Derrière RPA & The United Nations Of Sound se cache le nouveau projet de Richard Ashcroft. Après un énième split de The Verve, « Mad Richard » a choisi de s'entourer de musiciens issus du milieu du hip-hop américain, et d'enregistrer entre New York et Los Angeles un album aux accents soul et gospel, tout en restant dans la lignée du songwriting ashcroftien épique, sorti le 12 juillet dernier. Sound Of Violence l'a rencontré pour éclaircir ce choix qui se révèle beaucoup moins incongru qu'il n'y paraît.
Pour commencer, peux-tu nous présenter les musiciens qui t'accompagnent dans ce nouveau groupe? Comment les as-tu rencontrés ?
En réalité j'étais à New York, pour rencontrer le producteur No-ID. Au bout de quelques jours, nous avions déjà écrit plusieurs morceaux ! Alors il nous a fallu appeler du renfort. Il a fait jouer ses contacts. Le guitariste Steve Wyreman était à New York pour jouer à un concert de Mary J. Blige. Il est arrivé dans notre studio avec ses guitares. On a discuté une minute ou deux, je lui ai fait écouter Are You Ready, et il s'est mis à poser ses motifs de guitare immédiatement ! C'est ce qu'on entend à la fin du morceau. Je l'ai tout de suite gardé. Plus tard, j'ai accompagné No-ID aux obsèques d'un de ses amis, et au retour, un type est arrivé au volant d'une énorme voiture blindée pour nous ramener. Je ne me suis pas trop posé de questions. En arrivant au studio, le type a sorti du coffre de sa voiture un étui de basse. Ce mec n'était autre que "DW" Wright, un bassiste très respecté. Je croyais qu'il n'était qu'un chauffeur ! Il a tourné avec les plus grands, dernièrement avec Timbaland. Nous sommes restés au studio à enregistrer avec lui jusqu'à six heures du matin, puis il a continué à venir les autres jours...
Vous vous êtes tout de suite trouvés des atomes crochus ?
Au cours de ces séances, nos discussions tournaient autour de notre conception de la musique. Ça les intéressait beaucoup de connaître mon point du vue en tant que musicien britannique. Mais c'est partout pareil. Tout le monde est un peu blasé de nos jours. C'est inévitable. Comment se fait-il que cette industrie arrive à éliminer toute motivation, toute créativité, toute passion à ses employés avec le temps ? Nous parlions aussi de cette manie qu'ont les gens de tout classifier. Je n'aime pas l'idée qu'il existe des « genres » de musique différents. En ce moment, on entend parler de « New Soul », c'est n'importe quoi. Ils essaient de créer des nouveaux marchés qui n'existent pas. Soit tu es Soul, soit tu ne l'es pas. Il n'y a pas d'autre division. Gram Parsons disait, qu'il avait ce rêve qu'un jour tous les musiciens américains s'uniraient pour créer un seul et même mouvement de musique, qu'on appellerait la Cosmic American Music. Je me rappelle avoir lu ça quand j'avais seize ou dix-sept ans, et ça m'a beaucoup marqué. Depuis, je me disais qu'un jour, je ferais un album qui serait exactement comme ça, qui rassemblerait tous les mouvements que j'aime en un seul. La Soul est la base de tout, même si j'apprécie toutes sortes de musiques. Un jour, tout sera combiné : le blues, la soul, le jazz... On ne réussira jamais à éradiquer ce besoin qu'ont les Hommes de tout séparer et étiqueter, c'est la nature humaine. Tu vois, un mec comme Jay-Z, il essaye de repousser ces limitations, il fait des mélanges, il joue avec Jack White, il ne s'impose pas de frontières.
Il est vrai que si je devais choisir un seul terme pour décrire ta musique, ce serait soul...
Et bien merci, je le prends comme un grand compliment ! Je me suis toujours considéré comme un soulman. Lorsque j'ai commencé à faire de la musique, je me suis trouvé au milieu d'un groupe de rock'n'roll, je ne savais pas encore très bien jouer d'un instrument, alors je ne pouvais que chanter. Je devais dépendre des autres gars du groupe, je ne pouvais qu'orchestrer à peu près leurs jams. Je n'ai gagné ma vraie liberté artistique qu'une fois avoir été capable d'écrire mes propres chansons. Avant cela j'avais l'impression d'essayer de faire peindre mes tableaux par d'autres personnes. Ils ne faisaient qu'asperger la toile de couleur, et ça ne donnait jamais ce que je voulais. Je n'ai pu commencer à m'exprimer réellement qu'à partir de vingt-six ou vingt-sept ans. À peu près à l'époque de Urban Hymns...
Mais l'album que je considère comme étant le véritable reflet de mon âme, c'est Human Conditions, mon deuxième album solo. Il est d'ailleurs intéressant de noter que c'est mon disque qui s'est le moins bien vendu de toute ma carrière ! Pourtant, j'ai bien plus de soul dans mon aisselle gauche que la plupart de tout ce qu'on voit... C'est comme ça qu'on en est venu à parler de « new soul », mais qu'est-ce que ça veut dire ? Des filles qui font des trémolos à tout bout de champ, des mecs qui pleurnichent. On s'en fiche des trémolos, il faut être précis. Et pourquoi éprouvent-ils le besoin de faire ces chorégraphies inutiles ? Soyons directs ! Pour moi, la soul d'aujourd'hui n'a rien à voir avec ce que j'appelle la soul. Je ne parle pas de la soul blanche et aseptisée, je veux parler de la vraie soul d'origine. Celle qui avait de l'authenticité, du vrai sentiment. La soul est née de la tristesse du blues, en y ajoutant une dose d'espoir.
Il y a toujours de l'espoir dans tes chansons...
Toujours ! Même dans mes chansons les plus tristes, je garde un élément de dualité qui permet l'espoir. Comme par exemple dans Lucky Man ou même The Drugs Don't Work qui est sans doute la chanson la plus triste que j'ai jamais écrite. Être nihiliste, c'est être paresseux. Ça ne m'a jamais intéressé. C'est une démarche stérile, ça n'ajoute rien au monde, ça n'apporte pas d'espoir. Tout ce que ça apporte, c'est que les jeunes finissent par acheter un tshirt de toi si tu te tires un balle dans la tête. Tu peux aussi t'en sortir si tu te vends aux grandes marques, et là tu peux tranquillement ramasser tes chèques et profiter de ton barbecue au bord de ta piscine à L.A... C'est tellement moche, tout ça.
Lorsque je suis arrivé à New York, je ne m'étais pas fixé d'objectif, je ne savais pas si j'allais enregistrer une chanson, deux chansons, ou plusieurs. Mais dès que l'on a commencé à jouer, tout s'est enchaîné. L'enregistrement a été assez court finalement. On a pu rencontrer des grosses pointures ! Par exemple, nous avons travaillé avec Benjamin Wright, qui a arrangé les sections de cordes, un type formidable. C'est lui qui a arrangé les cordes sur Don't Stop 'Til You Get Enough de Michael Jackson. Il y avait cette atmosphère de respect. Il m'a dit qu'il voyait en moi cette étincelle, ce qui est un grand compliment. Venant de quelqu'un qui a travaillé sur la plupart des grands tubes Motown... il a cru en moi et ça m'a donné confiance. Ils me disaient que je n'étais peut-être pas un des «leurs » parce que je suis un petit blanc de Wigan, mais j'ai la soul en moi (rires) !
La Northern Soul, en l'occurrence !
Oui, c'est ce que je leur ai expliqué !
C'est cette recherche de retour aux sources qui t'a amenée aux États-Unis ?
En fait, non. C'est un ami à moi, directeur d'un label, qui me disait souvent « Richard, tu devrais rencontrer No-ID, je suis sûr que vous êtes faits l'un pour l'autre ! ». Je connaissais déjà ce qu'il faisait avec Common, avec Kanye West... Quoiqu'on puisse penser de sa personnalité, Kanye est quelqu'un de très talentueux. No-ID lui a appris les ficelles du métier quand il n'avait que douze ou treize ans. Leurs mères étaient toutes les deux institutrices dans la même école, à Chicago. C'est là qu'il se sont connus. Et donc, avec No-ID, qui a un bagage très intéressant, nous avons beaucoup de choses en commun. Il n'a jamais vendu son âme. Nous avons le même âge. Il n'a pas la grosse tête. C'est assez rare dans la musique de trouver des gens comme lui, qui ne se montrent pas en spectacle, qui ne vont pas aux soirées et qui ne tueraient pas leur mère pour un bout de tapis rouge. Il a su garder son intégrité. Et au vu de son palmarès impressionnant, c'était un vrai challenge pour moi de travailler avec lui.
J'avais besoin de quelqu'un qui me fasse prendre conscience de ce que je pouvais apporter à l'édifice de la musique. J'étais dans le berceau de la soul music, il fallait que j'apporte ma propre vision. Dans le rock, on a une sensibilité différente de la soul moderne. On ne peut pas, par exemple, écrire une chanson qui ferait l'inventaire de toutes les choses qu'on a acquises depuis qu'on est devenu riche. J'ai une grosse voiture, j'ai une immense maison avec piscine et jardin... Les gens ne comprendraient pas. Moi, je comprends tout-à-fait d'où vient ce besoin. Le peuple noir a souffert pendant des siècles, il est légitime que désormais il ait envie de montrer sa réussite. C'est de là que vient cette tendance à la vantardise. Et pourtant, il y a tellement d'autres pistes qu'ils pourraient explorer, du point de vue des paroles. Quand on écoute Marvin Gaye – c'est dommage qu'il soit parti si tôt – on se dit qu'il y a un autre chemin possible... Quelque chose de plus spirituel. On a besoin que quelqu'un écrive le What's Going On de notre génération. Je ne veux donner de leçons à personne, mais il faut qu'on se réveille un peu !
Il y a certaines chansons sur l'album, par exemple America, où tu as modifié un peu ta manière de chanter habituelle. Tu n'as pas eu peur de dérouter les gens ?
C'est là toute la problématique de la fusion – même si je déteste ce terme, ça donne l'impression d'une overdose de slap bass – il faut trouver une manière de combiner des éléments différents d'une manière naturelle sans que ce soit trop artificiel. J'imagine très bien que certains en écoutant mon album vont se dire « Oh la la, qu'est-ce qu'il a fait ? ». Mais c'est toujours un album solo de Richard Ashcroft, ce n'est pas un side-project. C'est la suite logique de mon histoire. En live, je peux très bien jouer mes anciennes chansons en acoustique, aux côtés des nouvelles, et ça fonctionne très bien. Ce qui relie le tout, c'est la soul. Quand je chante Lucky Man, je suis un soul singer.
Pour finir, je peux te demander ce que tu as pensé de la Coupe du Monde ?
Bien sûr ! J'étais très excité avant le début du tournoi. Et puis, de voir comment ça s'est passé... Je viens de faire une interview avec un autre journaliste qui me disait que votre équipe n'avait même pas envie de gagner avant d'y aller ?! Tu vois, en Angleterre, les gens adorent les types comme Wayne Rooney, parce que ce sont des mecs qui ont ça dans les tripes de jouer au football. Ils jouent au football comme les gens imaginent qu'ils joueraient s'ils avaient l'honneur de porter le maillot national. Parce que c'est un honneur. Mais apparemment, vous ne vouliez pas gagner parce que vous vouliez vous débarrasser de votre entraîneur. Qu'auriez-vous fait si vous aviez gagné (rires) ?