Chronique Album
Date de sortie : 25.04.2025
Label : 4AD
Rédigé par
Emmanuel Stranadica, le 24 avril 2025
On dit souvent qu'on attend un album de pied ferme. Mais certains se font désirer plus que d'autres. Le retour de Maria Somerville faisait clairement partie de ces rendez-vous rares et précieux. Depuis sa signature sur le mythique label 4AD, l'Irlandaise s'était faite discrète. Luster, son premier véritable album sous cette bannière, arrive enfin. Et l'attente en valait vraiment la peine.
La découverte, pour beaucoup, est survenue en 2021. À l'occasion du 40ème anniversaire de 4AD, Maria Somerville signait deux reprises pour la compilation Bills & Aches & Blues : un envoûtant Seabird d'Air Miami, suivi du Kinky Love des Pale Saints, publié en bonus sur l'édition japonaise et en digital. Une double claque vaporeuse qui donnait envie de creuser. Et là, surprise avec la découverte d'une cassette confidentielle sortie en 2018 (The Man Called Stone In My Shoe), puis d'un premier album autoproduit (All My People) paru en 2019 – récemment réédité avec un morceau live en bonus.
Autant dire que Luster était attendu au tournant. Six années plus tard, Maria livre un disque d'une rare délicatesse, à la fois brumeux et lumineux, où chaque détail semble pesé, presque sacré. Une œuvre qui s'impose d'emblée comme l'un des sommets de ce printemps 2025. L'album s'ouvre sur Réalt, délicat instrumental aux allures d'éveil matinal, où le chant des oiseaux s'élève sous une lumière naissante. L'atmosphère est immédiate : minimaliste, planante, hantée par des voix éthérées qui évoquent le shoegaze. On pense à Slowdive, à Lush, à Cocteau Twins bien sûr – références évidentes, mais assumées. Puis vient Garden, seul single à l'accroche évidente. Une dream pop mélancolique qui rappelle Daughter, sous l'influence discrète mais sensible de Robin Guthrie. Le morceau, comme l'ensemble de l'album, a été composé sur ses terres du Connemara. Il en porte les traces : les paysages brumeux, la solitude, la beauté sauvage.
Car Maris Somerville n'a rien d'une chanteuse frontale. Quand elle ne chante pas distinctement, ce sont des voix fantomatiques qui peuplent ses morceaux, à la manière d'une Julianna Barwick, mais en plus feutrée. Tout dans Luster reste ouaté, enveloppé, parfois insaisissable. À l'image de Halo ou Up, morceaux brumeux aux contours flous, baignés d'une mélancolie diffuse. Parmi les invités, on retrouve Ian Lynch (de Lankum). Une surprise ? Pas vraiment. Car si leurs univers musicaux diffèrent, Maria Somerville aime les ponts. Sur NTS Radio, où elle anime une émission, elle jongle déjà entre ambient, shoegaze et musiques traditionnelles irlandaises. Un éclectisme qu'on retrouve ici, subtilement distillé.
Le son, souvent lo-fi, semble fait de rêves et de brouillard. October Moon sublime la fin de l'album, tandis que d'autres titres, comme Corrib, laissent une légère frustration : trop courts, à peine effleurés. Une économie de moyens qui rappelle The xx, autres spécialistes des morceaux suspendus. Toutefois, la magie opère sur la plupart des plages, à l'image de Flutter, Violet ou de la magistrale Projections, portée par un beat hypnotique et une guitare rugueuse, sur laquelle la voix de Somerville se fond à merveille.
En douze titres et quarante minutes, Luster s'impose comme une odyssée musicale en clair-obscur. Un disque rare, atmosphérique, touché par la grâce. Oui, l'attente fut longue. Mais elle a accouché d'un petit bijou. Et on a désormais hâte de le voir prendre vie sur scène, notamment lors de la soirée You Can Never Hold Back Spring proposée par 4AD ce 26 avril au Point Éphémère à Paris.