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Pitchfork Music Festival

Paris, du 7 au 9 novembre 2024

Live-report rédigé par Franck Narquin le 14 novembre 2024

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De la reformation d'Oasis à la sortie du quatorzième album de The Cure en passant par le retour du porc-vivant Donald T., l'actualité ne cesse d'être rythmée par les combats d'arrière-garde. À contre-courant, le Pitchfork Music Festival nous propose de troquer avec ses soirées Avant-Garde les relents de naphtaline pour la fraîcheur vivifiante du vent nouveau et briser le miroir déformant de la nostalgie pour imaginer ensemble à quoi pourrait ressembler la musique de demain.

Ainsi chaque année, nous enfilons début novembre nos plus belles culottes pour s'en aller trois jours durant prendre la Bastille en espérant avant tout se prendre quelques belles claques. Pour sa quatrième édition sous ce format, le festival passe de deux à trois soirées et propose désormais la bagatelle de cinquante-deux formations musicales émergentes presque toutes aussi confidentielles que passionnantes, réparties dans six salles du quartier.
L'acuité des programmateurs alliée au prestige de la marque Pitchfork nous a permis d'y découvrir les années passées des groupes devenus incontournables tels que Wet Leg, Talk Show, Yard Act, John Glacier, Nia Archives, Fat Dog, Gurriers, KNEECAP ou bar italia. Alors, quelles sont les pépites de la saison 2024 appelées à devenir de précieux joyaux ? Quelles grandes tendances se dégagent de cette édition ? Est-il humainement possible de voir 52 concerts en 13 heures ? La FOMO (« fear of missing out ») est-elle une maladie incurable ? Le don d'ubiquité devrait-il être déductible fiscalement ? C'est à toutes ces questions et peut-être d'autres encore que nous tenterons de répondre au cours de nos trois live reports quotidiens.

Jour 1 – A découvrir absolument (pour adultes et adolescents)
Si l'année 1996 est pour vous celle où vous avez écouté en boucle #3, le meilleur album de rock français de tous les temps, vous savez comme tout fan de Diabologum que le Jeudi Tout Est Dit. Si telle Louane, l'année 1996 est celle de votre naissance, de toute évidence, le jour 1 est celui que l'on retient. Si vous n'étiez pas encore nés, vous êtes jeunes et ajouter une soirée supplémentaire à un weekend de trois jours ne vous fait pas peur. Par conséquent, vous êtes arrivés à l'heure, avez retiré votre pass 3 jours au Motel, peut-être même écouté les groupes programmés et certainement consulté la timetable en pestant car vos deux groupes favoris jouaient en même temps. De notre côté, nous avons opté pour un parcours titanesque avec au programme sept concerts en tout juste quatre heures. Malgré un rythme un peu trop frénétique, nous remporterons notre ambitieux pari qui nous verra vibrer devant du shoegaze américano-brésilien, admirer les étoiles montantes de Chicago, découvrir des sœurs sans merci, tomber amoureux de la soul de MRCY, suer devant la nièce d'Oussama Ben Laden, s'ennuyer avec un poppeuse précoce et regretter un divorce.

Acte 1 : Winter – Pitchfork Is Coming
Nous avons déjà connu des afterworks du jeudi soir s'annonçant plus excitants qu'une ouverture de festival par un groupe de shoegaze américain dénommé Winter. D'une part car si les anglais ne sauront jamais jouer de l'americana pur jus, les américains peineront toujours à égaler les maîtres du shoegaze britanniques et irlandais, d'autre part car prendre pour un nom aussi cliché ne laissait par augurer d'une grande originalité. Nous réaliserons vite que Winter n'est autre que le patronyme de Samira Winter, artiste américano-brésilienne née à Curitiba, ayant vécu à Los Angeles avant de former son groupe à Boston pour enfin se baser à New-York. Bercée de musiques populaires brésiliennes par sa mère, de punk américain dissonant par son père et nourrie par sa jeunesse itinérante, l'artiste parvient à proposer une version personnelle et singulière du genre, la distinguant de la plupart des groupes de shoegaze actuels se contentant de singer leurs prestigieux ainés. À son shoegaze éthéré lorgnant vers la dream-pop, elle injecte des beats électroniques, une charmante nonchalance dégingandée et la douceur chaloupée de ses racines brésiliennes. Malgré une faible affluence (jeudi 19h30 oblige), Winter parviennent rapidement à réchauffer l'atmosphère grâce à un set composé de leurs titres les plus percutants. Premier concert, première bonne surprise. Après Pedro, Pharaon de et Ophélie, la famille Winter est heureuse d'accueillir Samira.


Acte 2 : Friko – Chicago déboule
En quelques coups de pédales nous passons du Badaboum au Supersonic pour assister au concert le plus attendu de la soirée, celui de Friko, groupe d'indie rock de Chicago, auteur d'un excellent premier album paru en début d'année. La ville d'Al Capone et Kanye West se trouvant également être celle de Pitchfork, profitons-en pour placer notre séquence « Père Castor vous raconte l'histoire de Pitchfork » que vous redoutiez tous.

Créé à Chicago en 1995 et tenant son nom du tatouage de Tony Montana dans Scarface, Pitchfork s'impose en quelques années comme le webzine de référence dans le monde de la musique indépendante. Cette fulgurante ascension conduira le webzine à se voir taxer de bande de bobos snobs et élitistes par les uns ou reprocher d'être devenu l'équivalent de Robert Parker, le redoutable critique œnologique dont l'influence contribua à l'uniformisation du monde du vin, en imposant un bon goût formaté par les autres. Cela s'appelle la rançon du succès, jusqu'ici tout va bien. En 2015, le groupe Condé Nast, éditeur entre autres de Vogue et GQ et détenu intégralement par la famille Newhouse (fortune estimée : 24 milliards de dollars) rachète Pitchfork. Tic, tac, tic, tac... Si leurs albums de l'année étaient traditionnellement signés par des groupes comme The Rapture ou Animal Collective, ils sont depuis cette date trustés par les poids lourds de l'industrie, Beyoncé, SZA ou Lana del Rey. Détail sans grande importance car le site continue de mettre en avant des artistes exigeants et novateurs (Dean Blunt, Tirzah, Yves Tumor...) mais détail révélateur. Tic, tac... boum ! En janvier 2024, Condé Nast annonce la fusion de Pitchfork avec le magazine QQ ainsi que le licenciement d'une partie de ses salariés. Encore une fois, le diable s'habille en Prada.

Pitchfork c'est aussi un festival créé en 2006 à Chicago puis exporté à Paris en 2011, d'abord sous un format classique à la Grande Halle de la Villette puis repensé à l'ère post-COVID-19 sous sa forme actuelle, s'étalant sur sept jours dans différents lieux parisiens et privilégiant les artistes émergeants ou atypiques aux headliners consensuels. Comme le disait Michel Sardou, en France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées.

Merci Père Castor et à tout à l'heure pour un nouvel interlude traitant de l'influence de la politique de Margaret Thatcher sur le rock de Liverpool. Avant cela, revenons au Supersonic et à l'éclatante prestation de Friko, issus du collectif Hallogallo regroupant les jeunes musiciens d'indie-rock de Chicago (dont Horsegirl et Lifegard) et menés par le charismatique Niko Kapetan. Ce qui nous impressionne chez ce groupe n'est pas tant leur musique que la manière dont il la joue. Alternant pop flamboyante, rock saturé et folk incarné, leurs morceaux conservent tous une structure classique à travers laquelle leurs influences apparaissent aisément mais l'intensité mise dans une chacune des interprétations fait de Friko un groupe à part promis à un brillant avenir. Les Américains alternent morceaux à l'euphorie contagieuse dignes d'Arcade Fire, décharges subites de violence grunge et moments de grâce avec des ballades folk sur lesquelles le chant cristallin de Kapetan hypnotise le public qui se voit soudain plonger dans un recueillement silencieux. Avec ce concert renversant, Friko mettent la barre si haute que les prochains groupes risquent fort de souffrir de la comparaison.

Acte 3 : Disgusting Sisters – Liberté, Égalité, Sororité
Friko nous ont fait oublier notre planning surchargé au minutage millimétré, ainsi nous ratons les vingt premières minutes du concert des Disgusting Sisters à la Mécanique Ondulatoire. Cette petite cave possède la particularité de bénéficier toute l'année d'un microclimat subtropical où la température ne descend jamais en dessous des trente degrés et le taux d'humidité frôle souvent les 80%, ce qui en fait selon notre humeur et notre place la meilleur salle du monde (elle transpire le rock comme peu d'autres) ou la pire (la circulation y est difficile, la visibilité parfois réduite à néant et on y sue souvent à grosses gouttes). Ce soir tous les voyants sont au vert pour accueillir dans les meilleures conditions Jules et Josie, deux sœurs à la scène comme à la ville, qui ont formé Disgusting Sisters en mars dernier et n'ont encore sorti aucun titre. Pourtant elles enchaînent les festivals, ont ouvert pour Two Door Cinema Club et Maxïmo Park, tandis que Jarvis Cocker et Alexis Taylor jouent leur musique dans leurs DJ sets. On a entendu selon certaines sources que c'était « complétement nul » et selon d'autres « carrément génial » comme c'est souvent le cas pour parler des groupes bénéficiant d'une hype instantanée. Premier constat dès notre arrivée, le public affiche des sourires aussi XXL que ceux de Jules (celle qui porte une frange, un ensemble crop-top - bas de survêtement Adidas et des lunettes à la Nick Bollettieri) et de Josie (celle qui porte une frange, un ensemble crop-top - bas de survêtement Adidas et des lunettes à la Nick Bollettieri). Elles apprennent au public leur prochaine chorégraphie, descendent danser dans la fosse, chantent une pop énergique et acidulée et tout ce petit monde à l'air de franchement s'amuser. Faute de catalogue, leur set se terminera avec douze minutes d'avance, faisons le calcul, nous n'aurons assisté qu'à trois petites chansons et huit minutes de concert. Cela ne pourrait être que léger, drôle et anecdotique mais leur évidente qualité d'entertainers et leur facilité à imposer leur univers fun et coloré devraient transformer la hype en petite sensation pop, parfaite pour être dégustée bien frappée durant les prochains festivals d'été.


Acte 4 : Eaves Wilder – Pour une Lily Allen fraîche
Retour au Supersonic pour un changement de salle mais pas de classe. Si les turbulentes Disgusting Sisters ont amusé la galerie en faisant les zouaves au dernier rang, Eaves Wilder, bien plus sage, s'installe au premier, telle une bonne élève appliquée portant sa robe noire boutonnée jusqu'au cou. Elle est accompagnée par des musiciens qui comme elle doivent probablement encore fournir une pièce d'identité pour pouvoir commander une bière au bar. Sa pop mélancolique se révèle être tendre et inspirée (par la Motown 60's, Lilly Allen ou The Sundays) mais encore très scolaire tandis que sa prestation scénique reste trop timide. En peaufinant ses chansons tout en y apportant un zeste supplémentaire de folie, la jeune londonienne ne devrait avoir aucun mal à continuer à faire parler d'elle. Eaves déclare écrire en imaginant que son auditrice est une jeune fille de quatorze ans assez triste et solitaire. Avouons-le, nous ne sommes pas exactement son cœur de cible et suivons l'adage « Si c'est trop mélodieux, c'est que vous êtes trop vieux ! » pour filer de ce pas voir MRCY qui eux jouent de la musique de darons.

Acte 5 : MRCY – Make Soul Music Great Again
Après ces torrents de jeunesse, nous passons à la soul intemporelle qui s'écoule telle un long fleuve tranquille des instruments maitrisés à la perfection par les musiciens de MRCY. Devant un Café de la Danse qu'on a connu plus en transe et plus bondé, ces londoniens expérimentés parviennent à faire chavirer nos cœurs de rockers dès les premières notes de R.L.M, titres d'ouverture issu de leur debut album sobrement intitulé VOLUME 1. Les pépites que sont Lorelei et California ne feront qu'enfoncer le clou. Les deux leaders du groupe, Kojo Degraft-Johnson (chant) et Barney Lister (basse) se sont rencontrés sur Instagram pendant le confinement avant de donner vie à ce projet, pourtant les cinq musiciens de MRCY dans sa formation live donnent l'impression de jouer ensemble depuis de nombreuses années tant tout chez eux semble parfaitement huilé et couler de source. On se prélasse sur notre petit nuage quand notre alarme de téléphone sonne pour nous ramener à la dure réalité. L'heure de partir est déjà venue car à quelques mètres de là les trois pyromanes formant le groupe deep tan sont en train de mettre le feu à la Mécanique Ondulatoire.


Acte 6: deep tan – La troisième va vous surprendre !
L'année dernière vous avions assisté au concert de deep tan au Supersonic Records dans le cadre de la première Block Party du Supersonic mais leur « dark punk industrialo-oriental » (ainsi nommé par notre wonderkid Adonis Didier) semble bien plus adapté à une salle comme la Mécanique Ondulatoire, sombre, moite et oppressante. Les trois musiciennes y semblent comme des poissons dans l'eau et plutôt que de déclamer « Bonsoir Paris, vous êtes chauds ce soir ? » ou d'afficher des sourires complices, elles laissent leurs morceaux percutants et tranchants qu'elles jouent tambour battant sans jamais se défaire de leur posture aussi sévère qu'incarnée créer le lien avec leur public. On les aurait bien vues vivre ensemble dans un squat d'artistes à Berlin mais leurs biographies semblent indiquer un tout autre cadre de vie. En effet, deep tan est composé de la mannequin française Melia Beaudoin à la batterie, de l'héritière de la bière irlandaise, Celeste Guinness, à la basse et de Wafah Dufour, fille du demi-frère d'Oussama Ben Laden au chant et à la guitare. Incroyable mais vrai !


Acte 7 : Divorce – Désamour au premier regard
Avant d'attaquer ce dernier acte, nous nous offrons une salutaire pause au bar du Supersonic afin de nous remettre de nos émotions et entamer un premier bilan. En tout juste trois heures, nous avons rencontré le shoegaze aérien de Winter, le rock épique de Friko, la pop joyeuse de Disgusting Sisters et celle légère d'Eaves Wilder, la northern-soul luxuriante de MRCY et le punk rêche de Depp Tan. Six salles, six ambiances. Il ne manque plus qu'un final en forme d'apothéose pour parfaire la soirée ou au pire un groupe qu'on va adorer détester. Le folk-pop-rock formaté et aseptisé de Divorce, que le quatuor de Nottingham présente comme la rencontre entre Wilco et ABBA, remplit tous les critères propres à la deuxième option. Signés sur une filiale d'Universal, Divorce sont déjà promis au succès avec leur premier album prévu en mars 2025. Sur scène, le groupe joue bien, le show est carré et tout reste propret mais on parvient sans mal à compter de tête plus de 749 jeunes formations de rock britannique nettement plus enthousiasmantes que Divorce. Nous resterons néanmoins jusqu'à la fin de leur concert, autant par conscience professionnelle que parce que c'était à notre tour de payer la tournée.

A demain pour la suite de nos aventures.
artistes
    Abby Sage
    Bolis Pupul
    Christian Lee Hutson
    Deep Tan
    Disgusting Sisters
    Divorce
    Eaves Wilder
    Ethel
    Friko
    Jacob Alon
    Len
    Lucky Lo
    Mabe Fratti
    MRCY
    Thandii
    Tiberius B
    Winter
photos du festival