Découvert avec Box Of Secrets en 2008, les deux jeunes anglais de Blood Red Shoes sont de retour le 1er mars avec un second album tout aussi marquant que son prédécesseur. Rencontre avec Laura-Mary Carter et Steven Ansell, tout droit venus de Brighton pour l'occasion...
L'enregistrement de votre nouvel album vous a occupés durant près d'une année, avec seulement quelques concerts de temps à autre. Quel bilan en tirez-vous ?
Laura-Mary : En réalité nous avons donné beaucoup de concerts dans des festivals durant l'été dernier, ce qui ne nous empêchait pas de continuer à écrire de nouvelles chansons. Ce n'est qu'en septembre que les sessions d'enregistrement finales ont réellement commencé.
Steven : Il était plus simple pour nous d'écrire des chansons puis de donner des concerts occasionnels pour tester la réaction du public. Nous avons travaillé de cette manière durant toute l'année 2009 pour avoir plus de certitudes. Trop de groupes foncent tête baissée dans le mur en voulant se précipiter pour leur second album alors nous avons voulu mettre toutes les chances de notre côté.
Vous n'avez pour ainsi dire jamais cessé de donner des concerts depuis quelques années maintenant. C'est une composante impérative de votre développement ?
Steven : Nous n'avons donné qu'une quarantaine de concerts en 2009... mais je ne pense pas que nous aurions été capables de nous arrêter complètement pendant des mois. Nous aurions perdu la tête.
Laura-Mary : Nous avons simplement décidé d'être plus sélectifs en jouant lorsque nous en éprouvions le besoin.
Steven : A la base nous sommes un groupe live. Avant même qu'une maison de disques n'ait décidé de nous faire signer un contrat, ce sont nos concerts qui attiraient l'attention. Aujourd'hui encore beaucoup de personnes nous suivent pour nos prestations live, et si nous avions décidé de ne plus jouer pour enregistrement cet album, nous aurions perdu une partie de notre identité.
Laura-Mary : Je ne comprends pas comment tant de groupes peuvent s'enfermer dans un studio durant des mois uniquement pour écrire des chansons et produire un disque au final. Il est impossible de prendre du recul ou de jauger comment le public va réagir à l'écoute des nouvelles compositions, ni même de savoir s'il sera possible de les retranscrire correctement face au public.
Steven : Nous avons été rassurés de voir que le public semblait aimer la moitié des chansons de l'album. En les jouant à plusieurs reprises nous avons emmagasiné une certaine confiance mais aussi trouvé comment améliorer les mélodies progressivement. Ce n'est qu'en jouant que tu parviens à régler les petits détails, ceux qui font la différence entre une chanson moyenne et une autre plus réussie.
A l'image de votre premier album ?
Steven : A l'époque certaines anciennes chansons avaient été tellement jouées qu'elles étaient réellement achevées avant même d'aller en studio.
Laura-Mary : Je pense que nous devons toujours passer par plusieurs phases avant de finir un disque. Par moment j'ai l'impression que nous sommes incapables d'écrire quoique ce soit de bon, ce qui nous oblige à repartir sur de nouvelles bases avec d'autres chansons.
Steven : C'est justement en donnant des concerts que nous parvenons à trouver notre équilibre. Si nous nous renfermons trop longtemps sur nous-mêmes, nous ne pouvons plus faire la différence entre ce qui est bon ou mauvais. L'écriture d'un album peut-être très intense, il est nécessaire de s'aérer l'esprit en jouant les chansons à une audience.
Laura-Mary : Il est très dur de rester objectif face à ses propres créations.
Steven : Même lorsqu'une personne écoute un enregistrement de ma voix et trouve que le résultat est fantastique, j'éprouve beaucoup de difficultés à comprendre pourquoi. Le résultat est le même lorsque l'appréciation est mauvaise, j'ai le sentiment de m'être comporté naturellement.
Laura-Mary : Je n'ai jamais supporté ma voix sur les enregistrements de nos chansons, cela me donne toujours l'impression d'écouter un enfant (rires).
Cette recherche de la qualité n'est-elle pas un atout au final ?
Steven : Nous nous considérons comme des personnes perpétuellement insatisfaites. A un moment donné les chansons doivent être achevées et le résultat nous plaît, mais nous savons qu'il sera nécessaire de faire mieux la fois suivante. Notre second album n'est pas encore sorti mais nous discutons déjà de ce que sera le troisième. Pour moi, un bon groupe ne doit jamais cesser d'évoluer et de chercher à s'améliorer. Radiohead ont constamment renouvelé leur musique et leur approche artistique, même après avoir rencontré un succès phénoménal avec OK Computer. C'est en maintenant en permanence une forme de doute et de remise en question qu'un groupe est capable de devenir meilleur.
Laura-Mary : Il est aussi important de ne pas chercher à vouloir trop en faire juste pour parler d'une quelconque évolution. Je pense notamment à Bloc Party et leur récente évolution électronique...
Steven : Je suis triste de le dire à propos de ce groupe, mais parfois il est parfois nécessaire de continuer à faire ce pour quoi tu es doué plutôt que de vouloir à tout prix changer de style et faire les mauvais choix.
Au final, le son de ce nouvel album possède un son très proche du live, beaucoup plus que sur Box Of Secrets...
Steven : Nous voulions que cet album soit plus proche de ce que nous proposons en concert, c'était une de nos volontés principales. Apporter également une touche plus naturelle...
Laura-Mary : Nous aimons toujours notre premier album mais certaines chansons avaient été trop travaillées et ne nous ressemblaient plus vraiment au final. Nous avons beaucoup appris durant les deux dernières années et je pense pouvoir dire que nous sommes plus sûrs de nous et de notre musique désormais, nous avons plus de certitudes quant à la voie à suivre.
Steven : Notre manière d'appréhender le travail en studio a changé, sans doute par expérience. Pour notre premier album, nous avions délégué de nombreuses tâches car nous n'étions simplement pas suffisamment qualifiés. D'un côté nous avons cherché à ce que le disque soit moins produit mais de l'autre nous avons accentué certains détails, ajouté une dose de subtilité. Avant les chansons étaient très directes, mais pour ce disque nous avons un plus joué sur les atmosphères pour le diversifier. Plutôt que de proposer un album très puissant et énervé, nous avons cherché un équilibre entre les temps forts et les titres plus posés.
Vous n'avez rien changé à votre formule guitare/batterie, n'avez-vous malgré tout pas été tenté d'intégrer de nouveaux instruments ?
Laura-Mary : Il n'en était pas question, de plus je ne crois pas que le résultat tiendrait la route sur scène. Steven et moi avons créé le groupe tel qu'il est aujourd'hui, et si nous avions cherché à utiliser de nouveaux instruments ou des musiciens supplémentaires... ce n'aurait simplement plus été Blood Red Shoes. Notre excitation est venue de la progression dans notre musique, nous améliorer tous les deux en conservant les mêmes bases. Je sais que beaucoup de groupes trouvent qu'il est positif de s'entourer de musiciens supplémentaires en studio, par exemple de violons ou de cuivres, mais en quoi cela nous aiderait-il ? J'estime qu'il est possible de surprendre avec un minimum d'instruments plutôt que d'ajouter de multiples couches sans réelle plus-value au final.
Steven : Un artiste trop entouré sur scène cherche souvent à cacher ses propres faiblesses. Lorsqu'une chanson n'est pas suffisamment bonne à la base, l'enrichir à l'aide d'artifices plus ou moins grossiers est parfois la seule solution. Tout cela pour tenter d'impressionner le public et faire preuve d'une soit disant connaissance. Je me refuserais toujours à cela car je pense que nous sommes capable d'écrire des chansons de qualité à deux et sans l'aide de personne d'autre. Notre puissance naît de l'honnêteté et de la simplicité, en aucun cas un quatuor à cordes ou des trompettes ne sauraient reproduire un tel effet. Comment parvenir à communiquer des sentiments lorsque ta voix est noyée au milieu des effets ? Ce serait comme tenter de tenir une conversation cohérente avec quarante personnes simultanément.
Laura-Mary : Il est peut-être juste nécessaire d'être raisonnable. Un groupe comme Godspeed You! Black Emperor nécessite la présence d'un grand nombre de musiciens pour retranscrire sa musique, mais pourquoi ? Parce que cela fonctionne et que c'est un impératif du genre. Il ne faut jamais dire jamais, mais lorsque j'écoute les chansons que nous avons enregistrées tous les deux depuis nos débuts, je ne vois pas où serait la nécessité d'avoir des musiciens supplémentaires à nos côtés.
Steven : Est-ce que des groupes comme les Stooges, Queens Of The Stone Age ou Rage Against The Machine ont besoin d'un orchestre de cordes ? Ce serait ridicule. Je pense que le public cherche à être impressionné en écoutant de la musique, et certains groupes l'ont compris et veulent à se faire remarquer de cette manière. Pourtant, même U2 ne vont pas si loin et se cantonnent à leur formation de base (rires) !
Laura-Mary : A la fin d'une écoute, que reste-il ? Les bonnes chansons, pas des arrangements pompeux et sur-dimensionnés.
Steven : Peu importe tous les artifices utilisés, une bonne chanson restera toujours une bonne chanson au final. Je pense que c'est l'objectif de tout groupe, parvenir à composer des morceaux dont tout le monde se souviendra encore dans vingt ans.
Le titre Colours Fade, qui s'avère le moins représentatif du disque, peut être téléchargé sur votre site officiel depuis plusieurs semaines. Pourquoi l'avoir choisi ?
Steven : Pour prendre un risque !
Laura-Mary : Notre entourage a pourtant voulu nous convaincre que cette idée n'était peut-être pas si bonne, mais nous avions investi tellement d'énergie dans cette chanson que personne n'aurait pu nous faire changer d'avis.
Steven : Le principal argument était que Colours Fade allait probablement surprendre notre public, mais en quoi était-ce un problème ?
Laura-Mary : C'est la chanson que je préfère sur cet album, et c'est aussi parce qu'elle devait être la dernière du disque que nous avons pu prendre des libertés. Nous étions conscients que cette chanson n'aurait aucune chance de sortir un jour en tant que single ou d'être diffusée à la radio, alors nous l'avons juste donnée pour qu'elle obtienne l'attention qu'elle mérite.
Steven : Nous avons beaucoup appris en l'enregistrant, sans doute de par sa complexité et le travail autour de l'atmosphère. Ce sentiment atmosphérique a été une forme de modèle pour les autres chansons de l'album. Trouver un équilibre entre la puissance de la musique et un certain aspect progressif. Je pense que cette chanson est à sa place à la fin de l'album, sans cela son impact aurait été moins fort. C'est probablement ma préférée après When We Wake.
Tous vos artworks étaient jusqu'à présent l'œuvre de Laura-Mary, qu'en est-il pour cet album ?
Laura-Mary : C'est encore le cas, mais dans un style graphique différent. Mon travail est plus abstrait, je me suis inspiré de photographies au lieu de peindre des images.
Steven : Un sentiment de rêve... Nous avons cherché à conserver une certaine unité dans tous les visuels de cet album. Le thème de notre site officiel, nos artworks et même nos vidéo clips possèdent une base commune... tous ces aspects gravitent autour de la musique que nous avons enregistrée pour cet album.
Laura-Mary : Nous avons réalisé que le public réagit à tous les paramètres, c'est pour cela que nous avons fait le maximum pour que tout soit parfaitement en place.
Steven : L'aspect visuel du groupe est très important, il arrive que certaines personnes jugent sur ce critère au premier abord avant même d'avoir écouté la musique.
Laura-Mary : Nous n'avons laissé personne nous dicter notre conduite, et ce peu importe le sujet. Nous avons fait nos propres choix pour nos visuels et les chansons, et nous sommes les premiers décideurs pour nos vidéo clips également.
Vos propos semblent refléter un besoin de contrôler tous les aspects du groupe...
Steven : Si quelqu'un nous faisait des reproches pour ne pas avoir expérimenté quelque chose qui semble à la mode dans notre musique ou notre comportement, je lui dirais d'aller se faire voir, c'est aussi simple que cela. Pendant longtemps je pense que nous avons eu l'esprit trop ouvert... nous écoutions tous les conseils que l'on voulait bien nous donner, mais cela ne nous apportait pas grand chose en réalité.
Laura-Mary : A nos débuts je ne comprenais pas pourquoi certains groupes cherchaient à conserver un contrôle total, alors qu'il s'avère simplement que ce genre de personne sait simplement ce qu'il souhaite et comment y parvenir. Parvenir à être soi-même sans se laisser influencer est réellement bénéfique.
Il y a maintenant deux ans, la sortie de votre premier album avait été repoussée de plusieurs mois. Cette fois-ci, tout semble être allé beaucoup plus rapidement ?
Steven : Oui, mais ce nouveau disque a malgré tout été repoussé d'un mois par rapport aux décisions initiales.
Laura-Mary : Le plus frustrant avec ce genre de décision est qu'elle ne nous appartient pas. Nous enregistrons nos chansons, mais tout le processus final dépend de la maison de disques et du management, et parfois des problèmes de communications font que le groupe pâtit des choix.
Steven : D'une certaine manière, ce type d'expérience permet de tester la solidité du groupe et de voir à quel point chacun est confiant de ce qu'il a produit. Cela va de paire avec le fait d'imposer ses volontés lorsqu'il est question d'enregistrer l'album d'une certaine manière et d'expliquer à certaines personnes que nos choix sont les bons. Sans tous les obstacles que nous avons rencontrés, nous ne serions sans doute pas aussi fier de ce nouvel album.
Laura-Mary : Nous avons décidé en commun accord avec notre maison de disques de proposer un nouveau titre en écoute par semaine jusqu'à la sortie de l'album. N'importe quelle personne pourra ainsi se faire une idée sans passer par le téléchargement de l'album de manière illégale sur Internet.
Steven : L'idée était d'éviter à tout prix de reproduire le même schéma que pour notre premier album. Avec les multiples reports, n'importe qui pouvait télécharger les chansons trois mois à l'avance et la sortie officielle avait perdu tout son sens.
Est-ce que les maisons de disques ne doivent-elles pas simplement s'adapter comme les groupes le font ?
Steven : Certains aspects ne sont pas de notre ressort, comme les plannings de sorties, la promotion conditionnée par les dates de bouclages des magazines... Pourtant tout semble aller de plus en plus vite pour l'industrie musicale, notamment car les ventes de la presse papier et les audiences des radios traditionnelles s'effondrent un peu plus chaque mois. Le monde d'Internet est en train de devenir le facteur le plus important sur bien des points, et je comprends parfaitement que lorsqu'une personne entend une chanson d'un groupe, son premier réflexe est de chercher à en télécharger d'autres. Les maisons de disques doivent comprendre cela et faire en sorte de s'adapter.
Laura-Mary : Le problème était plus complexe pour la sortie de notre premier album. Lorsque nous avions rencontré les responsables de notre maison de disques, personne ne semblait savoir quoi faire de nous et leur décision avait été de reculer la sortie de trois ou quatre mois.
Steven : Tout a été bien mieux planifié pour Fire Like This. Tout le monde savait quand l'enregistrement devait se terminer et la date de sortie a ainsi pu être prévue à l'avance. Le seul critère était d'attendre que les fêtes de fin d'années soient passées pour que le disque ne passe pas inaperçu.
Laura-Mary : Nous avons été très impliqués pour ces choix. Il y a eu de vraies discussions sur la stratégies à adopter, comme le fait de proposer un titre en téléchargement ou de dévoiler l'album en écoute progressivement.
Vous fêterez en fin d'année le cinquième anniversaire du groupe, quel bilan tirez-vous de votre rencontre au jour d'aujourd'hui ?
Laura-Mary : Il nous reste encore beaucoup à faire...
Steven : Je suis heureux de ces premières années, mais pour le moi le meilleur est encore à venir. Nous avons enregistré deux albums mais nous n'avons pas encore exploité toutes nos possibilités.
Laura-Mary : Je pense que le groupe peut encore beaucoup progresser en termes de reconnaissance et de succès. Pour beaucoup de personnes nous sommes encore des inconnus et nous n'appartenons à aucune scène musicale à la mode, il reste donc encore beaucoup de travail pour nous faire connaître.
Steven : Rien n'a jamais été simple pour Blood Red Shoes mais nous méritons ce qui nous arrive. Personne ne s'intéressait vraiment avant nous à l'origine, ce n'est qu'après avoir donné plus de deux cent concerts que les maisons de disques ont découvert notre existence.
Laura-Mary : Nous avons conscience des capacités de notre groupe et nous savons pertinemment que nous ne remplirons jamais des stades, mais nous pouvons toujours faire mieux. Il faut apprendre...
Steven : Le groupe n'aura plus d'intérêt le jour où nous cesserons d'apprendre et de progresser.
Laura-Mary : Le fait d'être perpétuellement insatisfaits, notamment lors des concerts, nous pousse à toujours aller de l'avant. C'est grâce à cela que nous devenons meilleurs.