Chronique Album
Date de sortie : 21.11.2025
Label : The state51 Conspiracy
Rédigé par
Jérémi Desplas, le 27 novembre 2025
Dans la liste des genres fourre-tout pour chroniqueur fatigué, « dream pop » est sans doute aucun l'un des plus rabâchés, peut-être même au-dessus de « post-punk » et « shoegaze », qui à eux deux recouvrent plus ou moins la quasi-totalité de la production sortant du milieu rock indépendant actuel. Pourtant, la dream pop est sans doute en terme de mouvement relativement similaire à ce qu'elle est musicalement : vaporeuse, intemporelle et hors du temps, et extrêmement variée, en étant rarement rattachée à une scène ou une époque très spécifique. Le bon côté de Micrographia, le premier album de Bug Teeth après quelques EPs, c'est qu'il nous évoque un grand nombre de micro-tendances de la dream pop. Le mauvais, c'est qu'il souffre justement de la comparaison systématique avec des influences (réelles ou supposées) qui parsèment ses dix compositions.
Le morceau d'ouverture, Tapeworm, fait le job en nous faisant rentrer dans l'ambiance telle la boîte à musique dont on pourrait rapprocher les sonorités. C'est sur la suite que l'on est moins convaincu : Ammonite sonne comme du Just Mustard qui aurait été mis en sourdine complète, mais désoriente. Là où composer de manière minimaliste doit laisser apparaître le fil rouge, quelques guitares et sons électroniques mal placés nous le cachent, malgré une belle montée en puissance sur la deuxième moitié du morceau. Après cette entame éthérée, Topiary est un single plus classique et dynamique, qui convainc plus notamment avec les cordes audibles à l'arrière-plan. Oui, mais... à faire plus classique, on ne peut que constater que les breaks manquent un peu de punch, tandis que Thin Circle renvoie aux balbutiements de l'introduction de l'électronique dans la dream pop, sans le transcender outre mesure ou en proposant quelque chose de particulièrement nouveau.
C'est là que je vais être contraint de faire quelque chose qui devrait être interdit (sauf réelle pertinence) à tout chroniqueur sérieux : parler de David Lynch dans une chronique sur un album de dream pop. Oui, je ne voulais pas, il ne faut vraiment pas faire ça, mais voilà, Crunch Went The Snow est tellement proche de ce que pourrait faire feu Julee Cruise (et sans chercher très loin, rien que sur le célébrissime Questions In A World Of Blue : une nappe de synthétiseur et un chant à vous démolir au ralenti), que cette chanson, pourtant tout à fait honorable, ne peut que s'incliner face à un tel modèle. C'est peut-être la tristesse que l'on ressent à l'écoute de l'album : il est difficile voire impossible de faire un mauvais album sous de telles influences, mais il l'est encore plus de faire un album qui puisse regarder ses modèles dans les yeux.
C'est la deuxième moitié du disque qui s'avère la plus intéressante : en introduisant un zeste de sonorités easy-listening, Merricat est très rafraîchissant et possède une originalité convaincante. De même, sans prétention, Warp & Weft II est impeccable, se déroulant comme une histoire dans laquelle se lover en sirotant un bon chocolat chaud en hiver en pensant au temps qu'il y a quelque chose à réconforter chez soi en plus de se réchauffer. Mais la clé de voûte de l'album est probablement My Stupid Tree-Frog Daughter, étrange mais captivante histoire de sept minutes qui parvient à tenir en haleine tout le long en posant son ambiance comme on pose ses pas au milieu du brouillard, dont Collections est la sortie en douceur et s'étale également, sur six minutes, dans un état d'esprit au contraire beaucoup plus guilleret mais qui trouve sa justification dans le morceau précédent. Après cet enchaînement convaincant, Landscaping sonne comme du Julien Baker en moins poignant. La conclusion est peut-être un peu imparfaite mais ne dépareille pas.
Peut-être pas parfaitement construit, ou trop peu original malgré quelques réussites, ce premier album de Bug Teeth confirme qu'il faut soit devenir maître en son domaine, soit en inventer un nouveau (idéalement les deux). En leur souhaitant qu'ils puissent faire l'un ou l'autre, on se satisfera de cet effort.