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Kae Tempest

Self Titled

Kae Tempest - Self Titled
Chronique Album
Date de sortie : 04.07.2025
Label : Island Records
4
Rédigé par Franck Narquin, le 4 juillet 2025
Depuis plus de dix ans, Kae Tempest construit une discographie aussi dense qu'intense, où chaque album incarne une émotion brute, comme autant de chapitres dans une quête intérieure sans fin. Everybody Down (2014) était un cri de colère, une bombe à fragmentation où son flow frappait tel des uppercuts poétiques. Deux ans plus tard, Let Them Eat Chaos (2016) explosait en tempête de frustration, une nuit d'insomnie collective avec au menu une Europe en perdition et de la kétamine au petit déjeuner. Avec The Book Of Traps And Lessons (2019), Kae Tempest abandonnait la fureur pour explorer la mélancolie et l'introspection. Puis vient The Line Is A Curve (2022), un disque de résilience, de renouveau et une respiration profonde après l'apnée. Aujourd'hui, Self Titled marque l'acceptation et s'impose comme une réconciliation radicale avec lui-même. Ce cinquième album n'avait pas besoin de titre, il s'appelle simplement Kae Tempest et cela veut déjà tout dire.

Sur ses quatre premiers albums, Kae Tempest a eu la chance de s'entourer de deux producteurs à la symbolique aussi puissante que complémentaire. D'un côté, Dan Carey (Fontaines D.C, black midi, Squid), architecte du son britannique contemporain, sculptant un son brut, chaotique et viscéral et de l'autre, Rick Rubin, figure mystique des studios californiens, qui depuis plus de quarante ans pousse les plus grands à se confronter à leur essence pour extraire des albums hors du temps, de Slayer à Johnny Cash, des Beastie Boys à The Strokes. Ensemble, ces deux mentors ont permis à Kae Tempest de naviguer entre l'urgence du présent et l'intemporalité des grands classiques, de canaliser le chaos sans jamais étouffer l'émotion brute, créant un style immédiatement identifiable, quelle que soit la forme qu'il prenne. C'est dans ce contexte que Self Titled est né, alors que Kae pensait finaliser un autre album. Bloqué sur un morceau, il a contacté Fraser T Smith, producteur à l'oreille affutée, connu pour ses collaborations avec Stormzy, Dave et Adele. Leur rencontre a provoqué un véritable séisme créatif, une remise à zéro totale. Là où Dan Carey frappait à coups de marteau et Rick Rubin sculptait au ciseau, Fraser T Smith a préféré effacer la toile pour révéler un portrait plus direct, plus nu, sans filtre. Kae raconte que cet album est devenu une lettre d'amour à un moi plus jeune, un dialogue entre passé, présent et futur.

Avec ce cinquième disque, il revient à ses racines hip-hop tout en explorant des territoires plus accessibles, entre grime britannique et pop synthétique, sans perdre cette intensité viscérale qui fait sa force. L'album s'ouvre avec Stand On The Line, un titre cinématographique porté par une production ample, entre générique de John Barry et emphase digne de The Verve, où Kae retrace son parcours personnel, de l'angoisse des débuts à l'acceptation de sa vraie nature. Statue In The Square enfonce le clou avec son flow tranchant et ses sonorités plus sombres, un hommage à ceux qui laissent leur empreinte malgré les discriminations ("They never wanted people like me round here. But when I'm dead, they'll put my statue in the square"). Sur Know Yourself, il poursuit cette exploration introspective avec un flow électronique affuté, rappelant l'énergie brute de The Line Is A Curve. Puis vient Sunshine On Catford, où la voix douce et désabusée de Neil Tennant (Pet Shop Boys) se pose sur une mélodie pop lumineuse et offre un contraste saisissant avec les titres plus sombres de l'album.

L'album se nourrit d'autres collaborations marquantes, comme le sublime Bless The Bold Future, où les chœurs aériens de Tawiah rappellent la grâce altière de Grace Jones. Everything All Together revient à l'épure minimaliste de The Book Of Traps And Lessons, une respiration au milieu de l'album où chaque mot claque comme un coup de fouet. Prayers To Whisper adopte un beat boom-bap et des notes de piano qui évoquent l'univers de Loyle Carner, pour une lettre aux disparus et aux survivants, tandis que Diagnoses aborde la neurodiversité et la santé mentale sur une production grime addictive. Sur Hyperdistillation, Connie Constance apporte une touche soul suave, tandis que Breathe, co-produit avec Young Fathers, s'impose comme l'un des moments les plus intenses de l'album, un crescendo de six minutes où Kae Tempest explose littéralement, libérant des années de frustration et de doute en une tirade cathartique. L'album se clôt en douceur avec Til Morning une ballade jazzy d'une beauté à couper le souffle, un moment de grâce suspendu qui laisse entrevoir une lueur d'espoir au milieu du chaos.

Avec Self Titled, Kae Tempest ne signe pas seulement un disque de plus, il scelle un pacte avec lui-même, une déclaration de foi en sa propre existence. Après avoir exploré la colère, la frustration, la mélancolie et la résilience, il atteint enfin l'acceptation pour enfin cesser de se battre et commencer à vivre pleinement. C'est un disque brut et direct mais paradoxalement plus universel et touchant que jamais. Qu'on se le dise, le temps est venu pour Kae Tempest d'avoir sa statue dans le square.
tracklisting
    01. Stand On The Line
  • 02. Statue In The Square
  • 03. Know Yourself
  • 04. Sunshine On Catford (feat. Neil Tennant)
  • 05. Bless The Bold Future
  • 06. Everything All Together
  • 07. Prayers To Whisper
  • 08. Diagnoses
  • 09. Hyperdistillation (feat. Connie Constance)
  • 10. Forever
  • 11. Breathe
  • 12. Til Morning
titres conseillés
    Statue In The Square - Know Yourself - Breathe
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