Miles Kane

Miles Kane reste l'un des noms les plus excitants du rock anglais, mais le temps a transformé le jeune prodige en un artiste aguerri, avec (déjà) près de vingt ans de carrière derrière lui. Si le grand public l'a découvert avec le premier album de The Last Shadow Puppets (The Age Of The Understatement, 2008) aux côtés d'Alex Turner, ou via son premier album solo Colour Of The Trap en 2011, le natif de Liverpool avait déjà fait ses armes en groupe avec The Little Flames, puis The Rascals - classés espoir 2008 par le NME. Depuis, Miles Kane a su imposer sa signature en solo, enchaînant les albums solides, entre mélodies accrocheuses et incursions sonores audacieuses. Sans jamais franchir le fameux plafond de verre qui lui aurait permis de devenir une figure majeure du rock anglais, il conserve une attention constante de la critique, des concerts régulièrement complets et un capital sympathie solide. La question reste donc entière : son nouvel album Sunlight In The Shadows pourrait-il changer la donne et faire basculer son statut ?

Après One Man Band, enregistré avec son cousin James Skelly (The Coral) et marqué par un retour à ses racines dépouillées, l'anglais semblait s'apprêter à répéter la même formule. Mais sa rencontre avec Dan Auerbach, leader des Black Keys, a bouleversé ses plans. Signé sur le label Easy Eye Sound de ce dernier, Miles Kane coécrit cette fois ses morceaux avec lui. Il s'est également entouré de collaborateurs prestigieux issus de Cage The Elephant, Little Barrie, et The Blacks Keys via Dan Auerbach, mais aussi l'autre membre du duo, le batteur Paul Carney.

Quand des musiciens taillés pour la scène s'unissent, difficile d'imaginer autre chose qu'une alchimie brute. L'album, enregistré presque entièrement en prises live, en porte la trace : un son bluesy, instinctif, qui respire et réagit. Ça joue ensemble, ça groove sans filet. Et dès l'ouverture, Love Is Cruel impose le ton. Un titre d'introduction parfait, digne d'un film d'Ennio Morricone, porté par une voix féline et une tension dramatique. La chanson raconte l'histoire d'une femme insaisissable - une midnight scooter rider - qu'il admire sans pouvoir la retenir. Miles Kane la décrit comme « Clint Eastwood et Judy Garland dans le désert au crépuscule ».

Suit Electric Flower, un morceau glam-rock façon T. Rex, où l'univers du musicien se mêle à celui du producteur dans une palette psychédélique éclatante. On retrouve les mêmes influences dans l'éponyme, Sunlight In The Shadows, Coming Down The Road ou encore Without You, l'un des premiers titres nés de leur collaboration. Ce dernier incarne le rock'n'roll classique, avec une énergie seventies irrésistible, qui pourrait être l'habillage sonore d'un film de l'ère du Nouvel Hollywood. Selon Dan Auerbach, « l'album tout entier est une pagaille de guitaristes exécutant les parties les plus simples et les plus imbriquées ». Et cette spontanéité donne au disque ce grain rauque et organique qui rappelle Coup de Grace (2018), taillé pour la scène. Les percussions ouvrent ensuite Sing A Song To Love, où la voix de Miles Kane, légèrement brouillée, se rapproche du micro avec une intensité brûlante et une partie vocale qui n'est pas sans rappeler les premiers morceaux de Kasabian. Plus loin, l'artiste s'amuse à revisiter Slow Death des Flamin' Groovies dans une version ralentie et funk, née d'une session bonus improvisée en fin d'enregistrement.

Mais Sunlight In The Shadows ne se résume pas à une déferlante électrique. L'album sait aussi se faire plus doux. Always In Over My Head et Walk On The Ocean voient Miles Kane endosser le costume de crooner 60's. Ces morceaux révèlent des fissures dans la veste en cuir, une tendresse jusque-là contenue, désormais pleinement assumée - dans la lignée d'un Scared of Love, où il se mettait à nu autant dans le son que dans l'émotion. My Love, mélancolique, referme le disque sur des paroles comme « Ce navire coule enfin », laissant filtrer une sincérité désarmante.
On pourrait y voir la résignation d'un artiste ayant laissé filer quelque chose, mais c'est tout l'inverse : l'anglais y trouve enfin un espace où poser son cœur, un équilibre entre abandon et apaisement. Et quand on parle de choses qui se dérobent, marquées par le temps, Walk On The Ocean s'impose naturellement. Des accords lents, pincés aux doigts glissent vers un groove feutré, étouffé par des guitares plaintives. Le morceau s'efface comme un Polaroïd ancien dont les couleurs se seraient peu à peu évaporées — une balade suspendue entre nostalgie et élégance. I Pray apporte enfin une dimension plus spirituelle. Le narrateur, conscient de ses défauts (« I'm not an innocent man »), y confesse une sincérité désarmante : « All I have is my word to you / That I'll be true / What more can I do? ».

Rock'n'roll imprégné de soul urbaine, porté par des rythmes inspirés des sixties/seventies et une guitare toujours en avant, Sunlight In The Shadows brouille les frontières entre pop, blues et groove profond. Miles Kane y confirme son charisme de frontman et prouve qu'il sait encore se réinventer sans se trahir. Ce n'est sans doute pas l'album qui fera sauter la chape de plomb au-dessus de lui, mais il rappelle qu'il demeure l'un des artistes les plus talentueux et inspirants de sa génération. Ce mélange des meilleurs sons des deux côtés de l'Atlantique s'avère spectaculairement payant. Un album vibrant, habité, qui pourrait bien compter parmi les plus marquants de sa carrière - et dont on a déjà hâte de mesurer la puissance sur scène.