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86TVs

Interview publiée par Jean-Christophe Gé le 22 décembre 2024

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Rencontre avec Will et Hugo White quelques heures avant le premier concert parisien de 86TVs, alors que Felix, qui souffre un peu de la gorge, préfère économiser sa voix pour le concert du soir. Nous sommes dans les loges des Étoiles qui, comme il se doit, se trouvent sous les toits. Ce soir c’est la dernière date de leur tournée européenne, ils retournent le lendemain en Grande-Bretagne pour quelques concerts avant de se concentrer sur le prochain album de 86TVs, mais également un concert événement de The Maccabees.

Vous êtes trois frères dans le groupe. Comment avez-vous intégré un quatrième membre (ndlr : Jamie Morrisson à la batterie, ex-Noisettes et actuel membre des Stereophonics) ? Comment ça se passe pour lui ?

Will : Je crois que ça se passe bien pour lui. C'est une belle dynamique, je ne vais pas m'en plaindre. Jamie a un rôle très important parce qu'il est très positif, et quand nous sommes trois frères à devoir se mettre d'accord sur une idée, il faut vraiment quelqu'un de positif. Sinon, je ne sais pas si on arriverait à avancer.
Hugo : Au début du groupe, c'était juste nous trois qui écrivions de la musique ensemble. Nous faisions venir différentes personnes pour jouer avec nous. Nous avons essayé avec plusieurs musiciens, chacun a fait une session avec nous. Puis Jamie est venu un jour. Nous le connaissions déjà, nous avions tourné ensemble en Amérique quand nous avions dix-huit ans, lui était dans le groupe Noisettes. Il est venu nous rejoindre, et dès que nous avons commencé à jouer, ça a été magique. En fait, il a arrêté de jouer au milieu de la première chanson, il a posé ses baguettes et il a dit : « Je veux juste arrêter un moment pour dire que c'est un moment magnifique, et je suis vraiment reconnaissant de pouvoir jouer avec vous ». Nous savions que c'était la bonne personne pour le groupe.
Will : C'était comme si le destin nous l'envoyait.
Hugo : Oui, exactement. Et il est parfait pour l'équilibre du groupe. Comme le disait Will, il faut une dynamique particulière pour que trois frères s'entendent bien. Jamie soutient chacun de nous individuellement, il est derrière toutes nos chansons. Il nous maintient soudés. Quand nous nous disputons ou que nous devenons négatifs, Jamie reste positif. Ça équilibre tout.

Et comment écrivez-vous vos chansons ? Vous avez une méthode ?

Will : Généralement, nous écrivons chacun de notre côté avant de partager nos idées, mais pas toujours. Parfois, ce sont des chansons à moitié écrites que quelqu'un d'autre termine. Par exemple, Worn Out Buildings, notre premier single, était une chanson qu'Hugo avait écrite mais qui, selon lui, avait besoin d'autre chose. Il me l'a envoyée et j'ai travaillé dessus un moment, puis il a retravaillé ma version. Donc, c'est parfois comme un collage de différentes idées. Nous n'avons pas vraiment une méthode établie, parce que nous sommes trois auteurs-compositeurs avec des approches très différentes.
Hugo : Une grande partie du travail initial était de trouver comment donner une identité au groupe, pour que toutes ces chansons différentes sonnent comme appartenant au même groupe, et pas à des projets séparés. Ça a pris du temps, de jouer ensemble, de trouver nos places et d'harmoniser nos voix. C'est ce qui unifie le tout.
Will : C'est comme si tu devais écrire une chanson, puis ensuite trouver comment elle s'intègre dans l'univers du groupe. C'est une sorte de deuxième étape. Quand nous avons commencé à écrire nous n'avions même pas encore choisi de nom pour le groupe, ni quel serait notre son. Nous avons écrit plein de chansons, puis il a fallu les réunir dans un tout cohérent. Maintenant, avec un peu de chance, pour notre deuxième album, nous aurons une meilleure idée du chemin à suivre. Mais nous allons sûrement trouver un moyen de nous compliquer la tâche !

Qu'est-ce qui définit une chanson de 86TVs et qui vous fait penser : « Ça, c'est parfait pour le groupe ! » ?

Will : Je dirais que ce sont les chœurs, les voix ensemble, qui définissent le groupe. Nous aimons les guitares, mais aussi un côté narratif et introspectif dans les chansons. La musique dit : « Venez avec nous ».
Hugo : La magie opère quand les chansons atteignent une certaine euphorie. La musique doit devenir plus grande que la somme de ses parties. Nous essayons d'atteindre ça en écrivant. Et quand nous y arrivons, c'est là que nous savons que nous avons trouvé la chanson.
Hugo : Le processus a vraiment commencé à la fin de The Maccabees, quand le groupe s'est séparé. Ça a été assez immédiat. Nous nous sommes retrouvés en studio, sans trop savoir où cela nous mènerait. Nous jouions ensemble toutes les semaines, de manière naturelle. Quelques chansons en ont amené d'autres. Cela a été un long processus qui a commencé il y a sept ans maintenant. Puis nous avons accéléré les choses quand nous nous sommes dit : « OK, faisons l'album ». Nous avons enregistré vingt chansons, un double album, avant même d'avoir un contrat ou même un nom pour le groupe. Nous y avons mis tout notre cœur. À partir de ces chansons, nous avons donné notre premier concert, signé un contrat, commencé à tourner, et l'album est sorti cette année.

Cela ressemble au parcours classique de n'importe quel nouveau groupe, et celui que vous avez suivi avec les Maccabees. En quoi était-ce différent cette fois-ci ?

Hugo : C'est un peu un passage obligé, même si ça peut sûrement être différent, mais pour nous, cette étape est essentielle et manque parfois à certains nouveaux groupes. Aujourd'hui, tu peux créer un groupe et enregistrer un disque sur un ordinateur portable, avec une production impeccable. C'est rapide et efficace. Mais nous croyons profondément à la dynamique humaine dans un groupe. Être dans une pièce ensemble, créer quelque chose de spécial en fonction des personnalités, c'est ça, un groupe. C'est ce qui rendait des groupes comme The Clash uniques. Cette dynamique entre les membres est essentielle. Donc, pour nous, ce processus était nécessaire, même si c'est plus long que de programmer une batterie et une basse sur un logiciel.
Will : Nous avons compris qu'il n'y a pas de raccourci. Au début, nous nous disions que nous l'avions déjà fait et que ce serait facile. Mais en fait, c'est une toute nouvelle alchimie. Il faut apprendre à se connaître musicalement, à jouer ensemble, et aussi à se découvrir sur scène. Tu ne peux pas juste faire un album et t'attendre à ce qu'il soit bien accueilli. Il faut aller devant un public et découvrir qui tu es vraiment. Nous nous sommes découverts quand nous avons fait la tournée en ouverture de Jamie T. Donc oui, au final, ça ressemblait à un démarrage classique de groupe.

Justement, comment le live influence vos chansons ?

Will : Elles ont beaucoup changé après notre première tournée. Nous avons enregistré cet album dans une sorte de bulle, en essayant d'être malins sur certains morceaux. Nous voulions faire un album sophistiqué, réfléchi, le genre d'album « intéressant ». Mais dès qu'on s'est retrouvés en première partie de Jamie T devant des milliers de personnes, il fallait frapper fort !
Hugo : Nous avons réalisé que nous voulions lâcher prise, être plus libres. Ça a vraiment aidé à développer nos chansons.
Will : Jouer live nous a poussés à être plus expansifs. Quand tu es en première partie d'un groupe avec un public qui l'adore, tu dois te battre pour capter son attention. Tu ne peux pas arriver avec un truc hyper sophistiqué, les gens s'en fichent. Tu dois arriver en mode : « Venez, on va s'éclater ! ». Et ça, ça transforme complètement le groupe. J'aimerais bien voir un univers parallèle où de grands groupes, après leur neuvième album, doivent faire la première partie de Jamie T. Juste pour voir ce que ça donnerait !

Et ça donne quoi alors pour vous ?

Hugo : Nous voulons vraiment que les gens repartent de nos concerts en se sentant bien, pas comme s'ils avaient assisté à quelque chose de sombre. On veut que ça soit excitant, qu'ils ressentent une forme d'évasion, qu'ils se sentent bien, plutôt que de rester assis à penser à quel point nous sommes « malins ».
Will : Oui, parce que c'est difficile de savoir si les gens trouvent ça intéressant ou s'ils nous détestent. C'est souvent la même réaction.

Comment faites vous la différence ?

Hugo : Oh, c'est quand les gens restent là, juste à nous regarder, sans aucune réaction.
Will : Oui, pas de réaction. Et sur scène, nous interprétons ce silence. Ça peut être difficile.
Hugo : Nous voulons faire sourire les gens.
Will : Comme à Amsterdam et Berlin, lors de nos deux derniers concerts. Les gens dansaient vraiment, ils s'amusaient. C'était un lundi soir, et tout le monde dansait. C'était génial. Certains nous ont dit que c'était la première fois depuis longtemps qu'ils ressentaient de la joie à un concert. C'est un bel accomplissement, surtout parce qu'il manque peut-être un peu de ça dans les concerts en live en ce moment. Il n'y a pas beaucoup de groupes qui transmettent ce genre d'énergie.
Hugo : Oui, et nous aimons jouer, nous avons fait ça toute notre vie. Et maintenant, revenir à ce niveau, avoir une seconde chance, c'est un privilège. Parfois, avec The Maccabees, les meilleurs moments étaient quand le groupe était encore petit. C'est agréable de revivre ça, mais cette fois en étant pleinement présents, en appréciant chaque étape au lieu de toujours rêver à la suivante.

Il y a trois chansons qui parlent de rêves sur votre album (ndlr : Pipe Dream, Someone Else's Dream, Dreaming), est-ce une obsession ?

Will : C'est un hasard, mais nous avons même envisagé de changer un titre. En fait, chaque chanson sur les rêves correspond à l'un de nous. Donc ce n'est pas juste l'un de nous qui écrit tout le temps sur les rêves. Le mien s'appelle Pipe Dream. Ça parle d'un rêve illusoire, de quelque chose qu'on espère. Donc ce n'est pas un rêve au sens littéral.
Hugo : Moi, c'est Dreaming. Et là, ça parle vraiment de rêves dans le sommeil, un rêve traditionnel.

Quelle est votre chanson préférée sur l'album, chacun ?

Hugo : J'aime bien jouer Worn Out Buildings. Elle a vraiment pris une nouvelle énergie en live récemment.
Will : J'aime bien ce que New Used Car est devenu en live ces derniers jours. Elle a trouvé une nouvelle dynamique, avec un solo de batterie d'environ quarante-cinq secondes au milieu. Il y a plus de solos de batterie dans notre set en live maintenant. C'est difficile de choisir une chanson en particulier, elles font toutes partie d'un ensemble. Maintenant que nous pouvons jouer un set plus long, ça devient un voyage, les chansons se complètent. Avant, nous jouions seulement les morceaux rapides. Maintenant, il y a les morceaux lents, les morceaux moyens. Tout s'assemble en une histoire.

J'ai hâte de voir ça d'autant que vous avez annoncé que c'était la dernière chance de vous voir 86TVs avant 2026...

Hugo : Oui, parce que l'année prochaine nous allons nous concentrer sur l'enregistrement d'un nouvel album. Nous ne ferons pas de concerts l'année prochaine, c'est aussi pour ça que le retour de The Maccabees peut se faire. L'idée est de trouver un équilibre pour que l'un ne nuise pas à l'autre. Ça permet aussi de profiter du contraste entre les deux projets.

Y aura-t'il une date en France de The Maccabees ?

Hugo : Pour l'instant, c'est pour un seul concert. Mais nous devons faire des concerts de chauffe, et contractuellement ça ne pourra pas être en Angleterre. Donc pourquoi pas à Paris...

C'est à deux heures de train !

Hugo : Exactement. Avec les guitares sur le dos, facile !