punk acide façon PiL, gabber en sueur et auto-tune dégoulinant. Un délire de fin de soirée aussi éprouvant que génial, où Lias semble s'adresser directement aux jeunes fous furieux de Fat Dog, VLURE et consorts pour leur rappeler qui est le patron. C'est qui, hein, c'est qui ? C'est le Youki à son papi, à sa mamie !
Avec No Rocket Required, The Moonlandingz signent un retour fracassant, un album aussi intelligent que crétin, aussi bordélique que maîtrisé. Un manifeste pour l'idiotie éclairée, un pied de nez à tous ceux qui pensaient que Lias Saoudi et sa bande allaient rentrer dans le rang. Ce disque est un patchwork de musiques qui se dansent et qui se démembrent, une traversée hallucinée de l'histoire du son, où chaque style est démonté pour être mieux réinventé. Les gamins qui pensent pouvoir rendre le rock à nouveau dangereux feraient bien d'écouter ce disque et de prendre des notes. Parce que tant que Lias Saoudi écrira sur son torse avec son propre sang à quatre heures du matin, le trône du chaos ne sera pas vacant.