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Steven Wilson

Interview publiée par Laetitia Mavrel le 17 mars 2025

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Comme pour chacun de ses nouveaux disques, Steven Wilson se prête allègrement à l'exercice de l'interview, ce dernier toujours prompt à nous livrer ses analyses sur le contexte qui a entouré ses nouvelles créations. Il sera donc ici question de voyage dans l'espace, de prog rock, de fans zélés et leurs agaçants téléphones durant les concerts mais, surtout, d'un artiste atypique qui nous fait voyager toujours plus loin dans son univers musical.

Pour The Harmony Codex, ton précédent album, tu avais spécifié que tu ne t'étais imposé aucune pression, que tu avais laissé libre court à tes envies, sans fixer d'objectif précis. The Overview se présente comme un album conceptuel, donc très ciblé. Comment t'est venue l'inspiration pour celui-ci ?

Chose très rare avec moi, j'ai eu l'idée de ce concept de « vue d'ensemble » avant même d'écrire une note de musique. Cette idée de voyage dans l'espace ne pouvait coller avec dix chansons singulières. Cela devait ressembler à un film, un roman, qui débute sur Terre et qui nous amène loin dans le continuum espace-temps. Une fois sûr de moi, la direction était toute tracée, ce qui n'est pas commun me concernant ! Je l'ai fait en dix-huit mois, ce qui aujourd'hui est très rapide. Mes deux derniers albums sont différents mais proches également : là où pour The Harmony Codex j'ai librement usé de pop, de prog, de jazz ou d'électro, pour The Overview je me suis moins questionné, je savais que la bande son était tout simplement « mon son ».

A l'écoute de tous tes précédents albums, on constate que tu ne fais jamais deux fois la même chose. Est-ce une une réelle volonté de ta part ?

J'allais justement dire que c'est exactement mon but ! J'ai grandi en écoutant David Bowie et Kate Bush qui n'ont jamais fait dans la redite. C'est important de le faire tout au long de ta carrière, de ne pas attendre après les fans qu'ils acceptent ou pas ton travail. Je souhaite que les gens s'attendent à l'inattendu avec mes disques, et je crois que j'ai réussi.

C'est l'écueil qu'essayent d'éviter les groupes qui ont un énorme succès dès le premier album, ne pas tomber dans le « fan service » avec le suivant...

Eh bien ici, je n'ai jamais eu ce souci, car je n'ai jamais eu de hit ! (rire ). Aujourd'hui je peux faire ce que je veux car je n'ai aucun énorme succès auquel être apparenté. Je crois que c'est ce qui fait de moi une artiste « culte » (rire).

A ce propos, tes fans sont aujourd'hui très exigeants, certain d'entre eux refusent l'idée que ta musique, si sophistiquée à leurs yeux, soit au final accessible au plus grand nombre. As-tu conscience de cela ?

Oui, je vois très bien ce à quoi tu fais allusion. Chacun a abordé ma musique différemment, car justement, mes disques sont tous différents. Donc ils se retrouvent chacun dans des styles différents et donc des attentes différentes. Cela reflète ce qu'ils attendent de moi. J'ai appris depuis longtemps qu'il ne faut pas s'attarder sur ces retours, cela peut être dangereux pour ta créativité. Si je questionne mes fans des premiers jours, ils attendront de moi un album de prog rock comme en 1972 ! Si je choque ces fans, c'est peut-être une bonne chose, et je ne céderai jamais à la volonté des uns ou des autres.

Les paroles de The Overview, à propos de cet effet en regardant la Terre de l'Espace, me semblent tout de même négatives, sachant l'état de notre planète de nos jours...

Les astronautes qui évoquent ce phénomène sont partagés : ceux qui trouvent que c'est magnifique et réalisent que notre monde est merveilleux, ceux qui ont un retour négatif car ils réalisent eux la stupidité du principe de frontière, la stupidité de l'être humain en général, le vide de l'espace les déprime. Mais en même temps ils mettent ainsi en perspective notre taille ridicule dans l'univers, une planète parmi des millions d'autres systèmes... J'essaye avec cet album de proposer de mettre en perspective les choses, un peu ce que j'ai fait dans The Future Bites, en évoquant les gens obsédés par eux même, obsédés par leur besoin de consommer. Mon message n'est pas négatif. Par exemple, tout est question de perspective : à propos de l'intelligence artificielle, on peut y voir du positif comme du négatif, selon ce que l'on en fait, mais son usage est inévitable. De même, quand je regardais les Jeux Olympiques l'an passé, j'ai trouvé incroyable tout ce que l'homme peut faire, de positif et donc mettre en perspective son contraire.

Tu as tout fait pour cet album : composer, jouer, produire... C'est un disque extrêmement personnel ?

Oui, car cette idée étant prégnante et très spéciale, je ne pouvais la mettre au monde que seul. De plus, ma vision étant très cinématographique, je ne pouvais pas vraiment la partager avec d'autres à ce stade.

Pourrait-on dire que parce que cette idée t'était propre, très personnelle, cela expliquerait pourquoi tu es revenu vers un style musical qui a fortement nourri tes précédents travaux (surtout avec Porcupine Tree), le prog rock ?

C'est vrai que je suis revenu vers un style en lui-même très conceptuel, le prog rock. Le principe autour duquel j'ai construit The Overview ne pouvait pas être mis en musique comme les deux albums précédents. Les textures, les paroles... Comme tout cela prenait un format long, en deux épisodes, le parallélisme avec le prog rock était pertinent. C'est en effet un retour aux sources.

Cet album se scinde en deux titres, de chacun environ vingt minutes de long. A l'heure des formats ultra courts de trente secondes, je trouve que c'est un véritable challenge, tant pour toi que pour le public...

Le souci est que de nos jours, c'est la musique pop qui a été simplifiée à outrance, la rendant sommaire et immédiate. Quand la musique devient si simple, tout paraît complexe en face ! Je ne me verrais jamais faire de la musique de cette façon. En fait, on a toujours appelé ce qui selon les époques était nouveau de la musique « alternative ». Quand j'ai grandi dans les années 80, c'était The Cure, Cocteau Twins, Pixies. Dans les années 90, on a qualifié Nirvana d'alternatif, alors qu'ils sont considérés comme un des meilleurs groupes de rock depuis, donc l'idée qu'ils soient « alternatif » n'a pas de sens. Qu'est ce qui est alternatif en 2025 ? Attendre des gens qu'ils entrent dans un format supérieur à 30 secondes, l'idée d'album de nos jours étant devenu désuète.

Dans cet esprit, lors de la dernière tournée de Porcupine Tree, tu as demandé au public de ne pas filmer avec les téléphones, afin qu'il se concentre sur l'instant présent, et non se soucier de regarder leur écran plutôt que la scène. Ceci est un autre challenge, faire se déconnecter le public durant un concert ! Tu feras de même avec la tournée qui s'annonce ?

Absolument, de plus en plus de musiciens le demandent. Je ne vais pas imposer qu'ils déposent leur téléphone dans un sac mais demander qu'ils me regardent plutôt que leur écran. C'est d'ailleurs très dérangeant quand on joue.

Voilà une question que je n'ai jamais posée : quel effet cela fait-il d'avoir des rangées de bras tendus devant soi ?

C'est énervant, en plus d'être absurde car tu payes pour voir un musicien et tu ne le regardes pas. Je dirais même plus, c'est irrespectueux. Je ne ferai jamais ça en tant que spectateur.

Peux-tu nous donner quelques indices sur ce à quoi nous attendre pour les concerts à venir ? As-tu d'ailleurs pensé au live quand tu as composé cet album ?

Non absolument pas, je ne pense jamais à comment cela va sonner en live quand je compose, c'est trop restrictif. Evidemment, cet album sera complexe à retranscrire sur scène mais je suis accompagné d'excellents musiciens, je suis toujours le plus mauvais musicien des groupes avec qui je joue ! Je serai accompagné de Randy McStine, Nick Beggs, Craig Blundell... Les meilleurs.

Tu penses pouvoir rallier de nouveaux fans avec cet album si particulier ?

C'est possible ! D'ailleurs quand on y pense, après toutes ces années, on continue d'écouter The Dark Side Of The Moon, c'est bien qu'il n'est pas aussi complexe que cela !