Sa voix a été, et sera encore, la marque de fabrique de Morcheeba – dont un nouvel album est en préparation – pour longtemps. Profitant d’une parenthèse, plus ou moins consentie avec le groupe de trip-hop des frères Godfrey entre 2003 et 2010, Shirley Klarisse Yonavive Edwards, de son vrai nom, se lance dans une carrière solo en 2005.
Avec une coupe de cheveux héritée de la célèbre Grace Jones, un talent non dissimulé pour le stylisme et les costumes de scène qu’elle conçoit elle-même et une timidité qui se traduit par une réserve des plus élégantes, Skye n’a aucun embarras à avouer que sa musique vogue maintenant du coté de la pop. Un disque construit selon la recette du DIY avec la complicité de son musicien de mari et sur ses deniers personnels. Elle reçoit les journalistes sur un parfait accord vestimentaire avec le design du salon noir de l’hôtel Alba : Skye est une artiste esthète indépendante qui assume et rend hommage au groupe qui l’a vue éclore, Morcheeba.
Tu es d’abord connue pour être la célèbre voix du groupe de trip-hop Morcheeba. Est-ce difficile de mener une carrière d’artiste solo après les succès de ce groupe à la fin des années 90s ?
Pas vraiment. Sans Morcheeba, personne ou presque ne saurait qui je suis. Partout où je vais, j’entends dire : « C’est Skye, la chanteuse de Morcheeba ! ». Cela ne me pose pas de problèmes, c’est même une bonne chose pour moi et cela ne m’empêche pas de mener ma propre carrière. C’était plus problématique à l’époque où je ne faisais plus partie du groupe Morcheeba, de parler d’eux ou de leur nouvelle chanteuse. J’avais l’impression de parler de mon ancien mari et de sa nouvelle femme (rires).
Ton troisième album s’intitule Back To Now. Quel est le sens de ce titre pour toi ?
C’est à propos de recentrage. Je voulais faire le point sur le présent. Cela vient de la chanson A Little Bit Lost présente sur cet album. Je voulais retrouver ma place au centre de mon univers et être prête à regarder l’horizon, avec sérénité...
Tu as collaboré avec Stephen Fizmaurice sur ce nouvel album, comment as-tu rencontré le producteur et l’arrangeur qui a travaillé avec des groupes tels que Depeche Mode ou U2 ?
Nous avions été présentés à l'époque de mon premier album. Il avait remixé le premier single, Love Show, pour la radio. J’avais vraiment aimé son travail et nous avons décidé de lui faire écouter nos démos pour Back To Now. Pour une fois, j’avais envie d’un seul producteur pour tout l’album et je ne pouvais pas trouver de meilleure personne que lui car il possède une sensibilité pop, au sens positif du terme, et une connaissance de ce que les radios jouent que peu ont.
Ton processus de création est particulier : il me semble que pour ce nouvel album tu as démarré les compositions avec des samples et de boucles uniquement...
C’est vrai, au début nous avons surtout joué avec les rythmes et les boucles sur GarageBand. Puis, nous avons ajouté des accords et j’ai ensuite repris le tout sur mon ordinateur portable pour trouver les mélodies. Et c’est à partir des mélodies, que je réécoute encore et encore, que les mots viennent sur mes titres.
Sur le site officiel de Morcheeba, la sortie de ton album est annoncée avec beaucoup d’encouragements. Tu entretiens à nouveau de bonnes relations avec les frères Godfrey ?
Oui. Elles sont bien meilleures qu’à une époque. Après notre séparation en 2003, il y a eu un mauvais moment entre nous. En 2010, nous avons à nouveau collaboré et la tournée de Blood Like Lemonade fut un vrai succès. Nous nous sommes retrouvés et nous avons reconstruit les ponts cassés. Ils sont très encourageants pour mon nouvel album et me soutiennent sincèrement, particulièrement Paul. Aujourd’hui, tout ce qui m’arrive de bien arrive également à Morcheeba, et inversement. Je me considère chanceuse car je défends mon nouveau disque que j’aime beaucoup et, avec Morcheeba, nous préparons également un nouveau disque qui laisse présager de très belles choses. Quelle chance d’être à la fois une artiste solo comblée et de faire partie d’un groupe qui est si connu !
Justement, n’est-ce pas compliqué de mener deux carrières de front ?
Non, pas vraiment. Paul vit en France maintenant, près de Bordeaux. Ross, qui vivait à Los Angeles, vient de rentrer en Angleterre. Nous travaillons donc beaucoup par email interposés et par Internet. Paul m’a envoyé des idées encore aujourd’hui pour notre album à venir. Je les ai téléchargées sur mon Ipad et, avec mon micro et mon casque, je peux poser ma voix par-dessus et leur renvoyer le tout par Internet. C’est une sorte de triangle musical, où que nous nous trouvions dans le monde.
Est-ce que ton retour dans Morcheeba, en 2010, a influencé la création de ton nouvel album ?
Sur un de mes titres, la réponse est oui. High Life est dédicacé aux frères Godfrey et à mon retour dans Morcheeba. Tout en avançant dans ma carrière solo, je ne pourrais jamais remettre en cause l’héritage et les influences que j’ai hérités de Morcheeba.
Cet album est vraiment différent du précédent, Keeping Secrets. Qu’est-ce qui t’a guidé vers ces nouvelles influences, plus électro-pop j’ai envie de dire ?
J’ai le sentiment que je peux me diriger vers n’importe quelles influences. Je me sens bien avec tous les styles de musique. L’autre jour, je disais à un ami que j’aimerais composer un album de Country un de ces jours ! Pour Back To Now, je voulais me diriger vers des tempos plus enjoués et des sonorités plus électroniques. C’est pour cela que, comme je te le disais, nous avons commencé à composer cet album à l’aide d’ordinateurs plutôt que d’une guitare ou un piano.
Tu as été une des icônes du trip-hop, comment définirais-tu ta musique aujourd’hui ?
Franchement, je ne sais pas ! Je te laisse le soin de la qualifier. J'aime le terme électro-pop (rires). Je pense que c’est ce que je vais dire maintenant : mon album est électro pop (rires) !
Tu travailles et composes tous tes albums avec ton mari (ndlr : le bassiste Steve Gordon), depuis de longues années maintenant. N’est-ce pas difficile de conjuguer vie personnelle et vie professionnelle en même temps ?
Nous faisons tout ensemble. Je me sens assez perdue sans lui... Nous sommes mariés depuis dix ans maintenant et le premier titre que nous avons composé ensemble, Cooling, l’a été lors de notre lune de miel ! La bonne chose de travailler en couple, c’est qu’il est plus facile pour moi d’être honnête avec lui, de lui dire franchement quand je n’aime pas quelque chose. Je peux me montrer assez timide quand je ne connais pas les gens et, si ce n’est pas mon mari, j’ai l’impression que je risque de vexer la personne si je lui dis que je ne suis pas d’accord avec elle... Travailler avec Steve me permet d’aller à l’essentiel, bien plus rapidement. Comme pour beaucoup de couples, tu peux te permettre bien des choses avec ton compagnon que tu n’oserais pas avec un inconnu (rires). Mais, je te rassure, il ne prend pas de gants avec moi non plus ! Dieu merci, il ne lit pas le Français et ne lira sûrement pas cette interview (rires).
Tu as une tournée de prévue pour la sortie de Back To Now ?
Probablement pas. Je ne vais pas t’apprendre qu’une tournée coûte pas mal d’argent et, en tant qu’artiste solo, je n’ai pas encore sorti le ou les hits qui auraient pu me propulser et me faire connaître assez pour qu’on m’organise une tournée. Mais, je fais beaucoup de promo et je viens souvent à Paris pour défendre mon album. J’adorerais jouer au moins une date ici en France. Quelques dates sont en discussion pour New York et Los Angeles.
C’est peut-être Back To Now qui va changer tout cela ?
Je l’espère ! Avec le second album, Keeping Secrets, j’ai tourné pendant six semaines dans plusieurs villes d’Europe, sans label derrière moi. C’était une expérience très motivante mais très difficile également. Comme je l'ai dit à mon manager l’autre jour, attendons de voir ce que donne Back To Now...
En live, quelle est la configuration musicale de Skye ?
Moi, bien sûr. Une basse, une guitare électrique, un batteur et ce que nous appelons un HD qui se charge de lancer les boucles de cordes ou autres. Nous avions un claviériste, dans le passé, mais c’était trop coûteux comme configuration pour nos moyens financiers. Après avoir du le remercier, nous avons enregistré sa partition et nous la jouons via un ordinateur dorénavant. Mais, je suis contente pour lui car, maintenant, il joue avec Hurts. Cela me fait un peu moins culpabiliser.
Selon toi, où se situe la plus grande distinction entre la musique que tu joues avec Morcheeba et la tienne ?
J’essaie de ne jamais sonner comme Morcheeba. Sur ce nouveau disque, par exemple, il n’y a pas de guitares. Comme sur le premier, d’ailleurs. Paul Godfrey, qui est le DJ touche à tout de Morcheeba, joue et sample beaucoup de hip-hop old school dans ses titres. Ce qui est une des marques de fabrique de ce groupe. Ce serait un non-sens d’essayer de coller à la musique de mon autre formation.
Tu sais que tu as un homonyme en France ? Une musicienne qui se nomme exactement comme toi : Skye (ndlr : auteur compositeur féminin qui a tourné avec Christophe Willem) !
Oui ! J’ai même discuté avec elle sur Myspace. Il y a quelques années, quelqu’un m’a envoyé un message qui disait : « Chouette. J’ai vu que vous alliez jouer à Paris bientôt ? ». Je lui ai dit que non et cela m’a vraiment surpris. Alors, je suis allé sur le site web de la salle en question et j’ai vu ma photo sur l’annonce du concert ! J’ai donc appelé le responsable de la salle et je lui ai demandé ce que je faisais sur leur site. Il m’a répondu qu’il y avait eu une erreur de la part du graphiste dans la sélection de la photo (rires) !
Tu as fait une belle apparition dans le disque du groupe de Marc Collin, Nouvelle Vague, en 2008 pour interpréter, entre autres, Call Me de Blondie et View To A Kill de Duran Duran. Tu as envie de faire d’autres collaborations ? Y en a-t-il déjà en route ?
Il y en beaucoup que j’aimerais faire, mais une en particulier avec, justement, Olivier Libaux de Nouvelle Vague. Je crois que lui et Marc Collin ont splitté, non ? C'est un énorme fan de Queens Of The Stone Age et il voudrait que je chante un de leurs titres, 3’s & 7’s, dans un nouvel album de reprises, mais pas avec Nouvelle Vague. Je crois que lui et Marc Collin sont en quasi-procès depuis un an ; cela se fera mais prendra sûrement du temps !
Que faisais-tu avant de te lancer dans la musique ?
J’ai suivi les cours du London College Of Fashion pour étudier la mode, le stylisme, la broderie... Ensuite, j’ai travaillé dans un club de danses de salons où les participants portent tous des tenues extravagantes avec des dentelles, des broderies, des voiles... que je créais ou réparais. Quand j’ai quitté ce job, j’ai acheté une guitare et j’ai rencontré les frères Godfrey qui voulaient fonder un groupe, Morcheeba. Mais je conçois et couds toujours mes propres vêtements ! Si je n’avais pas chanté, j’aurais été styliste. On m’a déjà dit que je devrais peut-être me lancer dans ma propre marque mais la raison pour laquelle je me suis mis à faire mes propres vêtements, notamment pour la scène, c’est à cause d’un concert à St Francisco où, au premier rang, j’ai vu une fille porter une robe identique à la mienne. Je me suis dit : « Ceci n’arrivera plus jamais (rires) !
Quand et comment as-tu appris à chanter ?
Mon petit garçon chante constamment. Devant la télévision, devant l’ordinateur et, l’autre jour, je me suis surprise à l’entendre faire comme je le faisais, étant petite, il vocalisait sur le son de l’aspirateur en marche ! J’ai toujours chanté, mais j’étais tellement timide à l’école et au lycée que je ne l’ai jamais révélé à mes amis. Quand, plus jeune, j’habitais seule, à Londres je me trouvais vraiment isolée. J’ai donc rejoint un groupe du soir qui prenait des cours de chant. J’ai fini par faire les chœurs dans un petit orchestre. Tout cela s’est fait très graduellement. C’est quand j’ai rencontré Paul et Ross en 1994 que le chant a vraiment pris de l’importance. Mais, même quand Morcheeba a été créé, après notre rencontre, j’ai toujours ressenti une certaine timidité et je me sentais comme une pièce rapportée du projet. Il m’a fallu du temps pour me sentir comme un élément du groupe. Quand le premier album, Who Can You Trust, est sorti, ils m’ont annoncé qu’il fallait partir en tournée et j’étais pétrifiée ! J’ai toujours pensé que nous resterions un groupe de studio. J’ai donc appris au cours des années à être une chanteuse de scène. Je dois beaucoup à Morcheeba ; sans ce groupe, je ne serais sûrement pas une artiste solo qui fait des interviews !
En parlant des enfants, quels sont les disques que tes enfants ont écouté en premier ?
Mon plus grand garçon a dix-sept ans. Il est batteur dans un petit groupe. Je pense que le premier disque qu’il a écouté, c’était Nevermind de Nirvana. Ma fille a quatorze ans et elle adore chanter. Je crois que c’est Shirley Bassey qu’elle a découverte en premier. Quant à mon plus jeune fils, il est fan de James Bond ! Des vieux James Bond et de leurs bandes originales.
Quelle est ta position sur Internet et le téléchargement illégal ?
Je me souviens qu’il y a dix ans, à peu près, on m’a posé cette question. À l’époque, je n’étais pas encore dans ma carrière solo et j’avais répondu : « Ce n’est pas grave. Je comprends... ». Puis, quand j’ai démarré ma carrière solo et, notamment pour l’enregistrement du deuxième album que j’ai personnellement financé, que j’ai vu mon album en ligne peu de temps après sa sortie, même avec 900 000 hits sur un de mes titres, j’ai été dans le doute. Cela était-il une bonne chose de voir autant de personnes s’intéresser à mon travail ou était-ce autant d’acheteurs potentiels perdus ? Il m’en a coûté à peu près 30 000£ pour enregistrer ce nouvel album ! À une époque, nous avions une fille au pair ; elle n’arrêtait pas de télécharger des logiciels, des séries ou de la musique. Et elle aimait me dire : « Je n’ai jamais rien volé ! ». Je crois que ces techniques annihilent la pensée de vol même quand on s’en sert pour prendre quelque chose sans payer. Mais, moi aussi je faisais ça. Je ne le fais plus aujourd’hui. Je me sers de Youtube pour découvrir des groupes que j’achète ensuite en CD. J’ai deux adolescents à la maison et leurs iPod contiennent des milliers de titres dont ils n’ont pas payé la moitié. J’ai découvert avec eux que tu pouvais aller sur Youtube et encoder les vidéos en MP3 pour les télécharger, illégalement ! C’est parfois une honte, mais tu dois vivre avec ça. J’ai déjà uploadé Back To Now sur Youtube ; comme ça, personne ne le fera à ma place ! J’espère que les gens qui aiment vraiment la musique continueront toujours à acheter les disques qu’ils apprécient, spécialement le CD de Back To Now parce qu’il contient un superbe poster (rires) !