On fait escale au Øya Festival d'Oslo en Norvège, l'un des festivals européens les plus en vue de l'été, en ce mois d'août riche en événements. Malgré sa réputation internationale, l'événement a su garder une taille humaine, prenant place dans un parc à quelques stations du centre-ville. Les cinq scènes sont très proches les unes des autres et il est possible de s'approcher au plus près ou de voir les groupes de n'importe quel point de vue, étant donné la configuration en pente du site. Voilà comment débute notre histoire d'amour avec Øya.
L'arrivée à Oslo fût pour le moins chaotique en raison de la tempête Hans et d'une situation de crues jamais vue en Norvège. J'arrive à prendre le dernier train qui mène au centre-ville avant l'arrêt de tous les transports pendant que les sacs de sable sont posés dans le métro et que les alertes sonores sont envoyées sur tous les téléphones qui retentissent à l'unisson. Ambiance de fin du monde mais, heureusement, un beau soleil aura brillé pendant le festival qui n'aura pas été impacté.
Le mardi soir est dédié à une soirée club dans le centre-ville d'Oslo. Des salles rappelant nos tiers-lieux en mode friches industrielles réhabilitées ou scènes au bord de l'eau avec sauna inclus accueillent des groupes locaux pour une soirée de découverte. On retiendra la performance de
Yellowroots, un groupe de kids du coin sortant tout juste du lycée. Une énergie et une fraîcheur punk qui fait plaisir à voir avec des morceaux joyeux qui font bouger la tête et sourire les yeux. Que demander de plus ? Les voir accueillis par tous leurs potes en sortie de scène : la famille. On passera également de beaux moments avec les folkeuses
Krissy Mary et
The Other End ou via l'électro atmosphérique de l'estonienne
Kitty Florentine. On terminera la soirée sur la darkwave synthétique de
Torch pour un trio sombre et gothique à souhait.
Le festival prend ensuite ses quartiers dans le parc de Tøyen pour un mercredi après-midi qui démarre très fort. C'est le groupe Norvégien
Darling West qui ouvre le bal avec des sonorités folk-pop à des influences americana, au son du banjo. Le collectif est porté par deux voix féminines et masculines évoluant parfois à l'unisson dans de belles harmonies. Une entrée en matière plutôt mignonne. On reste dans le coin pour
Fangst, un autre groupe du coin qui déploie un indie-rock sauvage, influencés par le son lourd des 90's. L'énergie augmente rapidement avec ce quartet, assortis dans leurs chemises bleues de working-class heroes.
Nous rejoignons ensuite la scène couverte Sirkus, un chapiteau géant complètement noir, pour le concert de l'américaine
Okay Kaya. Kaya a passé son enfance en Norvège et on a pu admirer son travail d'actrice dans le cinéma de Joachim Trier. Mais c'est en chanteuse solo qu'elle s'avance pour disperser ses compositions cool-relax au possible dans son maillot de football. Chantant seule au micro, parfois accompagnée par un guitariste avachi sur une chaise de bureau sur le côté de la scène (comment ne pas s'identifier à lui...). Les moments de grâce s'enchaînent sur cet anti-folk paisible rappelant parfois la bande originale de
Juno, comme sur
Asexual Wellbeing. Okay Kaya brille sur scène et sa joie de vivre est contagieuse. Une douceur captivante nous envahit jusqu'au tube
Psych Ward qui sera repris par le public dans un moment de communion. Un petit moment de bonheur à la Norvégienne.
La petite scène extérieure accueille ensuite la pop psyché des américains de
TV Girl. Leur chanteur avoue qu'il sort de son van sans savoir dans quel pays il se trouve mais qu'il est prêt à nous faire vibrer. On reste dans des tempos lents mais qui ne parviennent pas à nous faire décoller autant que le précédent concert, une prestation trop mécanique avec un certaine manque d'engouement. On retiendra néanmoins le titre
I Wonder Who She's Kissing Now et ses envolées de chœurs entêtants.
Suite à l'annulation de
Róisín Murphy pour cause de maladie (tristesse), ce sont les
Viagra Boys qui prennent le relai. Les punks suédois vont enflammer la scène Sirkus avec leur chanteur qui avoue avoir porté un jean sur scène pour la première fois : il y'a un début à tout. Le tatoué torse nu est une vraie pile électrique, hurlant tout sa rage recroquevillé sur son microphone, de sa voix caverneuse comme si sa vie en dépendait. Les riffs ravageurs résonnent et le public se lance dans des jumps incessants. Les Viagra Boys font monter Øya au septième ciel. Enchaînant des rythmes hyper rapides teintés d'une urgence angoissante et d'un saxophone frémissant et quelques passages plus calmes, le groupe est déchainé et fait honneur à sa réputation de groupe de live par excellence.
Du rock magnétique, on passe à la pop de stade avec
Lorde, attendue par un public massé devant la plus grande scène extérieure Amfiet. La star débute son concert en chantant devant une caméra, retransmis sur des écrans en format "Story" avec un public qui reprend en choeur le fameux tube
Royals. Pour une foule qui regarde ces vidéos à longueur de journée, quoi de mieux que de recréer cette expérience "comme sur mon téléphone" ? La Néo-Zélandaise apparaît finalement sous les hourras, avec un charisme qui attire tous les regards. Lorde fait le show sur des sonorités électro-pop dispensées par un groupe relayé à l'arrière-plan. Le public danse et s'enflamme en totale communion avec une artiste qui se donne totalement et est visiblement ravie d'être là. Elle terminera avec son fameux tube
Green Light, imparable moment dancefloor exécuté à la perfection. Un show très carré et millimétré mais qui nous en a mis plein la vue.
Pendant ce temps, sur la petite scène, un groupe alternatif joue l'opposé du mainstream puisque les anglais de
Jockstrap font divaguer les récalcitrants de la pop. On arrive pendant le merveilleux titre
Glasgow, interprété à la guitare acoustique par une Georgia Ellery tout sourire. Sa voix s'envole dans les aiguës sur ce morceau à la tristesse nostalgique et réconfortante et qui nous restera en tête bien après la soirée avec ses « I trust myself... ». Les divagations électroniques du producteur Taylor Skye, autre moitié du duo, possèdent ce côté dissonant et angoissant dont la terreur est comblée par les envolées vocales de la chanteuse. Un groupe à l'avant-garde qui crée son propre son qui semble venu d'ailleurs : Jockstrap tient ses promesses d'OVNI en quête de recherche sonore pour un concert qui a fait très forte impression.
Retournons sous le chapiteau géant pour les berlinois de
Moderat qui dispersent déjà leur électro mélodique et planante, portée par la voix ténébreuse de Sascha Ring (Apparat). Le trio s'affiche dans l'ombre d'un écran géant ou des visuels cryptiques s'enchaînent pour nous éblouir tandis que les beats froids d'électro minimal s'accélèrent pour lancer la danse sur le festival. Entre passages cataclysmiques, et autres moments plus lents, Moderat ne choisissent pas et parviennent à nous faire vibrer les organes de leur basses puissantes et autres passages de guitares électriques résonnantes. Le fameux tube
Bad Kingdom termine le concert avec ses nappes synthétiques spatiales et ce petit côté épique pour libérer l'extase de la foule. Moderat sont toujours aussi inspirés.
On termine cette première journée avec le groupe sensation du jour, celui dont tout le monde parle et veut « enfin voir » en concert : les américains de
Devo. Ces pionniers de l'art rock menés par Mark Mothersbaugh, soixante-treize ans et rescapé du COVID-19, sont plus en forme que moi. Attendus par une nuée de fans dont certains ont revêtus leurs fameux couvre-chefs rouges, Devo débarquent dans une liesse générale et enchaînent les plus grands tubes qui ont marqué une carrière de plus de cinquante ans. Avec une tournée d'adieu pour célébrer cet anniversaire, on remarque que Devo sont marqués par l'âge mais l'énergie artistique novatrice est toujours présente et toujours à l'avant-garde. On a l'impression d'entendre un groupe contemporain tellement le son n'est pas daté et semble intemporel, davantage que d'autres vus le même soir. Le single culte
Whip It et ses riffs tournoyants n'est pas oublié, il fera remuer le public. Le quintet n'hésite pas à changer de costume en cours de route pour revêtir des combinaisons en plastique jaune ou à jouer de chorégraphies toujours plus bizarres, entre attitudes robotiques et déhanchés qu'on n'aura certainement pas dans trente ans. On reste scotchés par la créativité de ce groupe, qui se ressent également à travers les vidéo clips projetés à l'arrière de la scène. Ce premier soir se termine avec cette incroyable performance de Devo, un nom que tout le monde avait à la bouche le lendemain dans les travées et tous ces « Did you see Devo yesterday ? ».
Une sacrée entrée en matière avec les vétérans toujours aussi fringants de Devo, l'avant-garde de Jockstrap, la pop bien huilée de Lorde et la douceur de Okay Kaya : il y en avait pour tous les goûts à Øya ce soir. Et ce n'est que le début...
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