C’est vendredi et nous sommes de plus en plus amoureux de ce pays et de ce festival. Pour ne pas en rater une miette, nous repartons dans les rues de Reykjavik dès 13h vers l’auberge Reykjavik Backpackers où ont lieu de courts showcase dans une atmosphère conviviale, avec un public installé sur des banquettes autour des tables du hall d’accueil.
Les canadiens sont décidément bien représentés dans ce festival puisque
Woodpigeon est le premier barbu (mais pas le dernier) à investir la petite scène devant la vitrine donnant sur l’artère commerçante Laugavegur. Une voix touchante et pénétrante à la Elliott Smith et quelques accords de guitare folk suffisent à débuter cette journée de manière parfaite. Le songwriter Mark Hamilton effeuille de jolies ballades aux ravissantes mélodies idéales pour bercer un début de journée reposant avant un programme riche en très bons concerts.
Dirigeons nous vers le cœur de la ville où le Restaurant Reykjavik propose quelques concerts alors que les clients attablés finissent de déguster leurs poissons.
Borko s’installe devant son micro avec son téléphone à l’oreille, demandant des nouvelles d’autres membres de son groupe retenus à cause des conditions climatiques. Ils n’arriveront finalement qu’au compte-goutte pendant le concert. Ce barbu enveloppé fait parfois le rigolo avec FM Belfast mais nous le découvrons ici au sein de son propre projet, distillant une pop bien plus envoûtante et toute en finesse avec une voix grave. Elle est relevée de quelques cuivres : trombone à coulisses ou trompette qui pourraient faire penser à Beirut. Les morceaux démarrent dans une certaine quiétude avec la voix profonde et imposante de Björn Kristiansson, pour se terminer dans des défoulements instrumentaux acoustiques. Malgré tout, quelques ambiances électroniques sortent de l’ordinateur du dernier musicien arrivé, accélérant parfois le rythme alors que les cuivres les complètent par des mélodies aériennes. On oublie l’espace d’un instant les odeurs de restaurant pour se plonger dans ces mélodies complexes, pour un concert plus que réussi.
A quelques pas de là se trouve le Reykjavik Downtown Hostel où un public massé dans le petit hall attend la venue du groupe
MAMMÚT. On espère leur arrivée à chaque ouverture de la porte qui fait s’envoler la moitié des objets de l’auberge, créant un running gag plutôt comique. Les cinq membres démarrent finalement et on est d’entrée subjugué par la présence et la voix inouïe de la chanteuse Kata. Elle est totalement habitée par sa musique, se perdant dans des mouvements corporels incontrôlés. Sous nos yeux subjugués, elle se livre totalement sur chaque morceau, allant jusqu’à se tordre en deux pour pousser un long cri perforant, stoppant pendant quelques secondes la tempête à l’extérieur du bâtiment. Ces trois filles et deux garçons livrent le concert le plus rock’n’roll du festival, où les guitares aiguisés s’envolent au son de cette voix totalement addictive.
Leur album n’a pas pu sortir avant le festival mais les chansons qui le composeront seront à écouter absolument. Elles donnent à la fois envie de se secouer comme eux, ou bien d’être plus attentifs et de se perdre dans l’intensité qui s’en dégage. Le chant est tantôt en islandais sur
Salt, sa guitare angoissante et ses envolées aigües, ou en anglais comme sur
Follow, titre à la langueur exaltée. MAMMÚT a clairement été la révélation de cette édition de l'Iceland Airwaves pour une prestation entre un mysticisme possédé et des déchainements volcaniques jubilatoires. On a finalement trouvé une plus grosse claque que le vent islandais.
Retournons dans le bar Hresso pour voir ce groupe atypique dont beaucoup de festivaliers et de médias font l’éloge :
Retro Stefson. Le charismatique leader va enflammer un public en le faisant danser, sauter et bouger dans tous les sens au son d’un électro-pop teintée de funk et de rythmes africains. Lui même n’est pas en reste, nous gratifiant de quelques pas de danse fiévreux alors que son frère manie la basse comme un demi dieu derrière son écharpe Angola. Ce tube dancefloor qu’est
Glow ne laisse personne indifférent alors que l’on se remémore ce très bon clip ou les frangins parcourent Reykjavik en vélo tandem, passant devant leurs lieux favoris de la cité. Le public reprend les choeurs, refrain de la synthétique
Qween, alors que le chanteur Unnsteinn Manuel Stefánsson prend des mimiques d’un Ray Charles monté sur ressort. Retro Stefson s’autorise quelques passages bossa avec un piano qui réchauffe ce chapiteau fouetté par le vent. Le groupe n’hésite pas à fusionner des influences world avec des beats disco pour remixer et prolonger leurs morceaux. Cela fait quelques temps qu’on avait pas eu aussi chaud !
Comme la veille, nous choisissons la librairie Eydmusson et son petit espace tranquille où
Myrra Rós chante un folk aérien en islandais accompagnée de sa guitare acoustique. Nous voilà dans un écrin de calme avant de passer aux concerts du soir. La douceur de la blonde Myrra émeut un public assis et attentif, alors que sa voix se perd dans de charmants échos. Elle confiera qu’il s’agissait là de son lieu préféré du festival, avant que
Þoka ne prenne le relai. Dans une veine toujours folk et féminine, cette dernière propose des chansons plus classiques avec une voix forcée et nettement plus commune. Avant de s’endormir, nous prenons la direction de la chapelle Fríkirkjan, au bord du lac Tjörnin pour le très attendu concert de
Lay Low.
Nous découvrons ce superbe lieu à l’acoustique parfaite. Les instruments ont été installés devant l’autel, sous un portrait de Jesus Christ les deux bras levés comme au concert, avec ce petit air gay qui fait son charme. La chanteuse
Lay Low accompagnée de son groupe apparaît et dès les premières notes, on est persuadé que l’ascension sonore qui va se jouer sera divine. Sa voix suave est un délice : on ne peut qu’être sous le charme de cette façon particulière de prononcer les mots en arrondissant les voyelles. Les adaptations live de ses meilleurs morceaux sont sublimées par son groupe dont une choriste claviériste complétant idéalement la chanteuse. Son dernier single
The Backbone avec son refrain d’inspiration pop est timidement repris par un public au souffle certainement trop coupé pour pouvoir y donner suffisamment de voix.
Quelques uns des meilleurs extraits de son très bon disque
Farewell Good Night's Sleep sont interprétés, comme
By And By dans une version émouvante au possible ou la tranquille et mélancolique
Little By Little. Si la base de sa musique est folk, la malicieuse Lovísa n’hésite pas à s’énerver un peu plus dans des réinterprétations rock de ses chansons en islandais qui nous donneraient presque envie de nous lever pour plus de liberté de mouvement. Mais dans ce genre d’endroit, il aurait fallu une permission.
Please Don't Hate Me clame-t-elle dans un blues ténébreux : sur ce point, elle peut être rassurée car le public est plus que jamais conquis. On tient certainement le meilleur du concert du festival dans ce lieu atypique où la musique ne peut qu’atteindre un paroxysme. Qu’il est difficile de revenir à la réalité même si un joli programme nocturne nous attend.
Nous passons la suite de la soirée dans l’une des trois salles du complexe géant Harpa. La transition est parfaite puisque nous restons dans la grâce et la quiétude avec le pianiste
Ólafur Arnalds. La pénombre se fait et nous plongeons dans les ambiances sombres et minimalistes d’un piano ancré dans un paradoxe entre la faiblesse de son volume et l’intensité qui s’en dégage. Le bruit des déclencheurs des nombreux photographes devient rapidement gênant alors que le musicien les incite à stopper ce qui pourrait facilement gâcher le concert. Ólafur Arnalds se tord devant son clavier alors que chaque note résonne avec une douceur qui caresse l’oreille, noyant l’ensemble de la salle dans une atmosphère de plénitude. Une force se dégage néanmoins de ces compositions classiques qui laisse tout auditeur égaré et les yeux fermés. Lorsque l’une des mains quitte les touches, c’est pour rejoindre celle de l’ordinateur situé sur le grand piano à queue. Quelques arrière-plans électroniques se mêlent à l’instrumentation baroque afin d’y ajouter des basses lentes et audacieuses. Ajoutons à cela des accompagnements au violon et violoncelle, parfois prolongés par de fabuleux solos, et nous obtenons une prestation magique et envoutante. Il faudra quelques instants pour se remettre de cette traversée.
Après le silence, le bruit. Les oreilles risquent de ne pas comprendre pourquoi, après avoir été cajolées, elles vont devoir s’adapter au post-rock fulgurant de
For A Minor Reflection. Le seul point commun est que nous restons dans la musique instrumentale mais cette fois toutes guitares électriques dehors. Dès la première salve, on est saisi par l’ampleur de la puissance qui se dégage, mais également par l’influence de mélodies plus traditionnelles. Oui, For A Minor Reflection s’exalte dans une débauche de décibels avec Mogwai en ligne de mire. Mais ils n’oublient pas une certaine subtilité dans le maniement d’un piano ou de cuivres pouvant rappeler la musique folklorique islandaise ou, bien sûr, Sigur Rós. On remarque cette influence sur
Dansi Dans, morceau à part dans le concert, joué en acoustique à quatre mains au piano accompagné par une trompette et un trombone. En dehors de cette jolie escapade, les morceaux sont assez longs, avec de multiples rebondissements et changements de rythmes qui parviennent à nous tenir en haleine. Des crescendos épique démarrent dans une certaine sérénité avant que la batterie ne fassent des siennes et n’embarquent le tout dans des déchainements bruitistes mais toujours mélodieux. Après un dernier titre d’une dizaine de minutes, nos tympans ont été mis à niveau et la soirée peut continuer.
Un duo de Brooklyn investit alors la scène de l’Harpa Norðurljós :
EXITMUSIC et leur dream pop atmosphérique. Nous restons dans le sombre et le glaçant mais avec une chanteuse à la voix grave à la limite permanente de la rupture. Sa silhouette et son synthé planant nous rappellent Victoria Legrand (Beach House) alors que son compagnon évapore sa guitare dans des échos tournoyants. Il s’en libère parfois pour frapper une MPC donnant des allures électroniques à certains titres qui reposent alors sur une voix déclamée mais parfois mal assurée, volontairement ou non. La prestation est assez inégale même si on en retiendra ses instants marquants comme
The Modern Age et ses envolées lyriques ou la douce berceuse
The Night et ses nappes de synthé voluptueuses. EXITMUSIC termine son concert sur un duo de guitares à l’unisson dans une noirceur dramatique aux relents noise. Il est temps de quitter le Harpa pour tenter de rejoindre le Reykjavik Art Museum.
Il ne manquait qu’une touche de brit-pop à cette soirée alors que
The Vaccines débarquent sur la scène du musée, fin prêts à remuer la foule. Celle-ci ne met que quelques secondes à sauter sur place, d’autant plus que le bassiste Árni Hjörvar est islandais et ne fait qu’invectiver ses compatriotes dans la langue locale. Le refrain de
Wreckin' Bar (Ra Ra Ra) est repris en chœurs alors que les kids crient et dansent de tous leurs membres. Le chanteur Justin Young est une vrai pile électrique et parcourt la scène le poing levé lorsqu'il n’enchaine pas les accords les plus efficaces sur sa guitare. Voilà un groupe qui ressemble à la dernière sensation pour adolescents du NME mais qui, en réalité, possède de solides compositions pour d’excellentes adaptations live.
On a l’impression que les tubes s’enchainent sans temps mort et les morceaux du nouvel album ont déjà pleinement leur place aux côtés des anciens. On retrouve avec joie le dernier single
Teenage Icon, joué toujours plus rapidement. La fabuleuse
Post Break-Up Sex est également proposée en up-tempo, permettant d’apprécier la voix de Young aussi attachante que sur les versions studios. On se laisse emporter en répétant sans fin les frénétiques refrains de
If You Wanna ou
Blow It Up. Mais le summum est atteint pendant une reprise d’une vieille chanson punk islandaise de 1982 :
Ó Reykjavík du groupe Vonbrigði. Les islandais deviennent fous et sautent dans tous les sens. The Vaccines n’ont pas fini d’énerver les foules avec cette pop joyeuse et dansante doublée d’une présence scénique digne d’une tête d’affiche d’un vendredi soir fiévreux. Le musée d’art contemporain en tremble encore.
Pour prolonger la nuit, aux alentours de 1h20, nous testons le Þýski barinn/ Deutsche Bar ou les rockers du groupe
Reykjavík! investissent la mini scène de ce sombre club pour un show bien moins lisse que The Vaccines. Le public l’est moins également, puisque les pogos entre punks nous font reculer de quelques mètres. Le chanteur fou ne manque pas de s’accrocher au plafond ou à la boule à facettes avant de se faire porter, tout en assénant ou criant des textes rageurs. Un de leurs albums ne s’appelle pas
Glacial Landscapes, Religion, Oppression & Alcohol pour rien. Leur indie rock délirant aux allures de Spiritualized sous acides est diablement efficace. Les guitares s’excitent subitement et divergent vers des distorsions multiples. Reykjavík! n’avaient pas hésité à offrir les mp3 des chansons de la setlist du soir sur les réseaux sociaux avant le concert et on voit que certains ont eu le temps de se familiariser. On retiendra évidemment le morceau
Cats, pour ses refrains de single pop et ses solos de guitares énervés et non pas pour son titre. Cette prestation unique de Reykjavík! pour cette édition de l'Iceland Airwaves aura été la plus folle du festival, dans la chaleur abrupte et violente du Deutsche Bar.
Après tant d’émotions extrêmes, l’envie de continuer s’amenuise. On persiste néanmoins pour le concert
Dream Central Station, un groupe de pop atmosphérique islandais. Soit la prestation est un peu plate (surtout après Reykjavík!), soit on ne dispose plus des capacités auditives suffisantes à cet instant précis. On sauve néanmoins une chanteuse à la voix monocorde et des passages psychédéliques assez captivants.
Baissons le rideau sur cette journée de vendredi bien longue mais aussi complète que complexe. On retiendra le magnifique concert de Lay Low ainsi que les prestations éblouissantes de MAMMÚT et Ólafur Arnalds. L’excitation était à son comble pour The Vaccines, For A Minor Reflection et Reykjavík!. Au final, le parcours choisi était parfait et il n’y a eu aucun temps mort : ce festival est décidément l’un des meilleurs au monde.